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d'apprendre à mieux préciser le sens que nous devons attribuer au mot être dans les ouvrages philosophiques.

661. Des mots univoques, équivoques, analogues; des

homonymes, et des synonymes. Observons d'abord que les termes peuvent être communs à plusieurs objets de trois ma nières univoquement, équivoquement et analogiquement. On nomme univoque un terme qui s'applique dans le même sens à plusieurs objets. Le terme qui, pris dans des sens divers, signifie plusieurs objets essentiellement différents, s'appelle équivoque. Quand les objets différents, exprimés par le même mot, ont un rapport de cause et d'effet, de ressemblance ou de signe, ce terme s'appelle analogue.

Un terme univoque indique donc une propriété qui s'affirme identiquement de plusieurs; comme la même essence métaphysi que de l'homme, par exemple, est un idéal qui s'affirme identiquement de Pierre, de Paul, et de tous les hommes; de sorte que nous les rangeons tous sous la même idée d'homme. Le terme univoque est celui qui exprime toujours la même idée, la même essence métaphysique; c'est ainsi que le mot figure s'applique univoquement au triangle et au cercle. Le terme équivoque, au contraire, embrasse diverses significations et désigne des idées ou des choses essentiellement différentes. Le mot pied, par exemple, est équivoque à l'égard du pied d'un homme et du pied d'une montagne. Il en est de même du mot clef, lorsqu'on dit qu'une ville est la clef d'une contrée. C'est encore équivoquement que le mot corneille désigne notre grand tragique, un oiseau de l'ordre des passereaux, et une plante qui croît sur le bord des étangs.

Les objets auxquels se rapporte un mot équivoque sont nommés homonymes, et les objets exprimés par des termes univoques sont dits synonymes. Ainsi, comme l'a très-bien dit Aristote (Kaz p. 1, chap. I), les objets synonymes sont ceux qui ont le même nom et la même definition : Συνώνυμα δὲ λέγεται ὧν τό τε ὄνομα κοινόν καὶ ὁ κατὰ τὸν ὄνομα λόγος τῆς οὐσίας. Le mot animal, par exemple, étant univoque à l'égard de l'homme et du bauf, l'homme et le bœuf sont synonymes, en tant qu'ils se rangent sous la même idée ou propriété de l'animalité. Les objets sont dits homonymes quand leur définition essentielle (ó λóyos tis obalas) étant differente, leur appellation est néanmoins la même : Quávuz Aéyetz: Öv Čvoμu póvov xotvóv. Dans ce sens, un homme réel et un homme en peinture sont homonymes.

662. En nous basant sur ces définitions, nous soutenons done

que l'Infini et le fini sont homonymes, et que, à bien prendre les choses, le mot être appliqué à l'un et à l'autre est un terme équivoque. En effet, l'Etre est la forme de l'Infini, ou ce par quoi l'Infini diffère radicalement de tout objet fini (645); la propriété d'être est la propriété essentielle et caractéristique de l'Essence absolue, la propriété à laquelle ne pourra jamais participer une chose finie, quelque parfaite qu'on la suppose (655, 659). Le mot être n'indique donc pas un attribut commun qui puisse s'affirmer également et au même titre du fini et de l'Infini, comme, par exemple, l'attribut raisonnable convient à tous les hommes. Ce mot constitue le nom propre de l'Infini (645) ; il est donc équivoque lorsqu'il sert à désigner l'Infini et les choses finies. Gardonsnous donc de l'employer pour signifier des objets qui different si radicalement. L'Etre n'offre, en effet, que des analogies éloignées avec l'existence des créatures, ainsi que nous l'indique le Sage, lorsqu'il dit que « la grandeur et la beauté des créatures nous permettent de connaître le Créateur par analogie (avaλoys) 1. » Il y a, en effet, entre Dieu et les choses créées une proportion (vaλoyix) non d'égalité, mais de représentation ou d'imitation, et un rapport de cause et d'effet. Mais la substance finie n'a rien de commun avec l'Infini et le mot étre, appliqué au Nécessaire et au contingent, indique des objets d'une nature complètement opposée ou essentiellement différente.

