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naturellement l'infériorité du français par rapport aux languos anciennes. Les défauts qu'ils lui reprochent sont l'instabilité et ici ils se rencontrent avec nombre d'auteurs profanes et les protestants eux-mêmes, la pauvreté et le manque de majesté 1. On ne 1. sera pas étonné qu'un de ces dédaigneux soit ce Lizet, dont les prétentions à la latinité ont été si cruellement raillées dans l'épître de Passavant. On le sera plus de trouver Montaigne dans les mêmes rangs 2. Toutefois, ce n'est pas seulement dans ses Essais que ce sceptique s'est prononcé en faveur de ceux qu'effrayent la profanation des chants sacrés. Au parlement où il siégeait, on décida de faire saisir les exemplaires des Psaumes (1556).

Cette répression impitoyable redoubla, quand à un roi réservé

1. V. Roteri o. c., p. 52: « Lingua enim vernacula et popularis ieiuna est et inops. nominum et verborum, quibus pro grauitate, dignitate, puritateque respondere valeat tribus illis nobilibus longius, non absque mysterio in triumphali crucis tropheo affixis. Quarum Hebræa sanctitate, Græca facundia, Latina grauitate pollet. His enim duntaxat vocibus et verbis prædita est lingua vulgaris, quibus res infimæ, usibus popularibus accommodatæ enuntiantur. Ad inuisibilia vero, solo fidei spiritu agnoscibilia, mutila est ineptaque.... Si enim libri ciuilis prudentiæ Galeni medici, Philosophicorum, Historicorumque (in quibus nil, nisi sensibile tritum quotidianisque usibus dicatum tractatur) a nonnullis in vulgarem sermonem traducti, habiti sunt eontemptui, visique fuere obscuriores vulgariter quam latine loquentes, quomodo scripturas non humano, sed diuino spiritu afflatas, res super omnes sensus eleuatas, et vix angelorum lingua enunciabiles referentes, lingua vulgaris depressa, ac sterilis, pro dignitate et gratia proferre poterit!

2. « Ce n'est pas sans grande raison, ce me semble, que l'Eglise defend l'usage promiscue, temeraire et indiscret des sainctes et diuines chansons que le sainctEsprit a dicté en Dauid. Il ne faut mesler Dieu en nos actions qu'auecques reuerence et attention pleine d'honneur et de respect. Cette voix est trop diuine pour n'auoir aultre usage que d'exercer les poulmons, et plaire a nos aurcilles : c'est de la conscience qu'elle doibt estre produicte et non pas de la langue. Ce n'est pas raison qu'on permette qu'un garson de boutique, parmy ses vains et friuoles pensemens, s'en entretienne et s'en ioue; n'y n'est certes raison de voir tracasser entre les mains de toutes personnes, par une salle et par une cuisine, le sainct livre des sacrez mysteres de nostre creance, c'estoient aultrefois mysteres, ce sont à present desduits et esbats. Ce n'est pas en passant et tumultuairement qu'il fault manier un estude si serieux et venerable; ce doibt estre une action destinée et rassise, à laquelle on doibt tousjours adjouster cette preface de nostre office Sursum corda, et y apporter le corps mesme disposé en contenance qui tesmoigne une particuliere attention et reverence. Ce n'est pas l'estude de tout le monde; c'est l'estude des personnes qui y sont vouées, que Dieu y appelle; les meschants, les ignorants, s'y empirent : ce n'est pas une histoire à conter; c'est une histoire à reverer, craindre et adorer. Plaisantes gents, qui pensent l'avoir rendue palpable au peuple, pour l'avoir mise en langage populaire!....

« Je croi aussi que la liberté à chascun de dissiper une parole si religieuse et importante à tant de sortes d'idiomes, a beaucoup plus de danger que d'utilité. Les Juifs, les Mahometans, et quasi touts aultres, ont espousé et reverent le langage auquel originellement leurs mysteres avoient esté conceus; et en est deffendue l'alteration et changement, non sans apparence. Sçavons-nous bien qu'en Basque et en Bretagne, il y ayt des juges assez pour establir cette traduction faicte en leur langue? L'Eglise universelle n'a point de jugement plus ardu à faire et plus solenne. En preschant et parlant l'interprétation est vague, libre, muable, et d'une parcelle; ainsi ce n'est pas de mesme (Ess., I, 56).

