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je n'ai que de méchants habits? J'ai été autrefois environné de toute la magnificence qui attire les regards; Jupiter a renversé cette grande fortune que cet exemple vous rende plus sage; craignez de perdre cette faveur qui vous relève au-dessus de vos compagnes.

Pénélope la reprend aussi, et lui impose silence. Elle fait asseoir Ulysse auprès d'elle, et lui demande quel est son nom, où il a pris naissance, et ce que font ses parens. Ulysse feint qu'il est de l'île de Crète; qu'il y tenoit un rang distingué lorsque le roi d'Ithaque y a passé pour aller à Ilion: il le dépeint avec la plus grande exactitude, lui parle de l'habit qu'il portoit et de ceux qui l'accompagnoient: Il les a tous perdus, ajoute-t-il, à son retour; et je sais qu'il a été le seul à se sauver d'une tempête excitée par la colère des dieux. Pénélope lui dépeint à son tour ses inquiétudes et le chagrin que lui cause l'absence d'Ulysse. Je suis, dit-elle, persécutée par les princes que vous voyez mon cœur se refuse aux engagemens qu'ils me sollicitent de prendre; de peur de les irriter, je les amuse par des espérances que je ne voudrois pas réaliser. Je leur avois promis de me décider quand j'aurois achevé de broder un grand voile; j'y travaillois le jour, et la nuit je défaisois l'ouvrage que j'avois fait : quelques-unes de mes femmes m'ont trahie, et leur ont découvert cette innocente ruse. Je ne trouve plus d'expédient pour reculer, et je suis la plus malheureuse des femmes.

Temporisez encore, lui dit Ulyssse, et ne pleurez plus; le roi d'Ithaque est vivant vous le verrez bientôt. Je jure, par ce foyer où je me suis réfugié, qu'il reviendra dans cette année.

Dieu veuille que ce bonheur m'arrive, comme vous me le promettez répondit la sage Pénélope; mais, si j'eu crois mes pressentimens, il ne reviendra pas, et personne ne pourra vous fournir les moyens de retourner dans votre patrie.

Cependant la Reine, touchée de ce que cet étranger

venoit de lui raconter, ordonne à ses femmes d'en prendre soin, de lui dresser un bon lit, de lui laver les pieds et de le parfumer d'essences. Celle, dit-elle, qui le maltraiteroit, ou qui lui feroit la moindre peine, encourroit mon indignation les hommes n'ont sur la terre qu'une vie fort courte; c'est pourquoi il faut l'employer à faire du bien.

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Princesse, répondit Ulysse, modérez votre générosité; je ne suis point accoutumé à tant d'égards; je ne souffrirai pas que ces jeunes femmes me rendent les services que vous exigez d'elles.

Recevez-les du moins, lui dit Pénélope, d'Euryclée, la nourrice de mon cher et infortuné Ulysse : vous m'avez inspiré un véritable intérêt, et de tous les étrangers qui sont venus dans mon palais, il n'y en a point qui aient marqué dans leurs discours et dans leurs actions tant de vertu et tant de sagesse. Allez donc, dit-elle à Euryclée, allez laver les pieds de cet hôte qui paroît de même âge que mon cher prince: je m'imagine qu'Ulysse est fait comme lui, et dans un état aussi pitoyable; car les hommes dans la misère vieillissent promptement.

Ah! s'écrie alors Euryclée, c'est son absence qui cause tous mes chagrins. Seroit-il l'objet de la haine de Jupiter, malgré sa piété? car jamais prince n'a offert à ce dieu tant de sacrifices, ni des héca tombes si parfaites. Je vous l'avoue, pauvre étranger, malgré votre misère vous me causez de grandes agitations: je n'ai vu personne qui ressemblât à Ulysse autant que vous; c'est sa taille, sa voix, toute sa démarche. Vous n'êtes pas la seule, lui dit Ulysse, qui ayez été frappée de cette ressemblance.

Euryclée prit alors un vaisseau; et lorsqu'elle lui lava les pieds, elle le reconnut à une cicatrice qui lui restoit d'une blessure que lui avoit faite un sanglier sur le mont Parnasse, où il étoit allé chasser autrefois avec le fils d'Autolycus, son aïeul maternel, père d'Anticlée sa mère. Ulysse, se jetant sur elle, lui mit la main sur la bouche,

et

et de l'autre il la tira à lui, et lui dit : Ma chère nourrice, gardez-vous de parler, vous me perdriez, et je m'en vengerois. Ah! mon cher fils, répondit-elle, ne connoissezvous pas ma fidélité et ma constance? Je garderai votre secret, et je serai aussi impénétrable que la pierre la plus dure, que le fer même.

