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Quand on donne à une femme des raisons au lieu de lui donner ce qu'elle veut, peu d'hommes ont osé descendre au fond de ce petit gouffre appelé le cœur, pour y mesurer la force de la tempête qui s'y fait subitement.

Des raisons! Mais si vous en voulez, en voici, s'écrie Caroline. Je suis votre femme vous ne vous souciez plus de me plaire. Et la dépense donc! Vous vous trompez bien en ceci, mon

ami!

Les femmes ont autant d'inflexions de voix pour prononcer ces mots: Mon Ami, que les Italiens en ont trouvé pour dire : Amico; j'en ai compté vingt-neuf qui n'expriment encore que les différents degrés de la haine.

-Ah! tu verras, reprend Caroline. Je serai malade, et vous payerez à l'apothicaire et au médecin ce que vous aurait coûté le cheval. Je serai chez moi claquemurée, et c'est tout ce que vous voulez. Je m'y attendais. Je vous ai demandé cette permission, sûre d'un refus je voulais uniquement savoir comment vous vous y prendriez pour le faire.

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Mais... Caroline.

Me laisser seule au manége! dit-elle en continuant sans avoir entendu. Est-ce une raison? Ne puis-je y aller avec madame de Fischtaminel? Madame de Fischtaminel apprend à monter à cheval, et je ne crois pas que monsieur de Fischtaminel l'accompagne. Mais... Caroline.

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Je suis enchantée de votre sollicitude, vous tenez beaucoup trop à moi, vraiment. Monsieur de Fischtaminel a plus de confiance en sa femme que vous en la vôtre. Il ne l'y accompagne pas, lui! Peut-être est-ce à cause de cette confiance que vous ne voulez pas me voir au manége, où je puis être témoin du vôtre avec la Fischtaminel.

Adolphe essaye de cacher l'ennui que lui donne ce torrent de paroles, qui commence à moitié chemin de son domicile et qui ne trouve pas de mer où se jeter. Quand Caroline est dans sa chambre, elle continue toujours:

Tu vois que si des raisons pouvaient me rendre la santé, m'empêcher de souhaiter un exercice que la nature m'indique, je ne manquerais pas de raison à me donner, que je connais toutes les raisons à donner, et que je me les suis données avant de te parler.

Ceci, mesdames, peut d'autant mieux s'appeler le prologue du drame conjugal, que c'est rudement débité, commenté de gestes, orné de regards et autres vignettes avec lesquels vous illustrez ces chefs-d'œuvre.

Caroline, une fois qu'elle a semé dans le cœur d'Adolphe l'appréhension d'une scène à demande continue, a senti sa haine de côté gauche redoublée contre son gouvernement. Madame bōude; et boude si sauvagement, qu'Adolphe est forcé de s'en apercevoir, sous peine d'être minautorisé, car tout est fini, sachez-le bien, entre deux êtres mariés par monsieur le maire, ou seulement à Gretna-Green, lorsqu'un d'eux ne s'aperçoit plus de la bouderie. de l'autre.

AXIOME.

Une bouderie rentrée est un poison mortel.

C'est pour éviter ce suicide de l'amour que notre ingénieuse France inventa les boudoirs. Les femmes ne pouvaient pas avoir les saules de Virgile dans le système de nos habitations modernes. A la chute des oratoires, ces petits endroits devinrent des boudoirs.

Ce drame conjugal a trois actes. L'acte du prologue : il est joué. Vient l'acte de la fausse coquetterie : c'est un de ceux où les Françaises ont le plus de succès.

Adolphe vague par la chambre en se déshabillant; et pour un homme, se déshabiller, c'est devenir excessivement faible.

Certes, à tout homme de quarante ans, cet axiome paraîtra profondément juste:

AXIOME.

Les idées d'un homme qui n'a plus de bretelles ni de bottes ne sont plus celles d'un homme qui porte ces deux tyrans de notre esprit.

Remarquez que ceci n'est un axiome que dans la vie conjugale. En morale, c'est ce que nous appelons un théorème relatif.

Caroline mesure, comme un jockey sur le terrain des courses, le moment où elle pourra distancer son adversaire. Elle s'arrange alors pour être d'une séduction irrésistible pour Adolphe.

Les femmes possèdent une mimique de pudeur, une science de voltige, des secrets de colombe effarouchée, un registre particu

lier pour chanter, comme Isabelle au quatrième acte de Robert le Diable: « Grâce pour toi! grâce pour moi! » qui laissent les entraîneurs de chevaux à mille piques au-dessous d'elles. Comme toujours, le Diable succombe. Que voulez-vous? C'est l'histoire éternelle, c'est le grand mystère catholique du serpent écrasé, de la femme délivrée qui devient la grande force sociale, disent les fouriéristes. C'est en ceci surtout que consiste la différence de l'esclave orientale à l'épouse de l'Occident.

Sur l'oreiller conjugal, le second acte se termine par des onomatopées qui sont toutes à la paix. Adolphe, de même que les enfants devant une tarte, a promis tout ce que voulait Caroline.

TROISIÈME ACTE. (Au lever du rideau, la scène représente une chambre à coucher extrêmement en désordre. Adolphe, déjà vêtu de sa robe de chambre, essaye de sortir et sort furtivement sans éveiller Caroline, qui dort d'un profond sommeil.)

Caroline, extrêmement heureuse, se lève, va consulter son mi、 roir, et s'inquiète du déjeuner. Une heure après, quand elle est prête, elle apprend que le déjeuner est servi.

