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amuser l'auditeur par le récit profane de la douleur d'Artémise, lorsqu'il faudroit tonner et ne donner que des images terribles de la mort?

B. Je vous entends, vous n'aimez pas les traits d'esprit. Mais sans cet agrément que deviendroit l'éloquence? Voulez-vous réduire tous les prédicateurs à la simplicité des missionnaires? Il en faut pour le peuple; mais les honnêtes gens ont les oreilles plus délicates, et il est nécessaire de s'accommoder à leur goût.

4. Vous me menez ailleurs je voulois achever de vous montrer combien ce sermon est mal conçu ; il ne me restoit qu'à parler de la division, mais je crois que vous comprenez assez vous-même ce qui me la fait désapprouver. C'est un homme qui donne trois points pour sujet de tout son discours. Quand on divise, il faut diviser simplement, naturellement : il faut que ce soit une division qui se trouve toute faite dans le sujet même; une division qui éclaircisse, qui range les matières, qui se retienne aisément, et qui aide à retenir tout le reste; enfin une division qui fasse voir la grandeur du sujet et de ses parties. Tout au contraire, vous voyez ici un homme qui entreprend d'abord de vous éblouir, qui vous débite trois épigrammes ou trois énigmes, qui les tourne et retourne avec subtilité; vous croyez voir des tours de passe-passe. Est-ce là un air sérieux et grave, propre à vous faire espérer quelque chose d'utile et d'important? Mais revenons à ce que vous disiez vous demandez si je veux donc bannir l'éloquence de la chaire?

B, Oui; il me semble que vous allez là.

A. Ha! voyons qu'est-ce que l'éloquence?
B. C'est l'art de bien parler.

4. Cet art n'a-t-il point d'autre but que celui de bien parler? les hommes en parlant n'ont-ils point quelque dessein? parle-t-on pour parler?

B. Non, on parle pour plaire et pour persuader. 4. Distinguons, s'il vous plaît, monsieur, soigneusement ces deux choses on parle pour persuader, cela est constant; on parle aussi pour plaire, cela n'arrive que trop souvent. Mais quand on tâche de plaire, on a un autre but plus éloigné, qui est néanmoins le principal. L'homme de bien ne cherche à plaire que pour inspirer la justice et les autres vertus en les rendant aimables; celui qui cherche son intérêt, sa réputation, sa fortune, ne songe à plaire que pour gagner l'inclination et l'estime des gens qui peuvent contenter son avarice ou son ambition ainsi cela même se réduit encore à une manière de persuasion que l'orateur cherche; il veut plaire pour flatter, et il flatte pour persuader ce qui convient à son intérêt.

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B. Enfin vous ne pouvez disconvenir que les hommes ne parlent souvent que pour plaire. Les orateurs païens ont eu ce but. Il est aisé de voir dans les discours de Cicéron, qu'il travailloit pour sa réputation : qui ne croira la même chose d'Isocrate et de Démosthène?

Tous les anciens panégyristes songeoient moins à faire admirer leurs héros, qu'à se faire admirer euxmêmes; ils ne cherchoient la gloire d'un prince, qu'à cause de celle qui leur devoit revenir à euxmêmes pour l'avoir bien loué. De tout temps cette

ambition a semblé permise chez les Grecs et chez les Romains par cette émulation, l'éloquence se perfectionnoit, les esprits s'élevoient à de hautes pensées et à de grands sentimens; par là on voyoit fleurir les anciennes républiques : le spectacle que donnoit l'éloquence, et le pouvoir qu'elle avoit sur les peuples, la rendirent admirable, et ont poli merveilleusement les esprits. Je ne vois pas pourquoi on blâmeroit cette émulation, même dans des orateurs chrétiens, pourvu qu'il ne parût dans leurs discours aucune affectation indécente, et qu'ils n'affoiblissent en rien la morale évangélique. Il ne faut point blâmer une chose qui anime les jeunes gens, et qui forme les grands prédicateurs.

A. Voilà bien des choses, monsieur, que vous mettez ensemble: démêlons-les, s'il vous plaît, et voyons avec ordre ce qu'il en faut conclure; surtout évitons l'esprit de dispute; examinons cette matière paisiblement, en gens qui ne craignent que l'erreur; et mettons tout l'honneur à nous dédire dès que nous apercevons que nous serons trompés.

