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SCÈNES DE LA VIE POLITIQUE.

L'ENVERS

DE

L'HISTOIRE CONTEMPORAINE

DEUXIÈME ÉPISODE.

L'INITIÉ.

De même que le mal, le sublime a sa contagion. Aussi, lorsque . le pensiounaire de madame de La Chanterie eut habité cette vieille et silencieuse maison pendant quelques mois, après la dernière confidence du bonhomme Alain, qui lui donna le plus profond respect pour les quasi-religieux avec lesquels il se trouvait, éprouvat-il ce bien-être de l'âme que donnent une vie réglée, des habitudes douces et l'harmonie des caractères chez ceux qui nous entourent. En quatre mois, Godefroid, qui n'entendit pas un éclat de voix, ni une discussion, finit par s'avouer à lui-même que, depuis l'âge de raison, il ne se souvenait point d'avoir été si complétement non pas heureux, mais tranquille. Il jugeait sainement du monde, en le voyant de loin. Enfin, le désir qu'il nourrissait depuis trois mois de participer aux œuvres de ces mystérieux personnages devint une passion; et, sans être un grand philosophe, chacun peut soupçonner la force que prennent les passions dans la solitude.

Un jour donc, jour devenu solennel par la toute-puissance de

l'esprit, après s'être sondé le cœur, avoir consulté ses forces, Godefroid monta chez le bon vieil Alain, celui que madame de La Chanterie nommait son agneau, celui qui, de tous les commensaux du logis, lui semblait le moins imposant, le plus abordable, dans l'intention d'obtenir du bonhomme quelques lumières sur les conditions du sacerdoce que ces espèces de frères en Dieu exerçaient dans Paris. Les allusions déjà faites à un temps d'épreuves lui pronostiquaient une initiation à laquelle il s'attendait. Sa curiosité n'avait pas été contentée par ce que lui avait dit le vénérable vieillard sur les motifs de son agrégation à l'œuvre de madame de La Chanterie; il voulait en savoir davantage.

Pour la troisième fois, Godefroid se trouva devant le bonhomme Alain, à dix heures et demie du soir, au moment où le vieillard allait faire sa lecture de l'Imitation. Cette fois, le doux initiateur ne put retenir un sourire, et voyant le jeune homme, il lui dit, sans le laisser parler : Pourquoi vous adressez-vous à moi, mon cher garçon, au lieu de vous adresser à Madame? Je suis le plus ignorant, le moins spirituel, le plus imparfait de la maison. Voici trois jours que Madame et mes amis lisent dans votre cœur, ajoutat-il d'un petit air fin.

Et qu'ont-ils vu?... demanda Godefroid.

Ah! répondit le bonhomme sans aucun détour, ils ont deviné chez vous une envie assez naïve d'appartenir à notre petit troupeau. Mais ce sentiment n'est pas encore chez vous une bien ardente vocation. Oui, reprit-il vivement à un geste de Godefroid, vous avez plus de curiosité que de ferveur. Enfin, vous n'êtes pas tellement détaché de vos anciennes idées, que vous n'ayez entrevu je ne sais quoi d'aventureux, de romanesque, comme on dit, dans les incidents de notre vie...

Godefroid ne put s'empêcher de rougir.

Vous voyez dans nos occupations une similitude avec celles des califes des Mille et une Nuits, et vous éprouvez par avance une sorte de satisfaction à jouer le rôle d'un bon génie dans les romans de bienfaisance que vous vous plaisez à inventer!... Allons mon fils, votre rire de confusion me prouve que nous ne nous sommes pas trompés. Comment croyez-vous pouvoir dérober un sentiment à des gens dont le métier est de deviner les mouvements les plus cachés des âmes, les ruses de la pauvreté, les calculs de l'indigence, et qui sont des espions honnêtes, chargés de la police

du bon Dieu, de vieux juges dont le code ne contient que des absolutions, des docteurs en toute souffrance dont l'unique remède est l'argent sagement employé. Mais, voyez-vous, mon enfant, nous ne querellons pas les motifs qui nous amènent un néophyte, pourvu qu'il nous reste et qu'il devienne un frère de notre ordre. Nous vous jugerons à l'œuvre. Il y a deux curiosités, celle du bien et celle du mal; vous avez en ce moment la bonne. Si vous devez être un ouvrier de notre vigne, le jus des grappes vous donnera la soif perpétuelle du fruit divin. L'initiation est, comme en toute science naturelle, facile en apparence et difficile en réalité. C'est en bienfaisance comme en poésie. Rien de plus facile que d'attraper l'apparence. Mais ici, comme au Parnasse, nous ne nous contentons que de la perfection. Pour devenir un des nôtres, vous devez acquérir une grande science de la vie, et de quelle vie, bon Dieu! la vie parisienne qui défie la sagacité de monsieur le préfet de police et de ses messieurs. N'avons-nous pas à déjouer la conspiration permanente du mal? à la saisir dans ses formes si changeantes qu'on les croirait infinies? La Charité, dans Paris, doit être aussi savante que le vice, de même que l'agent de police doit être aussi rusé que le voleur. Chacun de nous doit être candide et défiant; avoir le jugement sûr et rapide autant que le coup d'œil. Aussi, mon enfant, sommes-nous tous vieux et vieillis; mais nous sommes si contents des résultats que nous avons obtenus, que nous ne voulons pas mourir sans laisser de successeurs; et vous nous êtes d'autant plus cher à tous, que vous serez, si vous persistez, notre premier élève. Il n'y a pas de hasard pour nous, nous vous devons à Dieu! Vous êtes une bonne nature aigrie; et depuis que vous demeurez ici, les mauvais levains se sont affaiblis. La nature divine de Madame a réagi sur vous. Hier, nous avons tenu conseil; et, puisque j'ai votre confiance, mes bons frères ont décidé de me donner à vous comme tuteur et instituteur... Etes-vous content?

