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de sa foiblesse, elle court à lui, le visage baigné de pleurs ; et en l'embrassant avec toutes les marques d'une véritable tendresse, elle lui dit : Mon cher Ulysse, ne soyez point irrité contre moi, ne me faites plus de reproches. Depuis votre départ j'ai été dans une appréhension continuelle que quelqu'un ne vînt me surprendre par des apparences trompeuses. Combien d'exemples de ces surprises! Hélène même, quoique fille de Jupiter, ne fut-elle pas trompée? Présentement que vous m'en donnez des preuves si fortes, je vous reconnois pour mon cher Ulysse que je pleure depuis si long-temps.

Ces paroles attendrirent Ulysse, et le remplirent d'admiration pour la vertu et la prudence de Pénélope. Hélas! lui dit-il alors en soupirant, nous ne sommes pas encore à la fin de tous nos travaux; il m'en reste un à entreprendre, et c'est le plus long et le plus difficile, comme Tirésias me le déclara le jour que je descendis dans le ténébreux palais de Pluton pour consulter ce devin sur les moyens de retourner dans ma patrie.

Quel est-il? répliqua Pénélope : comment se terminera-t-il?

Heureusement, lui répondit Ulysse, et le devin m'a assuré que la mort ne trancheroit le fil de mes jours qu'au bout d'une longue et paisible vieillesse, qu'après que j'aurois rendu mon peuple heureux et florissant.

Ulysse lui raconta ensuite tout ce qu'il avoit éprouvé de malheurs, tout ce qu'il avoit couru de dangers depuis son départ de Troie : il commença par la défaite des Ciconiens; il lui fit le détail des cruautés du cyclope Polyphême, et de la vengeance qu'il avoit tirée du meurtre de ses compagnons, que ce monstre avoit dévorés; il lui raconta son arrivée chez Eole, les caresses insidieuses de Circé, sa descente aux enfers pour y consulter l'ame de Tirésias; il lui peignit les rivages des Sirènes, les merveilles de leurs chants et le péril qu'il y avoit à les entendre; il lui parla des écueils effroyables de Charybde et de

Scylla, de son arrivée dans l'île de Trinacrie, de l'imprudence de ses compagnons qui tuèrent les bœufs du Soleil, du naufrage et de la mort de ses compagnons en punition de ce crime, et de la pitié que les dieux eurent de lui en le faisant aborder seul dans l'île de Calypso; il n'oublia pas les efforts de la déesse pour le retenir, ni les offres qu'elle lui fit de l'immortalité. Enfin il lui raconta comment, après tant de travaux, il étoit arrivé chez les Phéaciens, et de là à Ithaque.

Il finit là son histoire : le sommeil vint le délasser de ses fatigues; et, quand l'aurore parut, il partit pour aller embrasser son père, en ordonnant à Pénélope de se tenir dans son appartement, et de ne se laisser voir à personne.

PRÉCIS DU LIVRE XXII.

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CEPENDANT Mercure avoit assemblé les ames des poursuivans de Pénélope. Il tenoit à la main sa verge d'or, et ces, ames le suivoient avec une espèce de frémissement. Arrivées dans la prairie d'Asphodèle, où habitent les on.bres, elles trouvèrent l'ame d'Achille, celle de Patrocle, celle d'Antiloque, celle d'Ajax, le plus beau et le plus vaillant des Grecs après le fils de Pélée. L'ame d'Agamemnon étoit venue les joindre. Achille, lui adressant la parole, lui dit : Fils d'Atrée, nous pensions que de tous les héros vous étiez le plus chéri du maître du tonnerre; la Parque inexorable a donc tranché le fil de vos jours avant le temps?

Fils de Pélée, lui répondit Agamemnon, que vous êtes heureux d'avoir terminé votre vie sur le rivage d'Ilion! les plus braves des Grecs et des Troyens furent tués autour

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de vous, et jamais guerrier ne fut pleuré plus amèrement, jamais monarque ne reçut tant d'honneurs au moment de ses funérailles. La déesse votre mère, avertie par nos cris de votre mort funeste, sortit de la mer avec ses nymphes; elles environnèrent votre bûcher; et quand les flammes de Vulcain eurent achevé de vous consumer, elle nous donna une urne d'or, présent de Bacchus et chefd'œuvre de Vulcain, pour renfermer vos cendres précieuses avec celles de votre ami Patrocle. Toute l'armée travailla ensuite à vous élever un magnifique tombeau sur le rivage de l'Hellespont. Oui, divin Achille, la mort même n'a eu aucun pouvoir sur votre nom; il passera d'âge en âge, avec votre gloire, jusqu'à la dernière postérité. Et moi, quel avantage ai-je retiré de mes travaux ? J'ai péri honteusement, victime du traître Egisthe et de ma détestable femme.

Ils s'entretenoient encore, lorsque Mercure leur présenta les ames des poursuivans. Achille et Agamemnon ne les virent pas plus tôt, qu'ils s'avancèrent au-devant d'elles ils reconnurent le fils de Mélanthée, le vaillant Amphimédon. Quel accident, lui dirent-ils, a fait descendre dans ce séjour ténébreux une si nombreusé et si Vaillante jeunesse ?

