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des précautions qu'il avoit à prendre : car il étoit impor→. tant qu'il ne fût pas reconnu lui-même, ni de sa femme ni d'aucun de ses sujets, avant qu'il eût tiré vengeance des poursuivans de Pénélope. Ulysse s'écria donc en s'éveillant Malheureux que je suis, dans quel pays me trouvé-je? Grands dieux ! les Phéaciens n'étoient donc pas si sages ni si justes que je le pensois : ils m'avoient promis de me ramener à ma chère Ithaque, et ils m'ont exposé sur une terre étrangère.

Pendant qu'il est plongé dans ces tristes pensées, Minerve s'approche de lui sous la figure d'un jeune berger, Ulysse, ravi de cette rencontre, lui adresse ces paroles: Berger, je vous salue; ne formez pas contre moi de mauvais desseins, sauvez-moi toutes ces richesses, (en lui montrant les présens qu'on avoit débarqués sur le rivage) et sauvez-moi moi-même. Je vous adresse mes prières comme à un dieu tutélaire, et j'embrasse vos genoux comme votre suppliant. Quelle est cette terre? quelle est son peuple? Est-ce une île? ou n'est-ce ici que la plage de quelque continent?

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Ce pays est célèbre, lui répondit Minerve; c'est une île qu'on appelle Ithaque. J'en ai fort entendu parler, dit Ulysse qui vouloit dissimuler son nom et sa joie. Il se donne même à la déesse pour un Crétois qu'une affaire malheureuse forçoit à chercher un asile loin de salpatrie. La déesse sourit de sa feinte, et le prenant par la main, elle lui parla en ces termes : O le plus dissimulé des mortels, homme inépuisable en détours et en finesse, dans le sein même de votre patrie vous ne pouvez vousfempêcher de recourir à vos déguisemens ordinaires ! Mais laissons là ces tromperies. Ne reconnoissez-vous point [encore Minerve qui vous assiste, qui vous soutient, qui vous a tiré de tant de dangers, et procuré enfin un heureux]retour dans votre patrie? Gardez-vous bien de vous faire connoître à personne souffrez dans le silence tous les maux,

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tous les affronts et toutes les insolences que vous aurez à essuyer de la part des poursuivans et de vos sujets.

Ne m'abusez-vous pas, grande déesse ? répliqua Ulysse; est-il bien vrai que je sois à Ithaque?

Vous êtes toujours le même, repartit Minerve, toujours soupçonneux et défiant. En achevant ces mots, elle dissipe le nuage dont elle l'avoit environné, et il reconnut avec transport la terre qui l'avoit nourri. Après cela, il chercha avec la déesse à mettre ses trésors en sûreté dans l'antre des Naïades, à la garde desquelles il se confia; puis il la pria de lui inspirer la même force et le même courage qu'elle lui avoit inspirés lorsqu'il saccagea la superbe ville de Priam. Je vous protégerai toujours, répondit Minerve: mais, avant toutes choses, je vais dessécher et rider votre peau, faire tomber ces beaux cheveux blonds, et vous couvrir de haillons : ainsi changé, allez trouver votre fidèle Eumée, à qui vous avez donné l'intendance d'une partie de vos troupeaux; c'est un homme plein de sagesse, et qui est entièrement dévoué à votre fils et à la sage Pénélope. Demeurez près de lui pendant que j'irai à Sparte chercher Télémaque, qui est allé chez Ménélas pour apprendre de vos nouvelles. En finissant ces mots, elle touche Ulysse de sa baguette, et le métamorphose en pauvre mendiant ; et, après avoir pris les mesures les plus propres à faire réussir les projets de vengeance du fils de Laërte, la fille de Jupiter s'envole à Sparte pour ramener Télémaque.

PRÉCIS DU LIVRE XIV.

ULYSSE s'éloigne du port où il avoit entretenu Minerve, s'avance vers sa demeure, et trouve Eumée sous des portiques qui régnoient autour de la belle maison qu'il avoit bâtie de ses épargnes. Les chiens, apercevant Ulysse sous la figure d'un mendiant, se mirent à aboyer, et l'auroient dévoré si le maître des pasteurs ne fût accouru promptement. Quel danger vous venez de courir ! s'écria-t-il. Vous m'avez exposé à des regrets éternels, les dieux m'ont envoyé assez d'autres déplaisirs sans celui-là. Je passe ma vie à pleurer l'absence et peut-être la mort de mon cher maître.

En achevant ces mots, il fait entrer Ulysse, et l'invite - à s'asseoir. Celui-ci, ravi de ce bon accueil, lui en témoigne sa reconnoissance avec une sorte d'étonnement. Eumée lui réplique que quand il seroit dans un état plus vil, il ne lui seroit pas permis de le mépriser. Tous les étrangers, lui dit-il, tous les pauvres sont sous la protection spéciale de Jupiter, c'est lui qui nous les adresse. Je ne suis pas en état de faire beaucoup pour eux; j'aurois plus de liberté si mon cher maître étoit ici; mais les dieux lui ont fermé toute voie de retour. Je puis dire qu'il m'aimoit : et que d'avantages n'aurois-je pas retirés de son affection, s'il avoit vieilli dans son palais! mais il ne vit peut-être plus.

