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hôtes, mais où vous serez reçus du moins avec une cordialité fraternelle, sinon avec faste.

Renée m'a dit, madame, vos intentions pour nous, et je saisis d'autant plus cette occasion de vous en remercier que rien n'est plus de saison. La naissance de mon fils a déterminé mon père à faire des sacrifices auxquels les vieillards se résolvent difficilement : il vient d'acquérir deux domaines. La Crampade est maintenant une terre qui rapporte trente mille francs. Mon père va solliciter du roi la permission de l'ériger en majorat; mais obtenez pour lui le titre dont vous avez parlé dans votre dernière lettre, et vous aurez déjà travaillé pour votre filleul.

Quant à moi, je suivrai vos conseils uniquement pour vous réunir à Renée durant les sessions. J'étudie avec ardeur et tâche de devenir ce qu'on appelle un homme spécial. Mais rien ne me donnera plus de courage que de vous savoir la protectrice de mon petit Armand. Promettez-nous donc de venir jouer ici, vous si belle et si gracieuse, si grande et si spirituelle, le rôle d'une fée pour mon fils aîné. Vous aurez ainsi, madame, augmenté d'une éternelle reconnaissance les sentiments d'affection respectueuse avec lesquels j'ai l'honneur d'être

Votre très-humble et très-obéissant serviteur.

LOUIS DE L'ESTORADE.

XXX

LOUISE DE MACUMER A RENÉE DE L'ESTORADE.

Janvier 1836.

Macumer m'a réveillée tout à l'heure avec la lettre de ton mari, mon ange. Je commence par dire oui. Nous irons vers la fin d'avril à Chantepleurs. Ce sera pour moi plaisir sur plaisir que de voyager, de te voir et d'être la marraine de ton premier enfant; mais je veux Macumer pour parrain. Une alliance catholique avec un autre compère me serait odieuse. Ah! si tu pouvais voir l'expression de

son visage au moment où je lui ai dit cela, tu saurais combien cet ange m'aime.

Je veux d'autant plus que nous allions ensemble à la Crampade, Felipe, lui ai-je dit, que là nous aurons peut-être un enfant. Moi aussi je veux être mère........... quoique cependant je serais bien partagée entre un enfant et toi. D'abord, si je te voyais me préférer une créature, fût-ce mon fils, je ne sais pas ce qui en adviendrait. Médée pourrait bien avoir eu raison : il y a du bon chez les anciens !

Il s'est mis à rire. Ainsi, chère biche, tu as le fruit sans avoir eu les fleurs, et moi j'ai les fleurs sans le fruit. Le contraste de notre destinée continue. Nous sommes assez philosophes pour en chercher, un jour, le sens et la morale. Bah! je n'ai que dix mois de mariage, convenons-en, il n'y a pas de temps perdu.

Nous menons la vie dissipée, et néanmoins pleine, des gens heureux. Les jours nous semblent toujours trop courts. Le monde, qui m'a revue déguisée en femme, a trouvé la baronne de Macumer beaucoup plus jolie que Louise de Chaulieu : l'amour heureux a son fard. Quand, par un beau soleil et par une belle gelée de janvier, alors que les arbres des Champs-Élysées sont fleuris de grappes blanches étiolées, nous passons, Felipe et moi, dans notre coupé, devant tout Paris, réunis là où nous étions séparés l'année dernière, il me vient des pensées par milliers, et j'ai peur d'être un peu trop insolente, comme tu le pressentais dans ta dernière lettre.

Si j'ignore les joies de la maternité, tu me les diras, et je serai mère par toi ; mais il n'y a, selon moi, rien de comparable aux voluptés de l'amour. Tu vas me trouver bien bizarre; mais voici dix fois en dix mois que je me surprends à désirer de mourir à trente ans, dans toute la splendeur de la vie, dans les roses de l'amour, au sein des voluptés, de m'en aller rassasiée, sans mé compte, ayant vécu dans ce soleil, en plein dans l'éther, et même un peu tuée par l'amour, n'ayant rien perdu de ma couronne, pas même une feuille, et gardant toutes mes illusions. Songe donc ce que c'est que d'avoir un cœur jeune dans un vieux corps, de trouver les figures muettes, froides, là où tout le monde, même les indifférents, nous souriait, d'être enfin une femme respectable..... Mais c'est un enfer anticipé.

