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» le disiez, toutes les qualités négatives qui font les maris pas»sables; mais qu'a-t-il? Eh bien, chère maman, il est inoccupé. » Nous sommes ensemble pendant toute la sainte journée !... » Croiriez-vous que c'est pendant la nuit, quand nous sommes le » plus réunis, que je puis être le moins avec lui. Je n'ai que son sommeil pour asile, ma liberté commence quand il dort. Non, >> cette obsession me causera quelque maladie. Je ne suis ja»nais seule. Si monsieur de Fischtaminel était jaloux, il y aurait » de la ressource. Ce serait alors une lutte, une petite comédie; » mais comment l'aconit de la jalousie aurait-il poussé dans son » âme ? il ne m'a pas quittée depuis notre mariage. Il n'éprouve >> aucune honte à s'étaler sur un divan et il y reste des heures » entières.

>> Deux forçats rivés à la même chaîne ne s'ennuient pas ; ils » ont à méditer leur évasion; mais nous n'avons aucun sujet de >> conversation, nous nous sommes tout dit. Enfin il en était, il y >> a quelque temps, réduit à parler politique. La politique est » épuisée, Napoléon étant, pour mon malheur, décédé, comme on » sait, à Sainte-Hélène.

>> Monsieur de Fischtaminel a la lecture en horreur. S'il me » voit lisant, il arrive et me demande dix fois dans une demi>> heure : Nina, ma belle, as-tu fini?

>> J'ai voulu persuader à cet innocent persécuteur de monter » à cheval tous les jours, et j'ai fait intervenir la suprême consi» dération pour les hommes de quarante ans, sa santé ! Mais il >> m'a dit qu'après avoir été pendant douze ans à cheval, il éprou» vait le besoin du repos.

» Mon mari, ma chère mère, est un homme qui vous absorbe, » il consomme le fluide vital de son voisin, il a l'ennui gourmand: » il aime à être amusé par ceux qui viennent nous voir, et après cinq ans de mariage nous n'avons plus personne : il ne vient

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» ici que des gens dont les intentions sont évidemment contraires

» à son honneur, et qui tentent, sans succès, de l'amuser, afin » de conquérir le droit d'ennuyer sa femme.

» Monsieur de Fischtaminel, ma chère maman, ouvre cinq ou » six fois par heure la porte de ma chambre, ou de la pièce où je » me refugie, et il vient à moi d'un air effaré, me demandant : Eh bien! que fais-tu donc, ma belle? (le mot de l'Empire) » sans s'apercevoir de la répétition de cette question, qui pour

- «

» moi devient comme la pinte que versait autrefois le bourreau » dans la torture de l'eau.

>> Autre supplice! Nous ne pouvons plus nous promener. La promenade sans conversation, sans intérêt, est inpossible. Mon » mari se promène avec moi pour se promener, comme s'il était » seul. On a la fatigue sans avoir le plaisir.

>> De notre lever à notre déjeuner, l'intervalle est rempli par » ma toilette, par les soins du ménage, je puis encore supporter >> cette portion de la journée; mais du déjeuner au dîner, c'est » une lande à labourer, un désert à traverser. L'inoccupation de » mon mari ne me laisse pas un instant de repos, il m'assomme » de son inutilité, son inoccupation me brise. Ses deux yeux ou» verts à toute heure sur les miens me forcent à tenir mes yeux » baissés. Enfin ses monotones interrogations:

>>> Quelle heure est-il, ma belle? · Que fais-tu donc là? >> A quoi penses-tu? Que comptes-tu faire? Où irons-nous

» ce soir? Quoi de nouveau ?

Oh! quel temps!

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Je ne

» vais pas bien, etc., etc. Toutes ces variations, de la même >> chose (le point d'interrogation); qui composent le répertoire » Fischtaminel, me rendront folle.

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Ajoutez à ces flèches de plomb incessamment décochées un » dernier trait qui vous peindra mon bonheur, et vous compren» drez má vie.

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» Monsieur de Fischtaminel, parti sous-lieutenant en 1809, à » dix-huit ans, n'a d'autre éducation que celle due à la discipline, » à l'honneur du noble et du militaire; s'il a du tact, le senti» ment du probe, de la subordination, il est d'une ignorance » crasse, il ne sait absolument rien, et il a horreur d'apprendre quoi que ce soit. Oh! ma chère maman, quel concierge accompli ce colonel aurait fait s'il eût été dans l'indigence! je ne lui » sais aucun gré de sa bravoure, il ne se battait pas contre les » Russes, ni contre les Autrichiens, ni contre les Prussiens: il se >> battait contre l'ennui. En se précipitant sur l'ennemi, le capi>> taine Fischtaminel éprouvait le besoin de se fuir lui-même. Il » s'est marié par désœuvrement.

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>> Autre petit inconvénient: monsieur tracasse tellement les do»mestiques, que nous en changeons tous les six mois.

» J'ai tant envie, chère maman, d'être une honnête femme, » que je vais essayer de voyager six mois par année. Pendant

» l'hiver, j'irai tous les soirs aux Italiens, à l'Opéra, dans le monde; » mais notre fortune est-elle assez considérable pour fournir à de » telles dépenses? Mon oncle de Cyrus devrait venir à Paris, j'en >> aurais soin comme d'une succession.

