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teur soit bon dialecticien; qu'il sache définir, prouver, démêler les plus subtils sophismes. Il dit que c'est détruire la rhétorique de la séparer de la philosophie; que c'est faire, des orateurs, des déclamateurs puérils sans jugement. Non-seulement il veut une connoissance exacte de tous les principes de la morale, mais encore une étude particulière de l'antiquité. Il recommande la lecture des anciens Grecs; il veut qu'on étudie les historiens, non-seulement pour leur style, mais encore pour les faits de l'histoire; surtout il exige l'étude des poètes, à cause du grand rapport qu'il y a entre les figures de la poésie et celles de l'éloquence. En un mot, il répète souvent que l'orateur doit se remplir l'esprit de choses avant que de parler. Je crois que je me souviendrai de ses propres termes, tant je les ai relus, et tant ils m'ont fait d'impression; vous serez surpris de tout ce qu'il demande. L'orateur, dit-il, doit avoir la subtilité des dialecticiens, la science des philosophes, la diction presque des poètes, la voix et les gestes des plus grands acteurs. Voyez quelle préparation il faut pour tout cela.

C. Effectivement, j'ai remarqué, en bien des occasions, que ce qui manque le plus à certains orateurs, qui ont d'ailleurs beaucoup de talens, c'est le fonds de science leur esprit paroît vide; on voit qu'ils ont eu bien de la peine à trouver de quoi remplir leurs discours; il semble même qu'ils ne parlent pas parce qu'ils sont remplis de vérités, mais qu'ils cherchent les vérités à mesure qu'ils veulent parler.

A. C'est ce que Cicéron appelle des gens qui vi

vent au jour la journée, sans nulle provision : malgré tous leurs efforts, leurs discours paroissent toujours maigres et affamés. Il n'est pas temps de se préparer trois mois avant que de faire un discours public: ces préparations particulières, quelque pénibles qu'elles soient, sont nécessairement très-imparfaites, et un habile homme en remarque bientôt le foible; il faut avoir passé plusieurs années à faire un fonds abondant. Après cette préparation générale, les préparations particulières coûtent peu : au lieu que, quand on ne s'applique qu'à des actions détachées, on est réduit à payer de phrases et d'antithèses; on ne traite que des lieux communs, on ne dit rien que de vague, on coud des lambeaux qui ne sont point faits les uns pour les autres; on ne montre point les vrais principes des choses, on se borne à des raisons superficielles, et souvent fausses; on n'est pas capable de montrer l'étendue des vérités, parce que toutes les vérités générales ont un enchaînement nécessaire, et qu'il les faut connoître presque toutes pour en traiter solidement une en particulier.

C. Cependant la plupart des gens qui parlent en public acquièrent beaucoup de réputation sans autre fonds que celui-là.

A. Il est vrai qu'ils sont applaudis par des femmes et par le gros du monde, qui se laissent aisément éblouir; mais cela ne va jamais qu'à une certaine vogue capricieuse, qui a besoin même d'être sou`tenue par quelque cabale. Les gens qui savent les règles et qui connoissent le but de l'éloquence n'ont que du dégoût et du mépris pour ces discours en l'air; ils s'y ennuient beaucoup.

C. Vous voudriez qu'un homme attendit bien tard à parler en public sa jeunesse seroit passée avant qu'il eût acquis le fonds que vous lui demandez, et il ne seroit plus en âge de l'exercer.

A. Je voudrois qu'il s'exerçât de bonne heure, car je n'ignore pas ce que peut l'action; mais je ne voudrois pas que, sous prétexte de s'exercer, il se jetât d'abord dans les emplois extérieurs qui ôtent la liberté d'étudier. Un jeune homme pourroit de temps en temps faire des essais; mais il faudroit que l'étude des bons livres fût long-temps son occupation principale.

C. Je crois ce que vous dites. Cela me fait souvenir d'un prédicateur de mes amis, qui vit, comme vous disiez, au jour la journée : il ne songe à une matière que quand il est engagé à la traiter; il se renferme dans son cabinet, il feuillète la Concordance, Combéfis, Polyanthea, quelques sermonnaires qu'il a achetés, et certaines collections qu'il a faites de passages détachés, et trouvés comme par hasard.

A. Vous comprenez bien que tout cela ne sauroit faire un habile homme. En cet état on ne peut rien dire avec force, on n'est sûr de rien, tout a un air d'emprunt et de pièces rapportées, rien ne coule de source. On se fait grand tort à soi-même d'avoir tant d'impatience de se produire.

B. Dites-nous donc, avant que de nous quitter, quel est, selon vous, le grand effet de l'éloquence.

A. Platon dit qu'un discours n'est éloquent qu'autant qu'il agit dans l'ame de l'auditeur : par là vous pouvez juger sûrement de tous les discours que vous

entendez. Tout discours qui vous laissera froid, qui ne fera qu'amuser votre esprit, et qui ne remuera point vos entrailles, votre cœur, quelque beau qu'il paroisse, ne sera point éloquent. Voulez-vous entendre Cicéron parler comme Platon en cette matière? Il vous dira que toute la force de la parole ne doit tendre qu'à mouvoir les ressorts cachés que la nature a mis dans le cœur des hommes. Ainsi consultez-vous vous-même pour savoir si les orateurs que vous écoutez font bien. S'ils font une vive impression sur vous, s'ils rendent votre ame attentive. et sensible aux choses qu'ils disent, s'ils vous échauffent et vous enlèvent au-dessus de vous-même, croyez hardiment qu'ils ont atteint le but de l'éloquence. Si, au lieu de vous attendrir, ou de vous inspirer de fortes passions, ils ne font que vous plaire et que vous faire admirer l'éclat et la justesse de leurs pensées et de leurs expressions, dites que ce sont de faux

orateurs.

B. Attendez un peu, s'il vous plaît; permettezmoi de vous faire encore quelques questions.

A. Je voudrois pouvoir attendre, car je me trouve bien ici; mais j'ai une affaire que je ne puis remettre. Demain je reviendrai vous voir, et nous achèverons cette matière plus à loisir.

B. Adieu donc, monsieur, jusqu'à demain.

SECOND DIALOGUE.

Pour atteindre son but, l'orateur doit prouver, peindre, et toucher. Principes sur l'art oratoire, sur la méthode d'apprendre et de

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débiter par cœur les sermons, sur la méthode des divisions et sous-divisions. L'orateur doit bannir sévèrement du discours les ornemens frivoles.

B. Vous êtes un aimable homme d'être revenu si ponctuellement; la conversation d'hier nous a laissés en impatience d'en voir la suite.

C. Pour moi, je suis venu à la hâte de peur d'arriver trop tard, car je ne veux rien perdre.

A. Ces sortes d'entretiens ne sont pas inutiles: on se communique mutuellement ses pensées; chacun dit ce qu'il a lu de meilleur. Pour moi, messieurs, je profite beaucoup à raisonner avec vous, vous souffrez mes libertés.

B. Laissez là le compliment: pour moi je me fais justice, et je vois bien que sans vous je serois encore enfoncé dans plusieurs erreurs. Achevez, je vous prie, de m'en tirer.

A. Vos erreurs, si vous me permettez de parler ainsi, sont celles de la plupart des honnêtes gens qui n'ont point approfondi ces matières.

B. Achevez donc de me guérir : nous aurons mille choses à dire, ne perdons point de temps, et sans préambule venons au fait.

A. De quoi parlions-nous hier quand nous nous séparâmes? De bonne foi, je ne m'en souviens plus. C. Vous parliez de l'éloquence, qui consiste toute à émouvoir.

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