Nous avons eu, Felipe et moi, notre première querelle à ce su

COM. HUM. T. II.

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jet. Je voulais qu'il eût la force de me tuer à trente ans, pendant mon sommeil, sans que je m'en doutasse, pour me faire entrer d'un rêve dans un autre. Le monstre n'a pas voulu. Je l'ai menacé de le laisser seul dans la vie, et il a pâli, le pauvre enfant ! Ce grand ministre est devenu, ma chère, un vrai bambin. C'est incroyable tout ce qu'il cachait de jeunesse et de simplicité. Maintenant que je pense tout haut avec lui comme avec toi, que je l'ai mis à ce régime de confiance, nous nous émerveillons l'un de l'autre.

Ma chère, les deux amants, Felipe et Louise, veulent envoyer un présent à l'accouchée. Nous voudrions faire faire quelque chose qui te plût. Ainsi dis-moi franchement ce que tu désires, car nous ne donnons pas dans les surprises, à la façon des bourgeois. Nous voulons donc nous rappeler sans cesse à toi par un aimable souvenir, par une chose qui te serve tous les jours, et ne périsse point par l'usage. Notre repas le plus gai, le plus intime, le plus animé, car nous y sommes seuls, est pour nous le déjeuner; j'ai donc pensé à t'envoyer un service spécial, appelé déjeuner, dont les ornements seraient des enfants. Si tu m'approuves, réponds-moi promptement. Pour te l'apporter, il faut le commander, et les artistes de Paris sont comme des rois fainéants. Ce sera mon offrande à Lucine.

Adieu, chère nourrice, je te souhaite tous les plaisirs des mères, et j'attends avec impatience la première lettre où tu me diras bien tout, n'est-ce pas ? Cet accoucheur me fait frissonner. Ce mot de la lettre de ton mari m'a sauté non pas aux yeux, mais au cœur. Pauvre Renée, un enfant coûte cher, n'est-ce pas ? Je lui dirai combien il doit t'aimer, ce filleul. Mille tendresses, mon ange."

XXXI

RENÉE DE L'ESTORADE A LOUISE DE MACUMER.

Voici bientôt cinq mois que je suis accouchée, et je n'ai pas trouvé, ma chère âme, un seul petit moment pour t'écrire. Quand tu seras mère, tu m'excuseras plus pleinement que tu ne l'as fait,

car tu m'as un peu punie en rendant tes lettres rares. Écris-moi, ma chère mignonne ! Dis-moi tous tes plaisirs, peins-moi ton bonheur à grandes teintes, verses-y l'outremer sans craindre de m'affliger, car je suis heureuse et plus heureuse que tu ne l'imagineras jamais.

Je suis allée à la paroisse entendre une messe de relevailles, en grande pompe, comme cela se fait dans nos vieilles familles de Provence. Les deux grands-pères, le père de Louis, le mien me donnaient le bras. Ah! jamais je ne me suis agenouillée devant Dieu dans un pareil accès de reconnaissance. J'ai tant de choses à te dire, tant de sentiments à te peindre, que je ne sais par où commencer; mais, du sein de cette confusion, s'élève un souvenir radieux, celui de ma prière à l'église !

Quand, à cette place où jeune fille, j'ai douté de la vie et de mon avenir, je me suis retrouvée métamorphocée en mère joyeuse, j'ai cru voir la Vierge de l'autel inclinant la tête et me montrant l'Enfant divin qui a semblé me sourire! Avec quelle sainte effusion d'amour céleste j'ai présenté notre petit Armand à la bénédiction du curé qui l'a ondoyé en attendant le baptême. Mais tu nous verras ensemble, Armand et moi.

