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une maîtresse de maison incomparable. Adolphe, qui s'érige luimême en censeur, ne trouve pas la plus petite observation à formuler.

S'il s'habille, il ne lui manque rien. On n'a jamais, même chez Armide, déployé de tendresse plus ingénieuse que celle de Caroline. On renouvelle, à ce phénix des maris, le caustique sur son cuir à repasser ses rasoirs. Des bretelles fraîches sont substituées aux vieilles. Une boutonnière n'est jamais veuve. Son linge est soigné comme celui du confesseur d'une dévote à péchés véniels. Les chaussettes sont sans trous. A table, tous ses goûts, ses caprices même sont étudiés, consultés il engraisse! Il a de l'encre dans son écritoire, et l'éponge en est toujours humide. Il ne peut rien dire, pas même, comme Louis XIV: « J'ai failli attendre! » Enfin, il est à tout propos qualifié d'un amour d'homme. Il est obligé de gronder Caroline de ce qu'elle s'oublie : elle ne pense pas assez à elle. Caroline enregistre ce doux reproche.

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DEUXIÈME ÉPOQUE. La scène change, à table. Tout est bien cher. Les légumes sont hors de prix. Le bois se vend comme s'il venait de Campeche. Les fruits, oh! quant aux fruits, les princes, les banquiers, les grands seigneurs seuls peuvent en manger. Le dessert est une cause de ruine. Adolphe entend souvent Caroline disant à madame Deschars : « Mais comment faites-vous ?... » On tient alors devant vous des conférences sur la manière de régir les cuisinières.

Une cuisinière, entrée chez vous sans nippes, sans linge, sans talent, est venue demander son compte en robe de mérinos bleu, ornée d'un fichu brodé, les oreilles embellies d'une paire de boucles d'oreilles enrichies de petites perles, chaussée en bons souliers de peau qui laissent voir des bas de coton assez jolis. Elle a deux malles d'effets et son livret à la Caisse d'Épargne.

Caroline se plaint alors du peu de moralité du peuple; elle se plaint de l'instruction et de la science de calcul qui distingue les domestiques. Elle lance de temps en temps de petits axiomes. comme ceux-ci : Il y a des écoles qu'il faut faire ! Il n'y a que ceux qui ne font rien qui font tout bien. Elle a les soucis du pouvoir. Ah! les hommes sont bien heureux de n'avoir pas à mener un ménage. Les femmes ont le fardeau des détails.

Caroline a des dettes. Mais, comme elle ne veut pas avoir tort, elle commence par établir que l'expérience est une si belle chose,

qu'on ne saurait l'acheter trop cher. Adolphe rit, dans sa barbe, en prévoyant une catastrophe qui lui rendra le pouvoir.

TROISIÈME ÉPOQUE. Caroline, pénétrée de cette vérité qu'il faut manger uniquement pour vivre, fait jouir Adolphe des agréments d'une table cénobitique.

Adolphe a des chaussettes lézardées ou grosses du lichen des raccommodages faits à la hâte, car sa femme n'a pas assez de la journée pour ce qu'elle veut faire. Il porte des bretelles noircies par l'usage. Le linge est vieux et bâille comme un portier ou comme la porte cochère. Au moment où Adolphe est pressé de conclure une affaire, il met une heure à s'habiller en cherchant ses affaires une à une, en dépliant beaucoup de choses avant d'en trouver une qui soit irréprochable. Mais Caroline est très-bien mise. Madame a de jolis chapeaux, des bottines en velours, des mantilles. Elle a pris son parti, elle administre en vertu de ce principe: Charité bien ordonnée commence par elle-même. Quand Adolphe se plaint du contraste entre son dénûment et la splendeur de Caroline, Caroline lui dit : Mais tu m'as grondée de ne rien m'acheter!...

Un échange de plaisanteries plus ou moins aigres commence à s'établir alors entre les époux. Caroline, un soir, se fait charmante, afin de glisser l'aveu d'un déficit assez considérable, absolument comme quand le Ministère se livre à l'éloge des contribuables, et se met à vanter la grandeur du pays en accouchant d'un petit projet de loi qui demande des crédits supplémentaires. Il y a cette similitude que tout cela se fait dans la Chambre, en gouvernement comme en ménage. Il en ressort cette vérité profonde que le système constitutionnel est infiniment plus coûteux que le système monarchique. Pour une nation comme pour un ménage, c'est le gouvernement du juste-milieu, de la médiocrité, des chipoteries, etc. Adolphe, éclairé par ses misères passées, attend une occasion d'éclater, et Caroline s'endort dans une trompeuse sécurité.

Comment arrive la querelle? sait-on jamais quel courant électrique a décidé l'avalanche ou la révolution? elle arrive à propos de tout et à propos de rien. Mais enfin, Adolphe, après un certain temps qui reste à déterminer par le bilan de chaque ménage, au milieu d'une discussion, lâche ce mot fatal: Quand j'étais garçon !...

Le temps de garçon est, relativement à la femme, ce qu'est le :

Mon pauvre défunt!» relativement au nouveau mari d'une veuve. Ces deux coups de langue font des blessures qui ne se cicatrisent jamais complétement.

- Le

Et alors Adolphe de continuer comme le général Bonaparte parlant aux Cinq-Cents : Nous sommes sur un volcan! ménage n'a plus de gouvernement,

l'heure de prendre un parti

Caroline, tu l'as compro

est arrivée. Tu parles de bonheur, mis, tu l'as mis en question par tes exigences, tu as violé le Code civil t'immisçant dans la discussion des affaires, tu as attenté au pouvoir conjugal. Il faut réformer notre intérieur.