Il en est de même de quelques autres mots dont on se sert pour désigner certaines propriétés des créatures, et les attributs correspondants qui se trouvent en Dieu et que l'on considère dans leur infinité. Ces mots sont toujours équivoques, parce que l'Etre et les choses qui passent, l'Infini et le fini, le Nécessaire et le contingent, l'Indivisible et le divisible, n'ont point de mesure commune. Ils different non-seulement de degré, mais d'essence; ils différent non-seulement comme des espèces d'un même genre, mais comme des genres qui n'ont rien de commun. Donc, aucune propriété ne convient à la fois et sous le même rapport, ou, comme s'exprime l'Ecole, d'une manière univoque, à l'Etre simplement dit et aux choses finies. C'est pour cela qu'on ne peut établir aucune comparaison entre l'Etre de Dieu et l'existence des créatures, entre l'éternité de Dieu et la durée des choses, etc.

Par conséquent, lorsqu'on attribue à Dieu les perfections qui se trouvent dans les créatures, ce n'est que dans un sens très-équivoque. Quand on dit, par exemple, que Dieu est une substance,

1 Sapi., 13, 5.

il ne faut pas entendre simplement qu'il subsiste en lui-même; il faut comprendre, de plus, qu'il subsiste par lui-même, au lieu que la substance créée subsiste par un autre, et ne subsiste, d'ailleurs, que d'une manière impropre (648). Quand on dit que Dieu existe, cela signifie qu'il existe essentiellement, nécessairement et infiniment, tandis que toutes les choses finies n'ont qu'une existence changeante, bornée et pétrie de néant. Donc, lorsque nous disons d'un arbre, d'une montagne, qu'ils sont des êtres, c'est par abus de mots. Le nom d'être transporté au fini perd toute sa valeur première, son sens propre et complet. C'est ainsi que la représentation d'un homme n'est pas un homme véritable et n'en porte le nom que par métaphore. La réalité du portrait n'est rien moins, en effet, que la réalité de l'original. Nous pouvons bien dire, sans doute, en voyant un portrait c'est un homme; mais il n'est personne qui ne comprenne que le mot homme est pris alors dans un sens équivoque. Or, il en est évidemment de même du mot être, lorsqu'on l'emploie pour désigner les choses contingentes, puisque ces choses n'ont en aucune manière la réalité de l'ÊTRE (657).

665. Impasse du péripatétisme. Les scolastiques du moyen-âge avaient été forcés par les exigences d'un rationalisme péripatéticien, alors fort en vogue, à se soumettre au joug d'Aristote. Emprisonnés ainsi dans les cadres que leur avait tracés celui qu'un prestige d'infaillibilité faisait considérer comme «<le Philosophe, » comme la raison même, ces investigateurs subtils et pénétrants s'y trouvèrent souvent fort à l'étroit, et l'on sent en bien des rencontres qu'ils s'y meuvent avec peine. Ainsi, lorsqu'ils se demandent si le concept de l'étre est univoque (an conceptus entis sit univocus?), ou, en d'autres termes, si l'être s'affirme, à la fois et d'après un concept unique, de Dieu et des créatures, ils sont gênés, embarrassés dans leur réponse, et ils ne serrent pas toujours la question d'assez près et dans ses détails.

664. Saint Thomas déclare, très-justement, il est vrai, qu'on ne peut rien dire de Dieu et des créatures dans le même sens, mais seulement dans un sens analogue'. Les théologiens de son école jugèrent donc fort bien que l'ÊTRE ne s'entend pas de Dieu et des choses finies en un sens univoque. Ils admettaient que toute forme ou propriété spécifique se distribue également à tous les sujets qui la possèdent, de sorte qu'un individu participe à son

1 Impossibile est aliquid prædicari de Deo et creaturis univocè. Sum. theol., 4 p., q. XIII, art, 5.

espèce au même titre qu'un autre individu de la même espèce. Or, il suivait de là que, si le concept de l'ÊTRE s'affirme univoquement de Dieu et des créatures, il n'y avait aucune différence entre l'essence de Dieu et l'essence des créatures. L'être de Dieu était, dès-lors, l'être d'une chose finie quelconque. Mais il eût été absurde de soutenir que toutes les choses finies sont consubstantielles à Dieu. Les thomistes regardèrent donc le concept de l'ÈTRE comme transcendantal, c'est-à-dire comme ne rentrant pas dans la catégorie logique des prédicaments.

