Obrázky na stránke
PDF
ePub

:

B. Oui j'avois peine à comprendre cela; comment l'entendez-vous?

A. Le voici. Que diriez-vous d'un homme qui persuaderoit sans prouver? Ce ne seroit pas là le vrai orateur; il pourroit séduire les autres hommes, ayant l'invention de les persuader sans leur montrer que ce qu'il leur persuaderoit seroit la vérité. Un tel homme seroit dangereux dans la république; c'est ce que nous avons vu dans les raisonnemens de Socrate.

B. J'en conviens.

A. Mais que diriez-vous d'un homme qui prouveroit la vérité d'une manière exacte, sèche, nue, qui mettroit ses argumens en bonne forme, ou qui se serviroit de la méthode des géomètres dans ses discours publics, sans y ajouter rien de vif et de figuré? seroit-ce un orateur?

B. Non, ce ne seroit qu'un philosophe.

A. Il faut donc, pour faire un orateur, choisir un philosophe, c'est-à-dire un homme qui sache prouver la vérité, et ajouter à l'exactitude de ses raisonnemens la beauté et la véhémence d'un discours varié pour en faire un orateur.

B. Oui, sans doute.

A. Et c'est en cela que consiste la différence de la conviction de la philosophie, et de la persuasion de l'éloquence.

B. Comment dites-vous? Je n'ai pas bien compris. A. Je dis que le philosophe ne fait que convaincre,

et que l'orateur, outre qu'il convainc, persuade. B. Je n'entends pas bien encore. Que reste-t-il à faire quand l'auditeur est convaincu?

A. Il reste à faire ce que feroit un orateur plus qu'un métaphysicien en vous montrant l'existence de Dieu. Le métaphysicien vous fera une démonstration simple qui ne va qu'à la spéculation : l'orateur y ajoutera tout ce qui peut exciter en vous des sentimens, et vous faire aimer la vérité prouvée; c'est ce qu'on appelle persuasion.

B. J'entends à cette heure votre pensée.

4. Cicéron a eu raison de dire qu'il ne falloit jamais séparer la philosophie de l'éloquence car le talent de persuader sans science et sans sagesse est pernicieux; et la sagesse, sans art de persuader, n'est point capable de gagner les hommes et de faire entrer la vertu dans les cœurs. Il est bon de remarquer cela en passant, pour comprendre combien les gens du dernier siècle se sont trompés. Il y avoit, d'un côté, des savans à belles-lettres qui ne cherchoient que la pureté des langues et les livres poliment écrits; ceuxlà, sans principes solides de doctrine, avec leur politesse et leur érudition, ont été la plupart libertins. D'un autre côté, on voyoit des scolastiques secs et épineux, qui proposoient la vérité d'une manière si désagréable et si peu sensible, qu'ils rebutoient presque tout le monde. Pardonnez-moi cette digression; je reviens à mon but. La persuasion a donc audessus de la simple conviction, que non-seulement elle fait voir la vérité, mais qu'elle la dépeint aimable, et qu'elle émeut les hommes en sa faveur : ainsi, dans l'éloquence, tout consiste à ajouter à la preuve solide les moyens d'intéresser l'auditeur, et d'employer ses passions pour le dessein qu'on se propose. On lui inspire l'indignation contre l'ingratitude,

l'horreur contre la cruauté, la compassion pour la misère, l'amour pour la vertu, et le reste de même. Voilà ce que Platon appelle agir sur l'ame de l'auditeur et émouvoir ses entrailles. L'entendez-vous maintenant?

B. Oui, je l'entends: et je vois bien par là que l'éloquence n'est point une invention frivole pour éblouir les hommes par des discours brillans; c'est un art très-sérieux, et très-utile à la morale.

A. De là vient ce que dit Cicéron, qu'il a vu bien des gens diserts, c'est-à-dire qui parloient avec agrément et d'une manière élégante; mais qu'on ne voit presque jamais de vrai orateur, c'est-à-dire d'homme qui sache entrer dans le cœur des autres, et qui les entraîne.