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en succéda un autre qui pria simplement la Faculté de délibérer ce que de raison. Elle durait encore à la fin du siècle, il finit pour la Sorbonne sur un procès relatif à cette question.

Entamé contre René Benoît, un de ses professeurs, qui s'était permis d'imprimer en 1568 une Bible française sans qu'elle eût été revue par elle, malgré la défense qu'elle en avait faite à ses membres le 1er avril 1565, il fut conduit avec un tel acharnement de procédure en procédure qu'il ne se termina que le 2 avril 1598. Le concile de Trente donna à peu près pleinement raison aux docteurs. Parmi les règles publiées par Pie V, trois mois après la séparation du concile, et accompagnées d'un index des livres prohibés, deux touchent à cette question. D'après elles, les versions hérétiques du Nouveau Testament ne doivent être lues par personne; celles de l'Ancien peuvent être permises par l'évêque aux hommes pieux et instruits. Quant aux traductions approuvées, la lecture en étant en général plus nuisible qu'utile, elles ne peuvent être lues que sur une autorisation écrite donnée aux laïques, dont on sait de façon certaine que cet exercice ne fera qu'augmenter leur foi et leur piété. Encore ce régime parut-il trop libéral par ce temps de troubles, et Clément VIII retira la permission la même année où il donnait l'absolution à Henri IV (17 oct. 1595) 1.

Ainsi, au seuil du xvIe siècle, la division restait très nette. L'Eglise catholique subissait la langue vulgaire, là où elle ne pouvait l'écarter; elle entendait même s'en servir comme elle a toujours fait des langues vulgaires, pour des missions de propagande orale ou écrite. Mais elle l'excluait du culte proprement dit, et surtout elle ne s'était pas résolue à comprendre officiellement, parmi

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1. Comme c'est là une vraie question de théologie, il y a là-dessus toute une littérature au XVIIe siècle, lorsque la querelle reprend avec les jansenistes:

1° Collectio quorumdam gravium authorum qui ex professo, vel ex occasione, sacræ Scripturæ, aut divinorum officiorum, in vulgarem linguam translationes, damnarunt. Jussu ac mandato ejusdem Cleri Gallicani edita; Paris, Ant. Vitré, 1661. En tète un Hercule avec cette devise: virtus non territa monstris.)

2o Le sanctuaire fermé aux profanes, ou la Bible défendue au vulgaire, par M. Lemaire, licencié en th., conseiller, aumosnier et prédicateur du Roy; Paris, Séb. Cramoisy, 1661.

3o Jacobi Usserii Armachani archiepiscopi Historia dogmatica controversiæ inter Orthodoxos et Pontificios de scripturis et sacris vernaculis, éd. par Henri Warton, archevêque, Londres, Chiswell. 1689. Ce livre est un exposé méthodique de toutes les opinions sur la question depuis les origines du christianisme et même dans l'ancienne Loi.

Cf. Delitzsch, Das Lehrsystem der röm. Kirche, Gotha, 1875. Cf. Hugo Laemmer, Die vortridentinisch-katholische Theologie..., Berlin, 1858. Hegelmeyer, Geschichte des Bibelverbotes, 1783. Leander van Esz, Auszüge aus den heiligen Vätern und anderen Lehrern der katholischen Kirche über das notwendige und nützliche Bibel lesen, 1808.

les livres d'édification, la Bible elle-même. Cette interdiction de vulgariser en France ce qui est devenu ailleurs le livre par excellence a eu certainement de graves conséquences, non seulement pour le développement de notre idiome, mais pour le développement des idées morales et religieuses de la nation même.

CHAPITRE III

INFLUENCE FAVORABLE DE LA ROYAUTÉ

Si le français trouvait de si redoutables adversaires, en revanche de Louis XII à Henri III, il fut appuyé, avec plus ou moins de force, mais de façon à peu près constante, par la royauté. On ferait un livre entier avec les préfaces ou même les fragments de préfaces, dans lesquels les auteurs les plus divers, poètes et grammairiens, médecins et historiens, conteurs et philosophes, remercient François Ier, Henri II, Charles IX, Henri III du soin qu'ils prennent d'enrichir la langue française. Sebilet et Du Bellay, Des Periers et Amyot, Heroet et Henri Estienne, s'accordent dans leurs éloges.

