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L'amour.

Donne-lui pieusement la mort, parce qu'elle est désireuse d'une telle mort qui, par sa fin, donne seule la vie heureuse.

AMORE.

Dalle pietosamente

Morte che di tal morte ella è bramosa,
Che solo ha per suo fin vita gioiosa.

On peut s'assurer, par la comparaison avec les Cantiques de Jacopone de Todi, de l'exactitude avec laquelle le Tasse a suivi les anciennes traditions de la poésie mystique religieuse. Mais il n'en serait pas ainsi à propos du Dialogue qui précède, où l'on remarque bien quelques locutions propres à la poésie amoureuse de Guido Cavalcanti et de Dante, sans que l'on y retrouve toutefois, le fond de leur doctrine. En lisant le Dialogue entre l'Amant et l'Amour on est bien quelque peu trompé d'abord par ces mots Humilité, Piété, Mort qui donne la vie, tirés du jargon philosophique des vieux Fidèles d'Amour; mais avec un peu d'attention, on s'aperçoit bientôt que Tasse n'a réellement voulu parler que d'un amour tout naturel ; et qu'au moyen de ces paroles apocalyptiques empruntées aux poètes du XIIe siècle, il a tout simplement cherché à traduire la fameuse ode de Sapho lorsqu'il fait dire à l'Amant par l'Amour : » que toute faible et languissante que soit sa maîtresse au moment où elle lui donne un baiser, elle éprouve cependant une grande joie sur les portes de cette mort qui

donne la véritable vie (1). » Au temps où écrivait le Tasse, le secret de la poésie Dantesque était-il encore connu? Les imitateurs de Pétrarque feraient croire que non, tant leurs vers sont vides de sens et leurs paroles incohérentes. Quant au Dialogue du Tasse, évidemment * on n'y retrouve plus que le jargon des vieux Fidèles, car, dans cette pièce, au moins, Torquato parle d'un tout autre Amour que celui qu'ont inspiré les Mandetta, les Nina, et les Béatrice.

Avec la fin de ce xvi siècle, on voit s'éteindre peu à peu en Italie, la doctrine grave et âpre que Dante avait si puissamment établie. De ce moment, la transition du jargon rigoureusement figuré et mystique, à un langage plus positif et exprimant des sentiments simples et naturels, se manifeste de la manière la plus sensible dans la suite des compositions poétiques de Michel-Ange, de Vittoria Colonna, et du Tasse.

Mais tout en accordant aux idées de Dante et de ceux qui les ont adoptées, toute l'importance qu'elles ont eue et qu'elles méritent, il faut croire cependant que la poésie amoureuse mystique a pour principe dans l'esprit de l'homme, quelque chose de plus intime et de plus général tout à la fois, que telle ou telle doctrine religieuse ou philosophique en particulier. Aussi voit-on que ce mode d'expression figurée, se reproduit et est employé dans des contrées si éloignées les unes des au

(1) Dans un Sonnet de la Vie nouvelle : « Spesse fiate vennemi alla mente, » etc., se trouve une pensée à peu près semblable, au dernier tercet: « Et si je lève les yeux pour vous regarder, un tremblement s'élève dans mon cœur, qui me fait tomber sans pouls et ans haleine,» (Voyez la Vie nouvelle, page 174 de ce volume).

tres, et par des hommes qui diffèrent tellement entre eux par les climats, par les religions et par les mœurs qui modifient les actes de leur intelligence, qu'il est impossible de ne pas accorder que dans ce consentement unanime des grands poètes de presque toutes les nations, à exprimer leur amour envers Dieu, envers le Beau et le souverain Bien, et même à l'égard de la créature image de Dieu, d'une manière figurée, il règne au fond de tout cela, un sentiment vrai, fort et inextinguible qui, dans l'impossibilité habituelle de s'exhaler par le secours du langage vulgaire et positif, va chercher à l'aventure dans toutes les productions physiques et immatérielles de la nature, le secret de cette langue supérieure, de ce Verbe divin qui éclate à nos sens dans les merveilles de la création. Et en effet, dans les dernières années de ce xvi siècle, pendant lesquelles la péninsule italienne vit les âpres paroles amoureuses de la Comédie et des Chansons de Dante, se transformer en conversations gracieuses d'amour, sous la plume de l'auteur de l'Aminta, le grand poète Anglais Shakespeare qui, dans ses Sonnets au moins, s'est montré le rival de Dante en génie et en obscurité, faisait briller d'un éclat ablsolument nouveau la poésie mystique et ténébreuse, du xin siècle.

Oui, Williams Shakespeare (1564-1616) dont les drames sont connus de toute l'Europe aujourd'hui, a composé dans le cours de sa vie, et sans doute pour y déposer les sentiments les plus intimes de son âme, cent cinquante-quatre Sonnets dont les pensées et le style, en admettant, ce dont je doute, que le poète ait choisi un modèle, rappellent la grande et étrange manière de Dante. Ces Sonnets forment deux séries distinctes. Les cent vingt-six premiers sont adressés au jeune Lord

Southampton, ami et protecteur du poète, et les vingtsix derniers, à des femmes qu'il ne nomme pas. Je préviens encore le lecteur de tout ce qu'il trouvera de bizarre et d'obscur dans ces compositions peu connues et dont le sens est quelquefois bien difficile à saisir; mais dans lesquelles, malgré ces défauts, on reconnaît à chaque instant l'empreinte d'un génie du premier ordre.

Voici quinze de ces Sonnets qui donneront je crois à ceux qui cultivent la langue anglaise, le désir d'en connaître d'autres.

SONNET Ier.

Nous désirons la réproduction des plus belles créatures afin qu'ainsi, la rose de la beauté ne meure jamais, et qu'à mesure que la créature plus mûre, dépérit par le temps, son jeune héritier perpétue sa mémoire. Mais toi, fiancé à tes yeux brillants, tu entretiens la flamme par ton éclat, en lui donnant pour aliment ta propre substance, mettant la famine là où est l'abondance, étant ton propre ennemi, trop cruel envers ton gracieux toi-même ;

SONNET Ier.

From fairest creatures we desire increase
That thereby beauty's rose must never die,
But as the riper should by time decease,

His tender heir might bear his memory:
But thou, contracted to thine own bright eyes,
Feed'st thy light's flame with self-substantial fuel,
Making a famine where abundance lies,

Thyself thy foc, to thy sweet self too eruel,

toi qui es maintenant le plus frais ornement du monde, le seul précurseur du splendide printemps, tu t'ensevelis dans ton propre sein, et avare trop jaloux, tu amènes là une disette par trop d'avarice. Aie pitié du monde; ou autrement tu seras un glouton qui dévore ce qui est dû au monde par la tombe et par toi!

SONNET II.

Lorsque quarante hivers assiégeront ton front et creuseront de profondes tranchées dans le champ de ta beauté ; lorsque la livrée brillante de ta jeunesse, si admirée aujourd'hui, sera devenue un mauvais vêtement déchiré et sans aucune valeur; alors, si on te demande où est toute ta beauté, où sont tous les trésors de ta

Thou that art now the world's fresh ornament,

And only herald to the gaudy spring,

Within thine own bud buriest thy content,

And, tender churl, mak'st waste in niggarding.
Pity the world, or else this glutton be,
To eat the world's due, by the grave and thee.

SONNET II.

When forty winters shall besiege thy brow,
And dig deep trenches in thy beauty's field,
And youth's proud livery, so gaz'd on now,
Will be a tatter'd weed, of small worth held :
Then being ask'd where all thy beauty lies,
Where all the treasure of thy lusty days;
To say, within thine own deep-sunken eyes,

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