Après qu'elle eut achevé de laver les pieds d'Ulysse, et qu'elle les eut frottés et parfumés, il s'approcha du feu pour se chauffer. Alors Pénélope lui dit : Je ne vous demande plus qu'un moment d'entretien, car voilà bientôt l'heure du repos pour ceux que le chagrin n'empêche pas de goûter les douceurs du sommeil pour moi je ne puis presque plus fermer la paupière. Comme la plaintive Philomèle pleure sans cesse son cher Ityle, qu'elle a tué par une cruelle méprise, moi-même je pleure sans cesse, et mon esprit est agité de pensées tristes et diverses: des songes cruels me tourmentent, et il faut que je vous raconte le dernier que j'ai eu. J'ai dans ma basse-cour vingt oisons domestiques que je nourris, et que j'aime à voir : il m'a semblé qu'un aigle est venu du sommet de la montagne voisine fondre sur ces oisons, et leur a rompu le cou; puis, avec une voix articulée comme celle d'un homme, il m'a crié de dessus les créneaux de la muraille où il étoit allé se poser : Fille d'Icarius, prenez courage, ce n'est pas ici un vain songe; ces oisons ce sont les poursuivans, et moi je suis votre mari qui viens vous délivrer et les punir.

Grande reine, reprit Ulysse, n'en doutez pas, la mort va fondre sur la tête des poursuivans; aucun d'eux ne pourra se dérober à sa cruelle destinée.

Hélas! dit alors Pénélope, rien de plus incertain que les songes, et je n'ose me flatter que le mien s'accomplisse, Le jour de demain est le malheureux jour qui va m'arracher de cette demeure: je vais proposer un combat dont je serai le prix ; celui qui se servira le mieux de l'arc d'Ulysse, et fera passer ses flèches dans des bagues suspendues à douze piliers, m'emmènera avec lui, et pour FÉNÉLON. XXI. 30

le suivre je quitterai ce palais si riche, où je suis venue dès ma première jeunesse, et dont je ne perdrai jamais le souvenir, même dans mes songes.

Ulysse, plein d'admiration pour la prudence de Péné– lope, l'exhorte à ne pas différer de proposer ce combat ; car, lui dit-il, vous verrez plutôt votre mari de retour que vous ne verrez les poursuivans se servir de son arc, et faire passer les flèches au travers de tous ces anneaux.

Que je trouve de charmes dans cette conversation! s'écria la Reine en soupirant; que je serois aise de la prolonger! mais il n'est pas juste de vous empêcher de dormir les dieux ont réglé la vie des hommes; ils ont fait le jour pour le travail, et la nuit pour le repos. Je vais donc me coucher sur ce triste lit, témoin de mes douleurs, et si souvent arrosé de mes larmes.

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En disant ces mots, elle le quitte et monte dans son magnifique appartement.

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PRÉCIS DU LIVRE XX.

ULYSSE se retire dans le vestibule, et se couche sur une peau de bœuf qui n'avoit point été préparée : le sommeil ne ferma pas ses paupières; il étoit trop occupé de trou→ ver des moyens de se venger de ses ennemis. Cependant les femmes de Pénélope sortent secrètement de l'appartement de la Reine pour aller aux rendez-vous ordinaires qu'elles avoient avec les poursuivans. La vue de ce désordre excita la colère d'Ulysse il délibéra s'il ne les en puniroit pas sur l'heure; mais, à la réflexion, il s'apaisa. Supportons encore cet affront, se dit-il à lui-même; attendons que nous ayons puni les insolens qui veulent me ravir Pénélope.

Comme il étoit dans ces agitations, Minerve descendit des cieux, et vint se placer auprès de lui. Malheureux Ulysse, pourquoi ne dormez-vous pas ? lui dit la déesse : vous vous retrouvez dans votre maison, votre femme est fidèle, et vous avez un fils tel qu'il n'y a point de père qui ne voulût que son fils lui ressemblât.

Je mérite vos reproches, grande déesse, lui répondit Ulysse; mais je roule dans la tête de grands projets, je veux les exécuter, et j'en redoute les suites.

Vous ne comptez donc, reprit Minerve, que sur vos forces et votre prudence: ignorez-vous que je vous protége? et douterez-vous toujours de mon pouvoir? Dormez tranquillement, et attendez tout de mon secours : bientôt vous verrez finir les malheurs qui vous accablent.

En finissant ces mots, Minerve versa sur ses yeux un doux sommeil qui calma ses chagrins, et reprit son vol vers l'Olympe. Mais la sage Pénélope, succombant à ses peines, s'écria en gémissant: Que les dieux, témoins de mon désespoir, m'ôtent la vie, qui m'est odieuse! qu'ils me permettent d'aller rejoindre mon cher Ulysse dans le séjour même des ténèbres et de l'horreur! que je ne sois pas réduite à faire la joie d'un second mari!

Ulysse entendit les gémissemens de Pénélope; il craignit d'en avoir été reconnu. Il délibéra s'il n'iroit pas se présenter à elle; mais auparavant il lève les mains au ciel, et fait aux dieux cette prière Père des dieux et des hommes, grand Jupiter, dirigez mes pas; que je puisse tirer quelque bon augure des premiers mots que j'entendrai prononcer! que je sois rassuré par quelque prodige de votre puissance!

Le dieu du ciel exauça sa prière; il fit gronder la foudre. Une femme occupée à moudre de l'orge et du froment, étonnée d'entendre le tonnerre, quoique le ciel fût sans nuages, s'écria: Sans doute, père des dieux, que vous envoyez à quelqu'un ce merveilleux prodige! Hélas! daiછે guez accomplir le désir d'une malheureuse; faites qu'au

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