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Caroline est là, sur sa causeuse, avec une femme de vos amies à la bonne opinion de laquelle vous tenez excessivement. Du fond de l'embrasure où vous causez entre hommes, vous entendez, seul mouvement des lèvres, ces mots : Monsieur l'a voulu!..... dits d'un air de jeune Romaine allant au cirque. Profondément humilié dans toutes vos vanités, vous voulez être à cette conversation tout en écoutant vos hôtes; vous faites alors des répliques qui vous valent des : « A quoi pensez-vous? » car vous perdez le fil de la conversation, et vous piétinez sur place en pensant : « Que lui dit-elle de moi? »>

Adolphe est à table chez les Deschars, un dîner de douze personnes, et Caroline est placée à côté d'un joli jeune homme appelé Ferdinand, cousin d'Adolphe. Entre le premier et le second service, on parle du bonheur conjugal.

- Il n'y a rien de plus facile à une femme que d'être heureuse, dit Caroline en répondant à une femme qui se plaint.

Donnez-nous votre secret, madame, dit agréablement monsieur de Fischtaminel.

Une femme n'a qu'à se mêler de rien, se regarder comme la première domestique de la maison ou comme une esclave dont le maître a soin, n'avoir aucune volonté, ne pas faire une observation tout va bien.

Ceci, lancé sur des tons amers et avec des larmes dans la voix, épouvante Adolphe, qui regarde fixement sa femme.

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Vous oubliez, madame, le bonheur d'expliquer son bonheur, réplique-t-il en lançant un éclair digne d'un tyran de mélodrame. Satisfaite de s'être montrée assassinée ou sur le point de l'être, Caroline détourne la tête, essuie furtivement une larme, et dit : On n'explique pas le bonheur.

L'incident, comme on dit à la Chambre, n'a pas de suites, mais Ferdinand a regardé sa cousine comme un ange sacrifié.

On parle du nombre effrayant de gastrites, de maladies inno mées dont meurent les jeunes femmes.

Elles sont trop heureuses! dit Caroline en ayant l'air de donner le programme de sa mort.

La belle-mère d'Adolphe vient voir sa fille. Caroline dit : « Le La chambre de monsieur! » Tout, chez

salon de monsieur!

elle, est à monsieur.

-Ah çà! qu'y a-t-il donc, mes enfants? demande la bellemère; on dirait que vous êtes tous les deux à couteaux tirés?

Eh! mon Dieu, dit Adolphe, il y a que Caroline a eu le gouvernement de la maison et n'a pas su s'en tirer.

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Écoutez, Adolphe, dit la belle-mère après avoir attendu que sa fille l'ait laissée seule avec son gendre, aimeriez-vous mieux que ma fille fût admirablement bien mise, que tout allât à merveille chez vous, et qu'il ne vous en coûtat rien?...

Essayez de vous représenter la physionomie d'Adolphe en entendant cette déclaration des droits de la femme!

Caroline passe d'une toilette misérable à une toilette splendide. Elle est chez les Deschars : tout le monde la félicite sur son goût, sur la richesse de ses étoffes, sur ses dentelles, sur ses bijoux.

Ah! vous avez un mari charmant!... dit madame Deschars. Adolphe se rengorge et regarde Caroline.

Mon mari, madame!... je ne coûte, Dieu merci, rien à monsieur! Tout cela me vient de ma mère.

Adolphe se retourne brusquement, et va causer avec madame de Fischtaminel.

Après un an de gouvernement absolu, Caroline adoucie dit un matin:

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Mon ami, combien as-tu dépensé cette année?...

Je ne sais pas.

Fais tes comptes.

Adolphe trouve un tiers de plus que dans la plus mauvaise année de Caroline.

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Et je ne t'ai rien coûté pour ma toilette, dit-elle.

Caroline joue les mélodies de Schubert. Adolphe éprouve une

jouissance en entendant cette musique admirablement exécutée; il se lève et va pour féliciter Caroline : elle fond en larmes.

- Qu'as-tu?...

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Rien; je suis nerveuse.

Mais je ne te connaissais pas ce vice-là.

Oh! Adolphe, tu ne veux rien voir... Tiens, regarde mes bagues ne me tiennent plus aux doigts, tu ne m'aimes plus, je te suis à charge...

Elle pleure, elle n'écoute rien, elle repleure à chaque mot d'Adolphe.

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Veux-tu reprendre le gouvernement de la maison ?

Ah! s'écrie-t-elle en se dressant en pieds comme une surprise, maintenant que tu as assez de tes expériences?... Merci! Est-ce de l'argent que je veux? Singulière manière de panser un cœur blessé... Non, laissez-moi...

Ce:

Eh bien! comme tu voudras, Caroline.

Comme tu voudras!» est le premier mot de l'indifférence en matière de femme légitime; et Caroline aperçoit un abîme vers lequel elle a marché d'elle-même.

LA CAMPAGNE DE FRANCE

Les malheurs de 1814 affligent toutes les existences. Après les brillantes journées, les conquêtes, les jours où les obstacles se changeaient en triomphes, où le moindre achoppement devenait un honheur, il arrive un moment où les plus heureuses idées tournent en sottises, où le courage mène à la perte, où la fortification fait trébucher. L'amour conjugal, qui, selon les auteurs, est un cas particulier d'amour, a, plus que toute autre chose humaine, Campagne de France, son funeste 1814. Le diable aime surtout mettre sa queue dans les affaires des pauvres femmes délaissées, Caroline en est là.