Qu'il faille rabattre quelque chose de ces compliments entassés, quiconque connaît le ton des morceaux auxquels je fais allusion le sait par avance. On sourit à entendre un contemporain déclarer que c'est du nom du premier François que notre langue a pris le nom de françoise. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a, sous l'enflure de ces phrases, un fait réel, que l'histoire de la littérature a depuis longtemps mis en lumière la royauté a protégé et aidé le progrès des lettres françaises. Ni François Ier, ni aucun de ses successeurs immédiats n'a institué un professeur de français; il y eut du moins dès 1543, un imprimeur royal de français, ce qui était aussi un progrès, le seul peut-être que l'époque comportât. On récompensait ceux qui publiaient en français, traducteurs et écrivains originaux. Il arrivait même qu'on suscitait leur initiative, et que leur travail était commandé par un ordre exprès de la royauté. Et je ne fais pas seulement allusion à des livres comme ceux de Du Haillan, l'histoire des rois de France pouvant être considérée comme un véritable instrument de propagande politique. Bien avant cette date, des ordres analogues furent adressés à toutes sortes d'écrivains. La rédaction même de certains privilèges leur était comme une sorte d'invitation générale. Ainsi je citerai celui qui fut donné par Henri II à Guy de Bruès pour ses Dialogues contre les nouveaux Académiciens, le 30 août 15561, où la chancellerie,

1. Paris, Cavellat, 1557.

d'ordinaire plus sèche, insère la phrase suivante : « Nous, desirans singulierement ceste route ouuerte par ledict de Brues (faisant grand deuoir de rendre la philosophie domestique et familiere a noz subiects en leur langue mesmes) estre suiuie par les autres bons et excellens esperits de nostre royaume, et par iceux petit a petit estre aconduite de la Grece et du païs des Latins en ces marches.... » Le goût personnel que plusieurs d'entre les derniers Valois, à l'imitation des princes italiens, ont professé pour la poésie, et en général pour les lettres françaises, s'accuse là très nettement. Il est certain qu'un François Ier a aimé les beaux vers, comme il aimait les jolies femmes, les beaux châteaux et les grandes œuvres des artistes. Il est vrai aussi que Henri III a pris plaisir à faire alterner avec les conversations de ses mignons des discussions académiques sur les meilleures espèces de vertus. Mais à voir toute une suite de maîtres de tempéraments très divers persévérer avec tant de fermeté dans la même conduite, on se demande si cette rare constance s'explique suffisamment par l'impulsion une fois donnée, et par l'identité des penchants et des modes qui ont régné, au XVIe siècle, à la cour de France. Il semble que les rois ont compris aussi la nécessité d'arracher à leur ignorance traditionnelle les grands qui les entouraient, soit afin d'augmenter l'éclat et l'agrément de leur cour, soit dans l'intention plus sérieuse de développer l'intelligence de ceux qui étaient les conseillers et les agents de la royauté, et même d'une manière plus générale d'élever l'esprit public.

Or, à cette époque, comme à la nôtre, l'instruction était réputée une condition essentielle de capacité. Dans les esprits comme dans la formule de la chancellerie, sens, suffisance et littérature allaient ensemble. Ceux qui n'étaient pas clercs étaient à peu près sans culture toutes sortes de témoignages l'attestent, et surtout ils ignoraient le latin. On ne pouvait dès lors songer à donner une édu

1. En 1527, Jacques Colin, dans la préface du Thucydide de Seyssel, dit formellement que « le roy estime les langues estrangeres peu connues parmi la noblesse de son royaume ». En 1537, Saliat traduit la Civilité d'Erasme, en donnant pour raison que « les gros seigneurs » eux-mêmes ont été rebutés par le latin trop élégant de l'humaniste de Rotterdam. Flave Végèce est, pour des causes analogues, mis en français, en 1536, à l'usage des futurs chevaliers et chefs de guerre, qui n'ont pas le latin à commandement. Et on pourrait citer et citer encore. Peletier du Mans s'est ingénié dans un « entre-deux 1) de son Dialogue de l'orthographe (p. 130) à expliquer comment les gentilshommes de son temps la grace à Dieu et au tres chrestien Roy François s'étaient instruits au point que quelques-uns étaient l'ébahissement des gens de robe. Mais la masse continuait à croire à la contradiction nécessaire entre l'étude des sciences et l'apprentissage de la vie qui convenait à un gentilhomme. Vers la fin du siècle, nombreux étaient toujours ceux qui se montraient rebelles au latin. Blaise de Vigenère fait pour eux son César (1582), Guy Le Fèvre de la Boderie leur donne les traités philosophiques de Cicéron (1581), etc.

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