» Si vous trouvez un remède à mes maux, indiquez-le à votre fille, qui vous aime autant qu'elle est malheureuse, et qui » aurait bien voulu se nommer autrement que

» NINA FISCHTAMINEL. »

Outre la nécessité de peindre cette petite misère qui ne pouvait être bien peinte que de la main d'une femme, et qu'elle femme! il était nécessaire de vous faire connaître la femme que vous n'avez encore vue que de profil dans la première partie de ce livre, la reine de la société particulière où vit Caroline, la femme enviée, la femme habile qui, de bonne heure, a su concilier ce qu'elle doit au monde avec les exigences du cœur. Cette lettre est son absolution.

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Certains maris sont si ravis d'avoir une femme à eux, chance uniquement due à la légalité, qu'ils craignent une erreur chez le public, et ils se hâtent de marquer leur épouse, comme les marchands de bois marquent les bûches au flottage, ou les propriétaires de Berry leurs moutons. Devant tout le monde, ils prodiguent à la façon romaine (columbella) à leurs femmes des surnoms pris au règne animal, et ils les appellent : ma poule,―ma chatte, mon petit lapin; ou, passant au règne vé

mon rat,

--

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ma figue (en Provence

seulement), ma prune (en Alsace seulement),

Et jamais :

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Ou, ce qui devient plus grave! - Bobonne, ma mère, — ma fille, la bourgeoise,

ma vieille! (quand la femme est

très-jeune.)

Quelques-uns hasardent des surnoms d'une décence douteuse,

tels que:

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Mon bichon, ma niniche, Tronquette! Nous avons entendu un de nos hommes politiques le plus remarquable par sa laideur appelant sa femme: Moumoutte!... J'aimerais mieux, disait à sa voisine cette infortunée, qu'il me donnât un soufflet.

- Pauvre petite femme, elle est bien malheureuse! reprit la voisine en me regardant quand Moumoutte fut partie; lorsqu'elle est dans le monde avec son mari, elle est sur les épines, elle le fuit. Un soir, ne l'a-t-il pas prise par le cou en lui disant : - Allons, viens, ma grosse!

On prétend que la cause d'un très-célèbre empoisonnement d'un mari par l'arsenic, provenait des indiscrétions continuelles que subissait la femme dans le monde. Ce mari donnait de légères tapes sur les épaules de cette femme conquise à la pointe du Code, il la surprenait par un baiser retentissant, il la déshonorait par une tendresse publique assaisonnée de ces fatuités grossières dont le secret appartient à ces sauvages de France, vivant au fond des campagnes, et dont les mœurs sont encore peu connues malgré les efforts des naturalistes du roman.

Ce fut, dit-on, cette situation choquante qui, bien appréciée par des jurés pleins d'esprit, valut à l'accusée un verdict adouci par les circonstances atténuantes.

Les jurés se dirent :

Punir de mort ces délits conjugaux, c'est aller un peu loin; mais une femme est très-excusable quand elle est si molestée!...

Nous regrettons infiniment, dans l'intérêt des mœurs élégantes, que ces raisons ne soient pas généralement connues. Aussi Dieu veuille que notre livre ait un immense succès, les femmes y gagneront d'être traitées comme elles doivent l'être, en reines.

En ceci, l'amour est bien supérieur au mariage, il est fier des indiscrétions, certaines femmes les quêtent, les préparent, et malheur à l'homme qui ne s'en permet pas quelques-unes!

Combien de passion dans un tu égaré!

-

J'ai entendu, c'était en province, un mari qui nommait sa femme : Ma berline... Elle en était heureuse, elle n'y voyait rien de ridicule; elle l'appelait son fiston!... Aussi ce délicieux couple ignorait-il qu'il existât des petites misères.

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Ce fut en observant cet heureux ménage que l'auteur trouva cet axiome.

AXIOME.

Pour être heureux en ménage, il faut être ou homme de génie marié à une femme tendre et spirituelle, ou se tronver, par l'effet d'un hasard qui n'est pas aussi commun qu'on pourrait le penser, tous les deux excessivement bêtes.

L'histoire un peu trop célèbre de la cure par l'arsenic d'un amour-propre blessé, prouve qu'à proprement parler, il n'y a pas de petites misères pour la femme dans la vie conjugale.

AXIOME.

La femme vit par le sentiment, là où l'homme vit par l'action.

Or, le sentiment peut à tout moment faire d'une petite misère soit un grand malheur, soit une vie brisée, soit une éternelle infortune.

Que Caroline commence, dans l'ignorance de la vie et du monde, par causer à son mari les petites misères de sa bêtise (relire LES DÉCOUVERTES), Adolphe a, comme tous les hommes, des compensations dans le mouvement social: il va, vient, sort, fait des affaires. Mais pour Caroline, en toutes choses il s'agit d'aimer ou de ne pas aimer, d'être ou de ne pas être aimée.

Les indiscrétions sont en harmonie avec les caractères, les temps et les lieux. Deux exemples suffiront.

Voici le premier. Un homme est de sa nature sale et laid; il est mal fait, repoussant. Il y des hommes, et souvent des gens riches, qui, par une sorte de constitution inobservée, salissent des habits neufs en vingt-quatre heures. Ils sont nés dégoûtants. Il est enfin si déshonorant pour une femme de ne pas être uniquement l'épouse de ces sortes d'Adolphe, qu'une Caroline avait depuis longtemps exigé la suppression des tutoiements modernes et tous les insignes de la dignité des épouses. Le monde était habitué depuis cinq ou six ans à cette tenue, et croyait madame et monsieur d'autant plus séparés qu'il avait remarqué l'avénement d'un Ferdinand II.

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Un soir, devant dix personnes, monsieur dit à sa femme : Caroline, passe-moi les pincettes. Ce n'est rien, et c'est tout. Ce fut une révolution domestique.

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