Ah! mon bon monsieur Alain! vous avez éveillé par votre éloquence une...

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Ce n'est pas moi, mon enfant, qui parle bien, c'est les choses qui sont éloquentes... On est toujours sûr d'être grandiose en obéissant à Dieu, en imitant Jésus-Christ, autant que des hommes le peuvent, aidés par la foi...

Eh bien! ce moment a décidé de ma vie, et je me sens la

ferveur! s'écria Godefroid. Moi aussi, je veux passer ma vie à bien faire...

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- C'est le secret de rester en Dieu, répliqua le bonhomme. Avez-vous étudié cette devise: Transire benefaciendo? Transire veut dire aller au delà de ce monde, en y laissant une longue traînée de bienfaits.

J'ai bien compris, et j'ai mis de moi-même la devise de l'ordre devant mon lit.

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C'est bien! Cette action, si légère en elle-même, est beaucoup à mes yeux! Donc, mon enfant, j'ai votre première affaire, votre premier duel avec la misère, et je vais vous mettre le pied à l'étrier... Nous allons nous quitter... Oui, moi-même, je suis détaché du couvent pour prendre place au cœur d'un volcan. Je vais devenir contre-maître dans une grande fabrique dont tous les ouvriers sont infectés des doctrines communistes, et qui rêvent une destruction sociale, l'égorgement des maîtres, sans savoir que ce serait la mort de l'industrie, du commerce, des fabriques..... Je resterai là, qui sait? peut-être un an, à tenir la caisse, les livres, et à pénétrer dans cent ou cent vingt ménages de pauvres gens égarés sans doute par la misère, avant de l'être par de mauvais livres. Néanmoins, nous nous verrons ici tous les dimanches et les jours de fête... Comme nous habiterons le même quartier, je vous indique l'église Saint-Jacques du Haut-Pas comme lieu de rendezvous; j'y entendrai la messe tous les jours, à sept heures et demic du matin. Si vous me rencontrez ailleurs, vous ne me reconnaî-trez jamais, à moins que vous ne me voyiez me frotter les mains à la façon des gens satisfaits. C'est un de nos signes. Nous avons, comme les sourds-muets, un langage par gestes, dont la nécessité vous sera bientôt et surabondamment démontrée.

Godefroid fit un geste que le bonhomme Alain interpréta, car il sourit et reprit aussitôt la parole.

Maintenant, voici votre affaire. Nous n'exerçons ni la bienfaisance, ni la philanthropie que vous connaissez, et qui se divisent en plusieurs branches exploitées par des filous de probité comme autant de commerces; mais nous pratiquons la charité telle que l'a définie notre grand et sublime saint Paul; car, mon enfant, nous pensons que la charité peut seule panser les plaies de Paris. Ainsi, pour nous, le malheur, la misère, la souffrance, le chagrin, le mal, de quelque cause qu'ils procèdent, dans quelque classe sociale qu'ils se mani

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festent, ont les mêmes droits à nos yeux. Quelle que soit surtout sa croyance ou ses opinions, un malheureux est avant tout un malheureux; et nous ne devons lui faire tourner la face vers notre sainte mère l'Eglise qu'après l'avoir sauvé du désespoir ou de la faim. Et, encore, devons-nous le convertir plus par l'exemple et par la douceur qu'autrement; car nous croyons que Dieu nous aide en ceci. Toute contrainte est donc mauvaise. De toutes les misères parisiennes, les plus difficiles à découvrir et les plus âpres sont celles des gens honnêtes, celles des hautes classes de la bourgeoisie dont les familles viennent à tomber dans l'indigence, car elles mettent leur honneur à la cacher. Ces malheurs-là, mon cher Godefroid, sont l'objet d'une sollicitude particulière. En effet, les personnes secourues ont de l'intelligence et du cœur, elles nous rendent avec usure les sommes que nous leur avons prêtées; et, dans un temps donné, ces restitutions couvrent les pertes que nous faisons avec les infirmes, les fripons, ou ceux que le malheur a rendus stupides. Nous obtenons bien quelquefois des renseignements par nos propres obligés; mais notre œuvre est devenue si vaste, les détails en sont si multipliés, que nous n'y suffisions plus. Aussi, depuis sept à huit mois, avons-nous un médecin à nous dans chaque arrondissement de Paris. Chacun de nous est chargé de quatre arrondissements. Nous donnons à chaque médecin une indemnité de trois mille francs par an, pour s'occuper de nos pauvres. Il nous doit son temps et ses soins préférablement à tout; mais nous ne l'empêchons pas de soigner d'autres malades. Savez-vous que nous n'avons pas pu trouver douze hommes si précieux, douze braves gens, en huit mois, malgré les ressources que nous offraient nos amis et nos propres connaissances? Ne nous fallait-il pas des personnes d'une discrétion absolue, de mœurs pures, de science éprouvée, actives, aimant à faire le bien? Or, quoiqu'il y ait dans Paris dix mille individus plus ou moins aptes à nous servir, ces douze élus ne se rencontrent pas

en un an.

- Notre Sauveur à eu de la peine à rassembler ses apôtres, et encore, s'y était-il fourré un traître et un incrédule! dit Godefroid.

Enfin, depuis quinze jours, nos arrondissements sont tous pourvus d'un visiteur, reprit le bonhomme en souriant, c'est le nom que nous donnons à nos médecins; aussi, depuis une quin

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