Caroline ne crie pas, comme les Cinq-Cents: A bas le dictateur ! car on ne crie jamais quand on est sûr de l'abattre.

- Quand j'étais garçon, je n'avais que des chaussures neuves! je trouvais des serviettes blanches à mon couvert tous les jours! Je n'étais volé par le restaurateur que d'une somme déterminée! Je vous ai donné ma liberté chérie !... qu'en avez-vous fait ?

-Suis-je donc si coupable, Adolphe, d'avoir voulu t'éviter des soucis? dit Caroline en se posant devant son mari. Reprends la clef de la caisse... mais qu'arrivera-t-il?... j'en suis honteuse, tu me forceras à jouer la comédie pour avoir les choses les plus nécessaires. Est-ce là ce que tu veux? avilir ta femme, ou mettre en présence deux intérêts contraires, ennemis...

Et voilà, pour les trois quarts des Français, le mariage parfaitement défini.

Sois tranquille, mon ami, reprend Caroline, en s'asseyant dans sa chauffeuse comme Marius sur les ruines de Carthage! je ne te demanderai jamais rien, je ne suis pas une mendiante! Je sais bien ce que je ferai... tu ne me connais pas.

- Eh bien! quoi ?... dit Adolphe, on ne peut donc, avec vous autres, ni plaisanter, ni s'expliquer? Que feras-tu?...

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- Pardon, madame au contraire. La dignité, l'honneur...

Oh!... soyez tra aquille à cet égard, monsieur... Pour vous, plus que pour moi, je saurai garder le secret le plus profond. - Eh bien ! dites? voyons, Caroline, ma Caroline, que ferastu ?...

Caroline jette un regard de vipère à Adolphe, qui recule et va se promener.

Voyons, que comptes-tu faire? demande-t-il après un silence infiniment trop prolongé.

-Je travaillerai, Monsieur !

Sur ce mot sublime, Adolphe exécute un mouvement de retraite, en s'apercevant d'une exaspération enfiellée, en sentant un mistral dont l'âpreté n'avait pas encore soufflé dans la chambre conjugale.

L'ART D'ÊTRE VICTIME.

A compter du Dix-Huit Brumaire, Caroline vaincue adopte un système infernal, et qui a pour effet de vous faire regretter à toute heure la victoire. Elle devient l'Opposition!... Encore un triomphe de ce genre, et Adolphe irait en cour d'assises, accusé d'avoir étouffé sa femme entre deux matelas, comme l'Othello de Shakspeare. Caroline se compose un air de martyr, elle est d'une soumission assommante. A tout propos elle assassine Adolphe par un : « Comme vous voudrez! >> accompagné d'une épouvantable douceur. Aucun poëte élégiaque ne pourrait lutter avec Caroline, qui lance élégie sur élégie élégie en actions, élégie en paroles, élégie à sourire, élégie muette, élégie à ressort, élégie en gestes, dont voici quelques exemples où tous les ménages retrouveront leurs impressions.

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APRÈS DINER. Eh bien! Caroline, tu n'es pas encore habillée ?... dit Adolphe, qui sort de chez lui magnifiquement mis.

Il aperçoit Caroline vêtue d'une robe de vieille plaideuse, une moire noire à corsage croisé. Des fleurs, plus artificieuses qu'artificielles, attristent une chevelure mal arrangée par la femme de chambre. Caroline a des gants déjà portés.

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Je n'en ai pas d'autre. Une toilette fraîche aurait coûté cent écus.

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-Moi, vous tendre la main!... après ce qui s'est passé!... - J'irai seul, dit Adolphe, ne voulant pas être humilié dans sa femme.

- Je sais bien que cela vous arrange, dit Caroline d'un petit ton aigre, et cela se voit assez à la manière dont vous êtes mis.

Onze personnes sont dans le salon, toutes priées à dîner par Adolphe; Caroline est là comme si son mari l'avait invitée : elle attend que le dîner soit servi.

Monsieur, dit le valet de chambre à voix basse à son maître, la cuisinière ne sait où donner de la tête.

Pourquoi ?

Monsieur ne lui a rien dit; elle n'a que deux entrées, le bœuf, un poulet, une salade et des légumes.

· Caroline, vous n'avez donc rien commandé?...

Savais-je que vous aviez du monde, et puis-je d'ailleurs prendre sur moi de commander ici?... Vous m'avez délivrée de tout souci à cet égard, et j'en remercie Dieu tous les jours.

Madame Fischtaminel vient rendre une visite à madame Caroline! elle la trouve toussotant et travaillant le dos courbé sur un métier à tapisserie.

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Vous brodez ces pantoufles-là pour votre cher Adolphe ? Adolphe est posé devant la cheminée en homme qui fait la roue. - Non, madame, c'est pour un marchand qui me les paye; et, comme les forçats du bagne, mon travail me permet de me donner de petites douceurs.

Adolphe rougit; il ne peut pas battre sa femme, et madame de Fischtaminel le regarde en ayant l'air de lui dire : que cela signifie ?...

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Qu'est-ce

Vous toussez beaucoup, ma chère petite!... dit madame de Fischtaminel.

- Oh! répond Caroline, que me fait la vie !...

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