Ayant ainsi parlé, il se pressa de servir à manger à Ulysse, et lui raconta tout ce qu'il avoit à souffrir des poursuivans de Pénélope, et avec quelle douleur il les voyoit consumer les richesses immenses du roi d'Itaque, dont il lui fait le détail. Le prétendu mendiant demande au bon Eumée le nom de son maître, qu'il a peut-être vu

dans quelques-unes des contrées qu'il a parcourues. Ah! mon ami, répondit l'intendant des bergers, ni ma maîtresse ni son fils n'ajouteront plus de foi à tous les voyageurs qui se vanteront d'avoir vu Ulysse; on sait que les étrangers qui ont besoin d'assistance forgent des mensonges pour se rendre agréables, et ne disent presque jamais la vérité. Peut-être que vous-même, bon homme, vous inventeriez de pareilles fables si l'on vous donnoit de meilleurs habits à la place de ces haillons. Mais il est certain que l'ame d'Ulysse est à présent séparée de son

corps.

Mon ami, répondit Ulysse, quoique vous persistiez dans vos défiances, je ne laisse pas de vous assurer, et même avec serment, que vous verrez bientôt votre maître de retour. Que la récompense pour la botine nouvelle que je vous annonce soit prête; je vous demande que vous changiez ces vêtemens délabrés en magnifiques habits: mais, quelque besoin que j'en aie, je ne les recevrai qu'après son arrivée; car je hais et je méprise ceux qui, cédant à la pauvreté, ont la bassesse de recourir à des fourberies.

Eumée, peu sensible à ces belles promesses, le pria de n'en plus parler, et de ne point réveiller inutilement son chagrin. Racontez-moi, lui dit-il, vos aventures; ditesmoi, sans déguisement, qui vous êtes, votre nom, votre patrie, sur quel vaisseau vous êtes venu, car la mer est le seul chemin qui puisse mener dans cette île.

Ulysse, à son ordinaire, lui bâtit une fable; il feignit d'être de l'île de Crète, fils d'un homme riche, et ajouta que l'envie de voyager lui avoit fait faire beaucoup de courses sur mer, qu'il s'y étoit enrichi; mais que, dans une expédition sur le fleuve Égyptus, ses gens, contre son intention, pillèrent les fertiles champs des Égyptiens : ils en furent punis; les habitans les massacrèrent tous, ou les firent esclaves; lui-même se rendit au Roi, qui lui sauva la vie, et, après l'avoir retenu dans son palais pen

dant sept ans, le renvoya comblé de richesses et de présens. Il se confia à un Phénicien, grand imposteur, qui le séduisit par de belles paroles. Je partis sur son vaisseau, dit Ulysse une affreuse tempête me jeta sur la terre des Thesprotes. Le héros Phidon, qui régnoit dans cette contrée, me traita avec bonté et avec magnificence; pressé de m'en retourner, je m'embarquai sur un vaisseau qui partoit pour Dulichium. Le patron et ses compagnons, malgré les ordres et les recommandations de leur roi, me dépouillèrent de mes beaux habits, m'enlevèrent mes richesses, me couvrirent de ces vieux haillons, et me lièrent à leur mât. Je rompis mes liens pendant la nuit ; je me jetai à la mer, et j'abordai, à la nage, près d'un grand bois où je me suis caché. C'est ainsi que les dieux m'ont sauvé des mains de ces barbares, et qu'ils m'ont conduit dans la maison d'un homme sage et plein de vertu Que vous m'avez touché par le récit de vos aventures! repartit Eumée mais soit que ce soient des contes, soit que vous m'ayez dit la vérité, ce n'est point là ce qui m'oblige à vous bien traiter; c'est Jupiter, qui préside à l'hospitalité, et dont j'ai toujours la crainte devant les yeux; c'est la compassion que j'ai naturellement pour les malheureux.

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Que vous êtes défiant! répondit Ulysse. Mais faisons un traité vous et moi : si votre roi revient dans ses États comme et dans le temps que je vous ai dit, vous me donnerez des habits magnifiques et un vaisseau bien équipé pour me rendre à Dulichium; et, s'il ne revient pas, je consens que vous me fassiez précipiter du haut de ces grands rochers.

Non, non, dit le bon Eumée, vous ne périrez pas de ma main quoi qu'il arrive. Que deviendroit ma réputation de bonté que j'ai acquise parmi les hommes ? que deviendroit ma vertu, qui m'est encore plus précieuse que ma réputation, si j'allois vous ôter la vie, et violer ainsi toutes les lois de l'hospitalité ?

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