Mais, d'un autre côté, ces mêmes philosophes soutiennent que l'homme ne connaît l'Etre infini QUE par les créatures, et, si on leur demande par quel procédé ils obtiennent cet Etre dont le nom n'est pas univoque avec les existences contingentes, ils répondent que l'abstraction intellectuelle le surprend, en le dégageant des entraves individuelles qui l'emprisonnent; en d'autres termes, ils assurent qu'ils l'extraient des données sensibles. Mais, comme il est de toute évidence qu'on ne peut l'en extraire s'il n'y est point contenu, il fallait en venir à faire de cet Etre une propriété des choses finies, une propriété que nous percevons dans ces choses et par ces choses. On rentrait ainsi par une autre voie dans la thèse que l'on voulait éliminer le résidu de l'analyse du fini, cette ombre d'être qui a moins de réalité qu'une chose finie quelconque, le devenir considéré d'une manière indéterminée devait être pris pour l'Etre divin lui-même. Toutefois les thomistes, se maintenant dans le vague où les laissait la théorie péripatéticienne de l'intelligible ou de l'objet de l'intelligence, surent échapper à cette conclusion. Le concept de l'être n'est pas pour eux un concept s'appliquant à un objet unique et ayant une existence propre. C'est un concept qui ne saisit qu'une abstraction vide, qui ne recèle aucune réalité véritable; c'est un acte intellectuel privé de toute réalité objective hors de l'esprit. Il découlait malheureusement de là que Dieu échappe à toute prise intellectuelle, et que, par conséquent, on ne peut rien savoir de cet Etre. Par cette espèce de péripatétisme, nous serious, en effet, réduits, sur son compte, à une ignorance absolue: nous devrions nous arrêter là où finit le sensible, et admettre que nous ne pouvons pas connaître Dieu.

665. Les scotistes comprirent parfaitement qu'il aurait suffi de cette porte entrebaillée, pour laisser entrer dans les écoles le sensualisme avec tout son hideux cortége. Ils le dirent done expressément, et ils soutinrent qu'il fallait donner une réalité au concept de l'ETRE. Ils n'admettent pas, il est vrai, que l'ÈTRE

soit un genre; mais ils veulent que le concept de cet ÊTRE soit univoque, et qu'il puisse tout à la fois s'affirmer de plusieurs objets, sans que ces objets SOIENT au même degré. Ils disent donc que la même propriété d'ÊTRE convient à Dieu et aux créatures (eadem ratio est natura entis æqualiter competit Deo et creaturæ 1). Les thomistes leur reprochaient avec raison de tomber dans une contradiction flagrante. Mais les disciples de Scot montraient, de leur côté, qu'ils ne faisaient que tirer les conclusions de quelques principes péripatéticiens acceptés, du reste, par leurs adversaires.

En effet, d'après la psychologie du Stagirite, la connaissance humaine provient des choses sensibles avec lesquelles seules notre âme est en rapport immédiat. Si donc on admet que l'objet propre de notre intelligence est la quiddité matérielle, extraite des individualités corporelles, il faut nécessairement s'astreindre à n'arriver à la connaissance de Dieu qu'au moyen des connaissances sensitives. Mais, d'un autre côté, comme l'observent très-bien les scotistes, pour trouver Dieu dans les créatures, il faut qu'il y soit, car un cbjet ne peut faire connaître que ce qu'il contient (nullum objectum facit conceptum simplicem et proprium sui, in aliquo intellectu, et conceptum simplicem et proprium alterius objecti, nisi contineat aliud objectum essentialiter vel virtualiter). Ces théologiens affirmèrent donc que Dieu ne se trouve dans les choses finies que par sa propriété d'être (objectum creatum non continet aliquid increatum essentialiter nec virtualiter, seclusá univocatione Dei et creaturæ in Ente); et ils en concluent que, s'il n'y était point de cette manière, on ne pourrait pas l'extraire des données sensibles, on ne pourrait pas le connaître par l'abstraction. D'où il suivrait qu'il serait impossible de le connaitre naturellement; ce qui, ajoutent-ils, est contraire à l'enseignement des philosophes et des théologiens. Les scotistes se sont vus de la sorte contraints à soutenir que l'ÊTRE s'affirme univoquement de Dieu et des créatures 2.

1 Scot avait dit: Non asserendo, quia non consonat opinioni communi, polest dici quod non tantùm in conceptu analogo conceptui creaturæ concipitur Deus, sed in conceptu aliquo univoco sibi et creaturæ (In I Sententiarum, distinc. 3, q. 2). Le même docteur exprime, d'ailleurs, quelques pages plus loin, la proposition suivante Cum simplicitate Dei stat quod aliquis sit conceptus communis sibi et creaturæ, non tamen communis ut generis. (Ibid., dist. 3, q 3).

2 Meurisse, théologien scotiste, dont j'abrège le raisonnement, prouve sa thèse de l'univocation de l'ÊTRE (ens est etiam univorum ad Deum et ad creaturas), dans le passage suivant qu'il ne sera pas inutile de méditer: Ens non est univocum;

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