B. Je suis dans cette disposition, ou du moins je crois y être; et vous me ferez plaisir de m'avertir si vous voyez que je m'écarte de cette règle.

4. Ne parlons point d'abord des prédicateurs, ils viendront en leur temps: commençons par les orateurs profanes, dont vous avez cité ici l'exemple. Vous avez mis Démosthène avec Isocrate; en cela vous avez fait tort au premier : le second est un froid orateur, qui n'a songé qu'à polir ses pensées et qu'à donner de l'harmonie à ses paroles; il n'a eu qu'une idée basse de l'éloquence, et il l'a presque toute mise

dans l'arrangement des mots. Un homme qui a employé selon les uns dix ans, et selon les autres quinze, à ajuster les périodes de son Panégyrique, qui est un discours sur les besoins de la Grèce, étoit d'un secours bien foible et bien lent pour la république contre les entreprises du roi de Perse. Démosthène parloit bien autrement contre Philippe. Vous pouvez voir la comparaison que Denys d'Halicarnasse fait des deux orateurs, et les défauts essentiels qu'il remarque dans Isocrate. On ne voit dans celui-ci que des discours fleuris et efféminés, que des périodes faites avec un travail infini pour amuser l'oreille; pendant que Démosthène émeut, échauffe et entraîne les cœurs : il est trop vivement touché des intérêts de sa patrie pour s'amuser à tous les jeux d'esprit d'Isocrate; c'est un raisonnement serré et pressant, ce sont des sentimens généreux d'une ame qui ne conçoit rien que de grand, c'est un discours qui croît et qui se fortifie à chaque parole par des raisons nouvelles, c'est un enchaînement de figures hardies et touchantes; vous ne sauriez le lire sans voir qu'il porte la république dans le fond de son cœur c'est la nature qui parle elle-même dans ses transports; l'art est si achevé, qu'il n'y paroît point; rien n'égala jamais sa rapidité et sa véhémence. N'avez-vous pas vu ce qu'en dit Longin dans son Traité du Sublime?

B. Non n'est-ce pas ce traité que M. Boileau a traduit? est-il beau?

A. Je ne crains pas de dire qu'il surpasse à mon gré la Rhétorique d'Aristote. Cette Rhétorique, quoique très-belle, a beaucoup de préceptes secs, et plus

curieux qu'utiles dans la pratique; ainsi elle sert bien plus à faire remarquer les règles de l'art à ceux qui sont déjà éloquens, qu'à inspirer l'éloquence et à former de vrais orateurs: mais le Sublime de Longin joint aux préceptes beaucoup d'exemples qui les rendent sensibles. Cet auteur traite le sublime d'une manière sublime, comme le traducteur l'a remarqué; il échauffe l'imagination, il élève l'esprit du lecteur, il lui forme le goût, et lui apprend à distinguer judicieusement le bien et le mal dans les orateurs célèbres de l'antiquité.

B. Quoi ! Longin est si admirable! Hé! ne vivoitil pas du temps de l'empereur Aurélien et de Zé

nobie?

A. Oui; vous savez leur histoire.

B. Ce siècle n'étoit-il pas bien éloigné de la politesse des précédens? Quoi! vous voudriez qu'un auteur de ce temps-là eût le goût meilleur qu'Isocrate? En vérité, je ne puis le croire.

A. J'en ai été surpris moi-même : mais vous n'avez qu'à le lire; quoiqu'il fût d'un siècle fort gâté, il s'étoit formé sur les anciens, et il ne tient presque rien des défauts de son temps. Je dis presque rien, car il faut avouer qu'il s'applique plus à l'admirable qu'à l'utile, et qu'il ne rapporte guère l'éloquence à la morale; en cela il paroît n'avoir pas les vues solides qu'avoient les anciens Grecs, surtout les philosophes : encore même faut-il lui pardonner un défaut dans lequel Isocrate, quoique d'un meilleur siècle, lui est beaucoup inférieur; surtout ce défaut est excusable dans un traité particulier, où il parle, non de ce qui instruit les hommes, mais de ce qui

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