:

C'est, répondit Amphimédon, la colère d'Ulysse: nous le croyions enseveli sous les eaux; nous poursuivions la main de Pénélope : elle ne rejetoit ni n'acceptoit aucun de nous; mais elle nous faisoit de vaines et inutiles promesses, dans l'espérance que son cher et vaillant Ulysse viendroit tôt ou tard la délivrer de nos poursuites. Il est arrivé après vingt ans de courses et de travaux ; et aidé de son seul Télémaque, il s'est, comme vous le voyez, cruellement vengé de notre témérité et de notre insolence.

Ah! s'écria aussitôt Agamemnon, que vous êtes heureux, fils de Laërte, d'avoir trouvé une femme si sage et si vertueuse! Quelle prudence dans cette fille d'Icarius ! quelle fidélité pour son mari! La mémoire de sa vertu ne mourra

elle

jamais et pour l'instruction des mortels, elle recevra l'hommage de tous les siècles. Pour la fille de Tyndare, sera le sujet de chants odieux et tragiques, et son nom sera à jamais couvert de honte et d'opprobre.

Ainsi s'entretenoient ces ombres dans le royaume de Pluton. Cependant Ulysse et Télémaque arrivent à la campagne du vieux Laërte: elle consistoit en quelques pièces de terre qu'il avoit augmentées par ses soins et par son travail, et dans une petite maison qu'il avoit bâtie; tout auprès l'on voyoit une espèce de ferme où logeoient ses domestiques peu nombreux qu'il avoit conservés : il avoit auprès de lui une vieille femme de Sicile, qui gouvernoit sa maison, et prenoit un grand soin de sa vieillesse dans ce désert où il s'étoit confiné. Ulysse ordonnà à son fils et aux bergers qui l'accompagnoient, de se retirer dans la maison, d'y porter ses armes et d'y préparer le dîner. Pour lui, il s'avança vers un grand verger où il trouva son père seul, occupé à arracher les mauvaises herbes qui croissoient autour d'un jeune arbre: il étoit vêtu d'une tunique fort usée, portoit de vieilles bottines de cuir, avoit aux mains des gants fort épais, et sur la tête un casque de peau de chèvre.

Quand Ulysse aperçut son père dans cet équipage pauvre et lugubre, il ne put retenir ses larmes : puis, se dé→ terminant à l'aborder, et craignant de se faire connoître trop promptement, il feignit d'être un étranger qui doutoit s'il étoit dans l'ile d'Ithaque. Il lui demande donc quelle est la région où il se trouve, le félicite sur le succès de ses travaux, la propreté de son jardin, et l'abondance de légumes et de fruits qu'il lui procuroit. Vous êtes, ajouta-t-il, vêtu comme un pauvre esclave, et cependant vous avez la mine d'un roi; que ne jouissez-vous donc du repos et des avantages que vous pourriez avoir ?

Il lui parla ensuite d'Ulysse, de l'hospitalité qu'il lui avoit donnée, des présens qu'il lui avoit faits. Hélas! FENELON. XXI.

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s'écria Laërte au nom d'Ulysse, mon cher fils n'est plus ! s'il étoit vivant, il répondroit à votre générosité.

Après ces mots, le vieillard tombe presque de foiblesse. Ulysse se jette alors tendrement à son cou, et lui dit : Mon père, je suis celui que vous pleurez. Si vous êtes Ulysse, ce fils si cher, répondit Laërte, donnez-moi un signe certain qui me force à vous croire.

Ulysse alors lui montre la cicatrice de l'énorme plaie que lui fit autrefois un sanglier sur le mont Parnasse, lors- ́ qu'il alla voir son grand-père Autolycus. Si ce signe ne suffit pas, je vais vous montrer dans ce jardin les arbres que vous me donnâtes autrefois, lorsque dans mon enfance je vous les demandai. Je vous en dirai le nombre et l'espèce.

A ces mots, le cœur et les genoux manquent à Laërte; mais revenu bientôt à lui, il s'écrie: Grand Jupiter ! il y a donc encore des dieux dans l'Olympe, puisque ces impies poursuivans ont été punis de leurs violences et de leurs injustices! Mais ne voudroit-on pas venger leur mort?

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Ne craignez rien, répond Ulysse allons dans votre maison, où j'ai envoyé Télémaque avec Eumée et Philétius, pour nous préparer à manger.

Ils entrent la vieille Sicilienne baigne son maître Laërte, le parfume d'essences, et lui donne un habit magnifique pour honorer ce grand jour. Dolius arrive aussi avec ses enfans: nouvelle reconnoissance très-attendrissante. On se met à table; et à peine a-t-on dîné, qu'on apprend qu'Eupithès, à la tête des habitans d'Ithaque, qu'il avoit soulevés pour venger la mort de son fils Antinous, arrivoit pour attaquer Ulysse.

On prend les armes. Laërte et Dolius s'en couvrent comme les autres, quoiqu'ils soient accablés sous le poids des ans. Ulysse fait ouvrir les portes; il sort fièrement à la tête de sa petite troupe; et dit à Télémaque : Mon fils, voici une occasion de vous distinguer, et de montrer ce

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