· Avertissez monsieur !

-Madame, monsieur est dans le petit salon.

Que tu n'es ben gentil, mon petit homme, dit-elle en allant au-devant d'Adolphe et reprenant le langage enfantin, câlin, de la lune de miel.

- Et de quoi?

Eh bien! de n'avoir permis que ta Liline monte à dada...

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OBSERVATION. Pendant la lune de miel, quelques époux, très-jeunes, ont pratiqué des langages que, dans l'antiquité, Aristote avait déjà classés et définis (voir sa Pédagogie). Ainsi donc on parle en youyou, on parle en lala, on parle en nana, comme les mères et les nourrices parlent aux enfants. C'est là une des raisons secrètes, discutées et reconnues dans de gros in-quarto par les Allemands, qui déterminèrent les Cabires, créateurs de la mythologie grecque, à représenter l'Amour en enfant. Il y a d'autres raisons que connaissent les femmes, et dont la principale

est, selon elles, que l'amour chez les hommes est toujours petit.

Où donc as-tu pris cela, ma belle? sous ton bonnet?
Comment?...

Caroline reste plantée sur ses jambes; elle ouvre des yeux agrandis par la surprise. Epileptique en dedans, elle n'ajoute pas un mot elle regarde Adolphe. Sous les feux sataniques de ce regard, Adolphe accomplit un quart de conversion vers la salle à manger; mais il se demande en lui-même s'il ne faut pas laisser Caroline prendre une leçon, en recommandant à l'écuyer de la dégoûter de l'équitation par la dureté de l'enseignement.

Rien de terrible comme une comédienne qui compte sur un succès, et qui fait four.

En argot de coulisses, faire four c'est ne voir personne dans la salle ni recueillir aucun applaudissement, c'est beaucoup de peine prise pour rien, c'est l'insuccès à son apogée.

Cette petite misère (elle est très-petite) se reproduit de mille manières dans la vie conjugale, quand la lune de miel est finie, et que les femmes n'ont pas une fortune à elles.

Malgré la répugnance de l'auteur à glisser des anecdotes dans un ouvrage tout aphoristique, dont le tissu ne comporte que des observations plus ou moins fines et très-délicates, par le sujet du moins, il lui semble nécessaire d'orner cette page d'un fait dû d'ailleurs à l'un de nos premiers médecins. Cette répétition du sujet renferme une règle de conduite à l'usage des docteurs parisiens.

Un mari se trouvait dans le cas de notre Adolphe. Sa Caroline, ayant fait four une première fois, s'entêtait à triompher, car souvent Caroline triomphe! Celle-là jouait la comédie de la maladie nerveuse (voyez la PHYSIOLOGIE DU MARIAGE, Méditation XXVI, paragraphe des Névroses). Elle était depuis deux mois étendue sur son divan, se levant à midi, renonçant à toutes les jouissances de Paris. Pas de spectacles........ Oh! l'air empesté, les lumières! les lumières surtout!... le tapage, la sortie, l'entrée, la musique... tout cela, funeste! d'une excitation terrible!

Pas de parties de campagne... Oh! c'était son désir; mais il lui fallait (desiderata) une voiture à elle, des chevaux à elle...

Monsieur ne voulait pas lui donner un équipage. Et aller en locati, en fiacre... rien que d'y penser elle avait des nausées!

Pas de cuisine... la fumée des viandes faisait soulever le cœur de madame. Madame buvait mille drogues que sa femme de chambre ne lui voyait jamais prendre.

Enfin une dépense effrayante en effets, en privations, en poses, en blanc de perle pour se montrer d'une pâleur de morte, en machines, absolument comme quand une administration théâtrale répand le bruit d'une mise en scène fabuleuse.

On en était à croire qu'un voyage aux eaux, à Ems, Hombourg, à Carlsbad, pourrait à peine guérir madame; mais elle ne voulait pas se mettre en route sans aller dans sa voiture. Toujours la voiture!

Cet Adolphe tenait bon, et ne cédait pas.

Cette Caroline, en femme excessivement spirituelle, donnait raison à son mari.

-Adolphe a raison, disait-elle à ses amies, c'est moi qui suis folle; il ne peut pas, il ne doit pas encore prendre voiture; les hommes savent mieux que nous où en sont leurs affaires...

Par moments cet Adolphe enrageait! les femmes ont des façons qui ne sont justiciables que de l'enfer. Enfin le troisième mois, il rencontre un de ses amis de collége, sous-lieutenant dans le corps des médecins, ingénu comme tout jeune docteur, n'ayant ses épaulettes que d'hier et pouvant commander feu!

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Jeune femme, jeune docteur, se dit notre Adolphe.

Et il propose au Bianchon futur de venir lui dire la vérité sur l'état de Caroline.

Ma chère, il est temps que je vous amène un médecin, dit le soir Adolphe à sa femme, et voici le meilleur pour une jolie femme.

Le novice étudie en conscience, fait causer madame, la palpe avec discrétion, s'informe des plus légers diagnostics, et finit, tout en causant, par laisser fort involontairement errer sur ses lèvres, d'accord avec ses yeux, un sourire, une expression excessivement dubitatifs, pour ne pas dire ironiques. Il ordonne une médication insignifiante sur la gravité de laquelle il insiste, et il promet de revenir en voir l'effet. Dans l'antichambre, se croyant seul avec son ami de collége, il fait un haut-le-corps inexprimable.

-Ta femme n'a rien, mon cher, dit-il; elle se moque de toi et de moi.

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