Obrázky na stránke
PDF
ePub

lieucte, des belles scènes de Pompée et du sublime cinquième acte de Rodogune. Quoi qu'il en soit, Rotrou laissant derrière lui, à une grande distance, Garnier, Jodelle, Hardy, Mairet, malgré sa Sophonisbe, et tous ceux qui l'ont précédé, devoit être distingué parmi les auteurs ses contemporains; et il auroit pu être regardé comme le fondateur du théâtre, si Corneille n'eût pas existé ayant lui; mais depuis qu'il fut éclipsé par des modèles qui ont porté l'art dramatique au plus haut degré de perfection, toutes ses pièces, à l'exception, peut-être d'une seule, ne sont plus lues. Elles commencent à devenir rares. Plusieurs même ne se retrouvent plus dans la bibliothèque des amateurs, et la plupart des gens de lettres en connoissent à peine les titres. Antigone, Cosroës, et surtout Venceslas (2), sont ses chefs-d'œuvres.

Il est incontestable que la gloire littéraire de Rotrou a été effacée par les chefs-d'oeuvres nom→ breux qui ont illustré la scène française; mais sa modestie, la noblesse de ses procédés, l'élévation de ses sentimens, son inaltérable attachement pour Corneille, son rival et son ami, son généreux dévouement pour son pa, doivent éternellement servir de modèles à ceux qui

(2) Venceslas est la seule pièce de ROTROU qui soit restée au théâtre et la seule qu'on auroit mise dans le recueil proposé. Elle en auroit été la première, et l'on se seroit borné à donner une notice succinte de ses autres pièces qui ont le plus de mérite.

cultivent les lettres, aux bons citoyens et à tous les amis de l'humanité.

On ne remarque point dans ses préfaces ce ton avantageux et tranchant, cette jactance orgueilleuse qu'affectoient les Scudery, les d'Aubignac. Il n'y parle de lui qu'avec une extrême humilité; il y excusoit la foiblesse de ses premières productions sur celle de son âge; il avouoit que ses pièces n'étoient que d'imparfaites traductions des auteurs dont il empruntoit les sujets, et, en leur laissant la gloire de ce qui avoit pu plaire, il demandoit grâce pour les défauts, qu'il n'imputoit qu'à lui seul. Enfin il n'attribuoit ses succès qu'au talent des comédiens et à l'illusion de la scène. Le seul mérite qu'il se réservoit, dit Marmontel, étoit d'avoir épuré le théâtre et d'avoir rendu la comédie si décente que, si elle n'étoit belle, du moins elle étoit sage; et d'une profane il avoit fait une religieuse. Cependant, comme l'observe le même littérateur, cette religieuse oublioit quelquefois ses vœux. Rotrou, au mépris de sa promesse, paya encore dans quelques-unes de ses pièces un tribut à l'ancienne licence, qui a long-temps infecté la scène.

Malgré la supériorité marquée de Corneille sur tous ses concurrens, malgré ses succès aussi nombreux qu'éclatans, Rotrou, qui couroit la même carrière, loin d'éprouver le moindre mouvement de jalousie, non-seulement ne cessa de le regarder comme un grand homme, mais encore il rechercha son amitié avec empresse-.

ment. Après avoir fait le sacrifice de son amourpropre à son admiration, il. fit encore celui de ses intérêts à son amitié. Le cardinal de Richelieu, qui l'estimoit, ne s'étoit pas borné à lui faire une pension de 600 livres, il lui en avoit procuré une autre de 1,000 liv. de la part du roi. Sollicité vivement par son bienfaiteur de se liguer avec Soudery, d'Aubignac, etc., contre le Cid, il s'y refusa constamment. Le ministre, tout despote qu'il étoit, tout redoutable que pouvoit être son ressentiment, ne put jamais l'y déterminer (3); et, ce qui est peut-être aussi étonnant,

(3) Il faut convenir, à la gloire des lettres, que plusieurs écrivains des deux derniers siècles ont offert de pareils exemples de désintéressement, de courage et de grandeur d'âme. Il suffit d'en rappeler quelques-uns.

Boileau fait effacer son nom de la liste des pensions, pour y substituer celui de Corneille, qui ne s'y trouvoit pas.