Caroline en est à rêver aux moyens de ramener son mari! Caroline passe à la maison beaucoup d'heures solitaires, pendant lesquelles son imagination travaille. Elle va, vient, se lève, et souvent elle reste songeuse à sa fenêtre, regardant la rue sans y rien voir, la figure collée aux vitres, et se trouvant comme dans un désert au

milieu de ses Petits-Dunkerques, de ses appartements meublés avec luxe.

Or, à Paris, à moins d'habiter un hôtel à soi, sis entre cour et jardin, toutes les existences sont accouplées. A chaque étage d'une maison, un ménage trouve dans la maison située en face un autre ménage. Chacun plonge à volonté ses regards chez le voisin. Il existe une servitude d'observation mutuelle, un droit de visite commun auxquels nul ne peut se soustraire. Dans un temps donné, le matin, vous vous levez de bonne heure, la servante du voisin fait l'appartement, laisse les fenêtres ouvertes et les tapis sur les appuis vous devinez alors une infinité de choses, et réciproquement. Aussi, dans un temps donné, connaissez-vous les habitudes de la jolie, de la vieille, de la jeune, de la coquette, de la vertueuse femme d'en face, ou les caprices du fat, les inventions du vieux garçon, la couleur des meubles, le chat du second ou du troisième. Tout est indice et matière à divination. Au quatrième étage, une grisette surprise se voit, toujours trop tard, comme la chaste Suzanne, en proie aux jumelles ravies d'un vieil employé à dix-huit cents francs, qui devient criminel gratis. Par compensation, un beau surnuméraire, jeune de ses dix-neuf ans, apparaît à une dévote dans le simple appareil d'un homme qui se barbifie. L'observation ne s'endort jamais, tandis que la prudence a ses moments d'oubli. Les rideaux ne sont pas toujours détachés à temps. Une femme, avant la chute du jour, s'approche de la fenêtre pour enfiler une aiguille, et le mari d'en face admire alors une tête de Raphaël, qu'il trouve digne de lui, garde national imposant sous les armes. Passez place Saint-Georges, et vous pouvez y surprendre les secrets de trois jolies femmes, si vous avez de l'esprit dans le regard. Oh! la sainte vie privée, où est-elle ? Paris est une ville qui se montre quasi nue à toute heure, une ville essentiellement courtisane et sans chasteté. Pour qu'une existence y ait de la pudeur, elle doit posséder cent mille francs de rente. Les vortus y sont plus chères que les vices.

Caroline, dont le regard glisse parfois entre les mousselines protectrices qui cachent son intérieur aux cinq étages de la maison d'en face, finit par observer un jeune ménage plongé dans les joies de la lune de miel, et venu nouvellement au premier devant ses fenêtres. Elle se livre aux observations les plus irritantes. On ferme les persiennes de bonne heure, on les ouvre tard. Un jour

Caroline, levée à huit heures, toujours par hasard, voit la femme de chambre apprêtant un bain ou quelque toilette du matin, un délicieux déshabillé. Caroline soupire. Elle se met à l'affût comme un chasseur : elle surprend la jeune femme la figure illuminée par le bonheur. Enfin, à force d'épier ce charmant ménage, elle voit monsieur et madame ouvrant la fenêtre, et légèrement pressés l'un contre l'autre, accoudés au balcon, y respirant l'air du soir. Caroline se donne des maux de nerfs en étudiant sur les rideaux, un soir que l'on oublie de fermer les persiennes, les ombres de ces deux enfants se combattant, dessinant des fantasmagories explicables ou inexplicables. Souvent la jeune femme, assise, mélancolique et rêveuse, attend l'époux absent, elle entend le pas d'un cheval, le bruit d'un cabriolet au bout de la rue, elle s'élance de son divan, et, d'après son mouvement, il est facile de voir qu'elle s'écrie: C'est lui !...

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-

Comme ils s'aiment! se dit Caroline.

A force de maux de nerfs, Caroline arrive à concevoir un plan excessivement ingénieux : elle invente de se servir de ce bonheur conjugal comme d'un topique pour stimuler Adolphe. C'est une idée assez dépravée, une idée de vieillard voulant séduire une petite fille avec des gravures ou des gravelures; mais l'intention de Caroline sanctifie tout!

Adolphe, dit-elle enfin, nous avons pour voisine en face une femme charmante, une petite brune...

- Qui, réplique Adolphe, je la connais. C'est une amie de madame Fischtaminel; madame Foullepointe, la femme d'un agent de change, un homme charmant, un bon enfant, et qui aime sa femme il en est fou! Tiens?... il a son cabinet, ses bureaux, sa caisse dans la cour, et l'appartement sur le devant est celui de madame. Je ne connais pas de ménage plus heureux. Foullepointe parle de son bonheur partout, même à la Bourse : il en est ennuyeux.

Eh bien ! fais-moi donc le plaisir de me présenter monsieur et madame Foullepointe! Ma foi, je serais enchantée de savoir comment elle s'y prend pour se faire si bien aimer de son mari... Y a-t-il longtemps qu'ils sont mariés?

Absolument comme nous, depuis cinq ans...

Adolphe, mon ami, j'en meurs d'envie! Oh! lie-nous toutes les deux. Suis-je aussi bien qu'elle?

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