Mon enfant, voilà que je t'appelle mon enfant! mais c'est en effet le plus doux mot qu'il y ait dans le cœur, dans l'intelligence et sur les lèvres quand on est mère. Or donc, ma chère enfant, je me suis traînée, pendant les deux derniers mois, assez languissamment dans nos jardins, fatiguée, accablée par la gêne de ce fardeau que je ne savais pas être si cher et si doux malgré les ennuis de ces deux mois. J'avais de telles appréhensions, des prévisions si mortellement sinistres, que la curiosité n'était pas la plus forte : je me raisonnais, je me disais que rien de ce que veut la nature n'est à redouter , je me promettais à moi-même d'être mère. Hélas! je ne me sentais rien au cœur, tout en pensant à cet enfant qui me donnait d'assez jolis coups de pied; et, ma chère, on peut aimer à les recevoir quand on a déjà eu des enfants; mais, pour la première fois, ces débats d'une vie inconnue apportent plus d'étonnement que de plaisir. Je te parle de moi, qui ne suis ni fausse ni théâtrale, et dont le fruit venait plus de Dieu, car Dieu donne les enfants, que d'un homme aimé. Laissons ces tristesses passées et qui ne reviendront plus, je le crois.

Quand la crise est venue, j'ai rassemblé en inoi les éléments

d'une telle résistance, je me suis attendue à de telles douleurs,

que j'ai supporté merveilleusement, dit-on, cette horrible torture. Il y a eu, ma mignonne, une heure environ pendant laquelle je me suis abandonnée à un anéantissement dont les effets ont été ceux d'un rêve. Je me suis sentie être deux : une enveloppe tenaillée, déchirée, torturée, et une 'âme placide. Dans cet état bizarre, la souffrance a fleuri comme une couronne au-dessus de ma tête. Il m'a semblé qu'une immense rose sortie de mon crâne grandissai! et m'enveloppait. La couleur rose de cette fleur sanglante était dans l'air. Je voyais tout rouge. Ainsi parvenue au point où la scparation semble vouloir se faire entre le corps et l'âme, une douleur, qui m'a fait croire à une mort immédiate, a éclaté. J'ai poussé des cris horribles, et j'ai trouvé des forces nouvelles contre de nouvelles douleurs. Cet affreux concert de clameurs a été soudain couvert en moi par le chant délicieux des vagissements argentins de ce petit être. Non, rien ne peut te peindre ce moment: il me semblait que le monde entier criait avec moi, que tout était douleur ou clameur, et tout a été comme éteint par ce faible cri de l'enfant. On m'a recouchée dans mon grand lit où je suis entrée comme dans un paradis, quoique je fusse d'une excessive faiblesse. Trois ou quatre figures joyeuses, les yeux en larmes, m'ont alors montré l'enfant. Ma chère, j'ai crié d'effroi. -Quel petit singe! ai-je dit. Êtes-vous sûrs que ce soit un enfant? ai-je demandé. Je me suis remise sur le flanc, assez désolée de ne pas me sentir plus mère que cela.—Ne vous tourmentez pas, ma chère, m'a dit ma mère qui s'est constituée ma garde, vous avez fait le plus bel enfant du monde. Évitez de vous troubler l'imagination, il vous faut mettre tout votre esprit à devenir bête, à vous faire exactement la vache qui broute pour avoir du lait. Je me suis donc endormie avec la ferme intention de me laisser aller à la nature. Ah! mon ange, le réveil de toutes ces douleurs, de ces sensations confuses, de ces premières journées où tout est obscur, pénible et indécis, a été divin. Ces ténèbres ont été animées par une sensation dont les délices ont surpassé celles du premier cri de mon enfant. Mon cœur, mon âme, mon être, un moi inconnu a été réveillé dans sa coque souffrante et grise jusquelà, comme une fleur s'élance de sa graine au brillant appel du soleil. Le petit monstre a pris mon sein et a teté : voilà le fiat lux! J'ai soudain été mère. Voilà le bonheur, la joie, une joie ineffable, quoiqu'elle n'aille pas sans quelques douleurs Oh! ma belle ja

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