La Fontaine, sans craindre de déplaire à Louis XIV, s'efforce d'attendrir ce monarque en faveur du surintendant Fouquet accusé de déprédations, tandis que les courtisans qui lui avoient les plus grandes obligations l'ont indignement abandonné; et le dévouement du poëte lui fait enfanter un chef-d'œuvre de poésie et de sentiment.

Pélisson, non- seulement défend ce même ministre, son bienfaiteur, par des plaidoyers fort éloquens, mais encore il se fait enfermer avec lui dans la Bastille, et se dévoue entièrehent pour le sauver.

Fénélon monte en chaire pour avouer publiquement ses erreurs et les rétracter.

Louis XV, irrité contre le ministre d'Argenson, l'exile à sa terre des Ormes. Moncrif, quoiqu'attaché à la Cour de ce monarque, a le courage de lui déclarer qu'il va suivre son ami. Le cardinal de Bernis encourt une disgrace glorieuse pour

Richelieu ne lui en continua pas moins son es-, time et ses bienfaits. Rotrou, à ces preuves non équivoques de son attachement pour Corneille, voulut en ajouter une nouvelle qui pût passer à la postérité. Tandis que l'envie et la médiocrité, protégées par une cabale puissante, s'agitoient pour obscurcir la gloire du créateur de la scène française, Rotrou eut le courage de rendre en plein théâtre un hommage éclatant au seul génie qui l'éclipsoit. C'est dans sa tragédie de SaintGenest, représentée en 1646, que se trouve cet éloge. Voici comme il est amené : L'empereur Diocletien fait venir devant lui Genest, le plus célèbre comédien de son temps, et lui demande un spectacle digne des fêtes qu'il veut donner pour célébrer le mariage de sa fille. Après avoir loué les talens du comédien il ajoute :

n'avoir pas voulu révéler le secret de l'Etat à madame de Pompadour, et pour avoir combattu avec fermeté, dans le conseil du roi, un traité qu'il croyoit contraire aux intérêts de la France, et que la favorite vouloit faire réussir.

Thomas refuse, avec l'espoir d'une fortune, une place à l'Académie française, pour la réserver à Marmontel qu'un ministre trompé en vouloit exclure.

L'abbé Arnauld, relativement à un de ses bénéfices, est forcé de plaider contre un prieur qui lui disputoit quelques droits importans; il découvre parmi ses papiers une pièce décisive en faveur de son adversaire, il la lui envoie aussitôt; le prieur gagne son procès sans difficulté, et l'abbé se condamne à payer tous les frais.

Et beaucoup d'autres traits semblables. Ce rare désintéressement, ces sentimens élevés, sont presque toujours, dans les gens-de-lettres, accompagnés de grands talens.

Mais passons aux auteurs, et dis-nous quel ouvrage
Aujourd'hui sur la scène a le plus haut suffrage;
Quelle plume est en règne et quel fameux esprit
S'est acquis dans le cirque un plus juste crédit?

GENEST.

Nos plus nombreux sujets, les plus dignes de Rome,
Et les plus grands efforts des veilles d'un grand homme,
A qui les rares fruits que sa muse a produit,

Ont acquis sur la scène un légitime bruit,

Et de qui certes l'art comme l'estime est juste
Parmi les noms fameux de Pompée et d'Auguste :
Ces poëmes sans prix, où son illustre main
D'un pinceau sans pareil a peint l'esprit romain,
Rendront de leurs beautés votre oreille idolâtre,
Et sont aujourd'hui l'âme et l'amour du théâtre.

Ces vers pouvoient être mieux faits et surtout moins embarrassés; mais le sentiment qui les a dictés les embellit. Lorsque le spectateur les entendit, ce furent de tous côtés des battemens de mains, des trépignemens de pieds. Le public, qui ne vit que l'intention du poëte, partagea son enthousiasme et souscrivit à un éloge aussi juste qu'inattendu. Cette tirade ne contribua pas peu au succès de la pièce, qui n'est pas d'ailleurs une des meilleures de Rotrou.

Une conduite aussi noble, une franchise aussi courageuse, il faut l'avouer, deviennent de jour en jour plus rares parmi les gens de lettres. II n'est donc pas inutile de rappeler un pareil exemple de générosité dans un siècle où l'égoïsme

« PredošláPokračovať »