B. Je ne m'en étonne plus, et je vois bien qu'il n'y a presque personne qui tende à ce but. Je vous avoue que Cicéron même, qui posa cette règle, semble s'en être écarté souvent. Que dites-vous de toutes les fleurs dont il a orné ses harangues? Il me semble que l'esprit s'y amuse, et que le cœur n'en est point ému.

A. Il faut distinguer, monsieur. Les pièces de Cicéron encore jeune, où il ne s'intéresse que pour sa réputation, ont souvent ce défaut : il paroît bien qu'il est plus occupé du désir d'être admiré, que de la justice de sa cause. C'est ce qui arrivera toujours, lorsqu'une partie emploiera, pour plaider sa cause, un homme qui ne se soucie de son affaire que pour remplir sa profession avec éclat : aussi voyons-nous que la plaidoierie se tournoit souvent chez les Romains en déclamation fastueuse. Mais, après tout, il

faut avouer qu'il y a dans ces harangues, même les plus fleuries, bien de l'art pour persuader et pour émouvoir. Ce n'est pourtant pas par cet endroit qu'il faut voir Cicéron pour le bien connoître; c'est dans les harangues qu'il a faites, dans un âge plus avancé, pour les besoins de la république : alors l'expérience des grandes affaires, l'amour de la liberté, la crainte des malheurs dont il étoit menacé, lui faisoient faire des efforts dignes d'un orateur. Lorsqu'il s'agit de soutenir la liberté mourante, et d'animer toute la république contre Antoine son ennemi, vous ne le voyez plus chercher des jeux d'esprit et des antithèses : c'est là qu'il est véritablement éloquent; tout y est négligé, comme il dit lui-même, dans l'Orateur, qu'on le doit être lorsqu'il s'agit d'être véhément: c'est un homme qui cherche simplement dans la seule nature tout ce qui est capable de saisir, d'animer et d'entraîner les hommes.

C. Vous nous avez parlé souvent des jeux d'esprit, je voudrois bien savoir ce que c'est précisément; car je vous avoue que j'ai peine à distinguer, dans l'occasion, les jeux d'esprit d'avec les autres ornemens du discours il me semble que l'esprit se joue dans tous les discours ornés.

:

4. Pardonnez-moi : il y a, selon Cicéron même, des expressions dont tout l'ornement naît de leur force et de la nature du sujet.

C. Je n'entends point tous ces termes de l'art; expliquez-moi, s'il vous plaît, familièrement à quoi je pourrai d'abord reconnoître un jeu d'esprit et un ornement solide.

A. La lecture et la réflexion pourront vous l'ap

prendre; il y a cent manières différentes de jeux d'esprit.

C. Mais encore: de grâce, quelle en est la marque générale ? est-ce l'affectation?

A. Ce n'est pas toute sorte d'affectation; mais c'est celle de vouloir plaire et montrer son esprit.

C. C'est quelque chose : mais je voudrois encore des marques plus précises pour aider mon discer

nement.

A. Hé bien! en voici une qui vous contentera peut-être. Nous avons déja dit que l'éloquence consiste, non-seulement dans la preuve, mais encore dans l'art d'exciter les passions. Pour les exciter, il faut les peindre; ainsi je crois que toute l'éloquence se réduit à prouver, à peindre et à toucher. Toutes les pensées brillantes qui ne vont point à une de ces trois choses ne sont que jeu d'esprit.

C. Qu'appelez-vous peindre? Je n'entends point tout votre langage.

A. Peindre, c'est non-seulement décrire les choses, mais en représenter les circonstances d'une manière si vive et si sensible, que l'auditeur s'imagine presque les voir. Par exemple, un froid historien qui raconteroit la mort de Didon se contenteroit de dire: Elle fut si accablée de douleur après le départ d'Enée, qu'elle ne put supporter la vie; elle monta au haut de son palais, elle se mit sur un bûcher et se tua elle-même. En écoutant ces paroles vous apprenez le fait, mais vous ne le voyez pas. Écoutez Virgile, il le mettra devant vos yeux. N'est-il pas vrai que, quand il ramasse toutes les circonstances de ce désespoir, qu'il vous montre Didon furieuse avec un

« PredošláPokračovať »