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Après avoir puisé dans les sources antiques tout ce qui pouvoit contribuer à l'intelligence de mon auteur; après avoir étudié la politique, les mœurs, le costume, le goût de son siècle, et collationné son texte sur de bons manuscrits, je préparai la seconde édition pour acquitter la dette que j'avois contractée : elle parut en 1782. On approuva les corrections de texte, les notes, et surtout le Discours sur les Satiriques latins, dont je n'avois d'abord présenté que l'esquisse.

Je me reposois de mes travaux au sein des lettres et de l'amitié, lorsqu'à mon retour des Pyrénées, dont j'ai tenté la description, le tocsin de 1789 se fait entendre. Il sonnoit, disoit-on, l'heure de la réforme et de la liberté. Je n'étois pas homme à rester en arrière, et je l'ai prouvé.

Nommé successivement électeur, officier municipal, enfin trois fois législateur, je me livre tout entier à ce qui pouvoit affermir la liberté naissante.

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Mais après de funestes dissensions, le jour fatal arrive, le 2 septembre 1792, jour d'exécrable mémoire, où je la crus perdue sans ressource cette précieuse liberté. Des tyrans qui n'avoient que l'audace et la soif du crime, mettent la république aux fers. Ils ne durent, ces tyrans subalternes, eux et leurs complices, ce détestable succès qu'à des forfaits si monstrueux, qu'il n'étoit pas donné à la prudence humaine de savoir s'en garantir. Et moi aussi j'eus l'honneur, dans cette affreuse catastrophe, d'être traîné de cachots en cachots avec soixantedouze de mes collègues, et n'en sortis que vers la fin de 1794, après y avoir tous langui pendant plus d'une année.

C'est en rentrant dans mes foyers dévastés que l'on vient me demander cette troisième Edition. Presque usé par quarante ans de travaux, et surtout par le malheur, je m'y refusai d'abord. Un ardent ami des Lettres et de ceux qui les cultivent, relève mes esprits abattus.

Eclairé, soutenu par ce savant modeste, d'ailleurs plein de goût et de sagacité, je recommence une lutte inégale, mais attrayante, contre un texte qui a toujours été le désespoir des plus habiles interprètes.

Combien de fois ce travail consolateur n'a-t-il pas été interrompu, troublé par la rage des factions renaissantes? combien de fois la plume ne m'est-elle pas tombée des mains? M'essayant autrefois, dans le tumulte des camps, à traduire Juvénal, je n'en avois que plus de ressort et d'énergie; c'est qu'il ne s'agissoit alors que de combattre les ennemis de l'Etat, et non d'exterminer des concitoyens.

Dans le cours de nos calamités et dé mes propres malheurs, on m'a supposé une ame plus stoïque peut-être que je ne l'avois en effet. Quoique résigné, je pleurois et sur la révolution souillée, et sur le sort de tant de victimes innocentes. Mais où m'emportent ces tristes souve

nirs?... Jamais ils ne s'effaceront de ma mémoire : quelque chose que je fasse, que je dise, j'y reviendrai toujours. O vous qui me lirez! ayez de l'indulgence et de la pitié pour un coeur brisé par la douleur. Pardonnez le désordre de cet écrit à celui qui le traçoit d'une main tremblante au sortir des prisons, où il n'attendoit que la mort, moins rigoureuse sans doute que le spectacle déchirant de ceux que, d'heure en heure, on appeloit au supplice, et dont la plupart le conjuroient de recevoir leurs derniers embrassemens.

Et c'est, je le répète, dans ces funèbres conjonctures, que l'on me demandoit de revoir le travail de mes années les plus heureuses, que l'on exigeoit de moi ce qu'il n'est guère possible d'exécuter qu'au sein du repos, du bonheur et de la paix. Mais, j'en conjure, qu'on se représente, s'il est possible, quel dut être mon retour dans une société récemment dissoute et ravagée; quel fut l'état

d'un homme qui, dans la plupart des maisons où il alloit chercher, et porter peut-être des consolations, n'y trouvoit que des scellés, et des orphelins manquant de tout! Ajoutez que le silence de la nuit, plus affligeant encore, ne me rappeloit que des idées sinistres qui, se combinant entre elles, m'offroient le possible en fait de maux, et nul remède.

Delà le retour involontaire et continuel sur nos désastres antérieurs. Que dirai-je? les tourmens de ma captivité, adoucie cependant par la présence momentanée et le dévouement héroïque d'un homme vertueux; le fer si longtemps suspendu sur ma tête et celle de mes collègues ; la fleur des représentans traînés à l'échafaud; l'honneur de la nation proscrit de jour en jour, les Bailly, la Rochefoucauld, Malesherbes, Angran, Freteau, et des milliers d'autres victimes non moins recommandables; en un mot, le sang des citoyens de toutes les classes, sans égard à l'âge, au sexe, aux vertus

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