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aux enfans qu'il faut éviter de faire connoître Dieu; c'est encore au peuple & à quiconque n'a pas philofophé, crainte de faire des Idolâtres & des Anthropomorphites. Ainfi voilà par votre arrêt, les trois quarts & demi du genre humain condamnés à ignorer toute leur vie s'il y a un Dieu. Que dis-je, les trois quarts? Sur mille hommes, à peine en trouveronsnous un qui ait philosophé. Ainfi la connoiffance de Dieu doit être accordée tout au plus à la milliéme partie de notre efpéce. Eft-il poffible, Monfieur, qu'avec autant de pénétration que vous en avez, vous n'ayez pas fenti les conféquences de vos principes?

Vous vous évertuez pour prouver que la connoiffance de Dieu n'eft pas toujours néceffaire; que Dieu peut bien ne pas l'exiger des enfans. Suppofons - le pour un moment. Donc il ne faut pas la leur donner? C'eft mal conclure, Quand cette connoiffance ne feroit pas néceffaire, il fuffit qu'elle foit utile. Ór, une idée confufe de la Divinité ne peutelle pas fervir à préferver un enfant du vice: & à tout prendre, ne vaut-il pas mieux avoir une Religion imparfaite, que de n'en pas avoir du tout? Tous les peuples du monde, dites-vous, fans en excep

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ter les Juifs, fe font repréfentés Dieu corporel; & combien de Chrétiens, fur-tout de Catholiques, font encore aujourd'hui dans ce cas-là (a)! L'accufation eft faufse dans tous fes points; mais je veux bien encore la fuppofer vraie. Cette idée groffiere de Dieu a cependant contribué & contribue à les rendre vertueux; pourquoi ne produiroit-elle pas le même effet dans les enfans, en attendant que la raifon parvienne à une connoiffance de Dieu plus distincte?

Si Dieu n'exige pas d'être connu de ceux qui n'en font pas capables, il l'exige du moins de ceux qui peuvent le connoître; par conféquent il veut qu'on le faffe connoître à tous ceux qui en font fufceptibles, felon le dégré de leur capacité. S'il ne punit pas ceux qui l'auront ignoré, fans qu'il y ait de leur faute, il punira certainement les Précepteurs qui auroient négligé de le faire connoître à leurs Eleves. Parce que les enfans ne font pas encore en état de recevoir les notions fublimes de la Divinité, telles que les peut avoir un Philofophe; s'enfuit-il qu'il faut les priver des notions imparfaites dont la raifon naissante eft

(a) Emile, tome 2, p. 315, & Lettre, p. 35.

déja

déja fafceptible? L'inconvénient, que je vous ai deja objecté, revient ici de nouveau tant de nations fauvages & barbares qui jamais ne connoîtroient Dieu par elles-mêmes, à ce que vous prétendez; le bas peuple, parmi nous dont vous exagérez fi fort la ftupidité, ne doivent point être inftruits de l'existence de Dieu, de peur qu'ils ne s'en forment une fauffe idée. Quelle différence mettez-vous entre les peuples groffiers & les enfans? Aucune, parce que les premiers feront enfans jufqu'à la mort; vous les condamnez donc à mourir fans connoître Dieu : & de peur de les rendre Idolâtres, il faut bien fe garder de les faire Chrétiens.

Voyez, Monfieur, combien je fuis facile à votre égard; vous devez m'en fçavoir gré. Je vous paffe qu'un enfant ne foit pas capable à quinze ans de connoître Dieu par lui-même ; je vous passe que Dieu ne l'exige point de lui; je vous paffe qu'il ne puiffe penfer à Dieu, fans s'en former une image avec toutes ces fuppofitions, vous n'avez encore rien prouvé, parce que vous avez trop prouvé. Dès que vous concluez qu'il ne faut point parler de Religion aux enfans: il en faut encore moins parler au peuple groffier: Partie II. C

mais le falut du peuple ne paroît pas vous inquiéter beaucoup.

Pour moi, Monfieur, j'en fuis occupé, & cet objet m'intéreffe vivement. Je demande toujours ce pauvre peuple qui ne fçait ni penser ni raifonner, qui n'eft pas capable, felon vous, de s'élever à la connoiffance de Dieu, ni de fe faire une Religion (a), qui a l'intelligence trop épaiffe pour fentir la force de vos démonftrations; qu'en ferons - nous ? Demeurera-t-il fans Religion? De qui la recevra-t-il ? Des fçavans? Mais les hommes font menteurs (b), & les fçavans le font autant & plus fouvent que les autres; fera-t-il obligé de les croire ? De Dieu ? Mais Dieu ne peut révéler que ce que l'on peut comprendre : &, felon vous, le peuple ne peut rien comprendre, pas feulement les preuves de l'existence de Dieu, Des loix civiles? Mais les loix civiles n'ont pour objet que les actions extérieures; jamais Légiflateur, jamais Souverain ne s'eft avifé de commander aux peuples de croire & d'efpérer en Dieu, fous des peines afflictives. Vous qui aimez tant le genre humain, le laif

(a) Lettre, p. 42.

(b) Ibid.

ferez-vous ainfi prefque tout entier, fans daigner pourvoir à fon fort? Pas un mot dans vos écrits, pour prefcrire à ces malheureux ce qu'ils doivent faire. Heureuiement Dieu y a pourvu, & nous avons déja vu comment.

Toujours par le même principe, vous foutenez qu'un enfant à dix ans n'eft pas capable de difcerner le bien & le mal, le vice & la vertu : Je crois avoir démontré cela mille fois dans mes deux premiers volumes & fur-tout dans le dialogue du maître & de l'enfant, fur ce qui eft mal ( a ). Tel eft votre style, Monfieur, vous avez tout prouvé, tout démontré, tout mis en évidence: rien de fi aifé à dire; vos admirateurs vous croient fur votre parole, & c'est tout ce que vous prétendez. Malgré le ton décifif de vos affertions, je n'ai vu aucune démonftration dans vos ouvrages fi ce n'eft fur des articles déja démontrés

avant vous.

Voyons, je vous prie, cette prétendue démonftration. Vous dites qu'un maître ne fera jamais comprendre à fon éleve de dix ans, pourquoi c'est un mal de mentir & de défobeir, que Locke lui-même y feroit fort embarraffé; vous êtes bien curieux

(a) Lettre, page 27.

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