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De l'ironie?... Je m'y attendais, dit-elle en baissant la tête. Marie, ne vois-tu pas, mon ange, que j'ai dit ces paroles pour t'arracher ton secret?

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Mon secret sera toujours un secret, même après vous avoir été confié.

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-Je ne suis pas aimée, reprit-elle en lui lançant ce regard oblique et fin par lequel les femmes interrogent si malicieusement l'homme qu'elles veulent tourmenter.

Pas aimée ?... s'écria Nathan.

Oui, vous vous occupez de trop de choses. Que suis-je au milieu de tout ce mouvement? oubliée à tout propos. Hier, je suis venue au bois, je vous y ai attendu.......

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Mais...

J'avais mis une nouvelle robe pour vous, et vous n'êtes pas venu, où étiez-vous?

Mais...

Je ne le savais pas. Je vais chez madame d'Espard, je ne vous y trouve point.

-

Mais...

Le soir, à l'Opéra, mes yeux n'ont pas quitté le balcon. Chaque fois que la porte s'ouvrait, c'était des palpitations à me briser le cœur.

Mais...

--

- Quelle soirée ! Vous ne vous doutez pas de ces tempêtes du

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Oui, la vie s'use dit Nathan, et vous aurez en quelques mois dévoré la mienne. Vos reproches insensés m'arrachent aussi mon secret, dit-il. Ah! vous n'êtes pas aimée ?..... vous l'êtes trop.

Il peignit vivement sa situation, raconta ses veilles, détailla ses obligations à heure fixe, la nécessité de réussir, les insatiables exigences d'un journal où l'on était tenu de juger, avant tout le monde, les événements sans se tromper sous peine de perdre son pouvoir, enfin combien d'études rapides sur les questions qui passaient aussi rapidement que des nuages à cette époque dévorante.

Raoul eut tort en un moment. La marquise d'Espard le lui avait dit: rien de plus naïf qu'un premier amour. Il se trouva bientôt que la comtesse était coupable d'aimer trop. Une femme aimante répond à tout avec une jouissance, avec un aveu ou un plaisir. En voyant se dérouler cette vie immense, la comtesse fut saisie d'admiration. Elle avait fait Nathan très-grand, elle le trouva sublime. Elle s'accusa d'aimer trop, le pria de venir à ses heures; elle aplatit ces travaux d'ambitieux par un regard levé vers le ciel. Elle attendrait! Désormais elle sacrifierait ses jouissances. En voulant n'être qu'un marchepied, elle était un obstacle !.. elle pleura de désespoir.

Les femmes, dit-elle les larmes aux yeux, ne peuvent donc qu'aimer, les hommes ont mille moyens d'agir ; nous autres, nous ne pouvons que penser, prier, adorer.

Tant d'amour voulait une récompense. Elle regarda, comme un rossignol qui veut descendre de sa branche à une source, si elle était seule dans la solitude si le silence ne cachait aucun témoin; puis elle leva la tête vers Raoul, qui pencha la sienne elle lui laissa prendre un baiser, le premier, le seul qu'elle dût donner en fraude, et se sentit plus heureuse en ce moment qu'elle ne l'avait été depuis cinq années. Raoul trouva toutes ses peines payées. Tous deux marchaient sans trop savoir où, sur le chemin d'Auteuil à Boulogne; ils furent obligés de revenir à leurs voitures en allant de ce pas égal et cadencé que connaissent les amants. Raoul avait foi dans ce baiser livré avec la facilité décente que donne la sainteté du sentiment. Tout le mal venait du monde, et non de cette femme si entièrement à lui. Raoul ne regretta plus les tourments de sa vie enragée, que Marie devait oublier au feu de son premier désir, comme toutes les femmes qui ne voient pas à toute heure les terribles débats de ces existences exceptionnelles. En proie à cette admiration reconnaissante qui distingue la passion de la femme, Marie courait d'un pas délibéré, leste, sur le sable fin d'une contre-allée, disant, comme Raoul, peu de paroles, mais senties et portant coup. Le ciel était pur, les gros arbres bourgeonnaient, et quelques pointes vertes animaient déjà leurs mille pinceaux bruns. Les arbustes, les bouleaux, les saules, les peupliers, montraient leur premier, leur tendre feuillage encore diaphane. Aucune âme ne résiste à de pareilles harmonies. L'amour expliquait la Nature à la comtesse comme il lui avait expliqué la Société.

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elle.

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- Je voudrais que vous n'eussiez jamais aimé que moi! dit

Votre vœu est réalisé, répondit Raoul. Nous nous sommes révélé l'un à l'autre le véritable amour.

Il disait vrai. En se posant devant ce jeune cœur en homme pur, Raoul s'était pris à ses phrases panachées de beaux sentiments. D'abord purement spéculatrice et vaniteuse, sa passion était devenue sincère. Il avait commencé par mentir, il finissait par dire vrai. Il y a d'ailleurs chez tout écrivain un sentiment difficilement étouffé qui le porte à l'admiration du beau moral. Enfin, à force de faire des sacrifices, un homme s'intéresse à l'être qui les exige. Les femmes du monde, de même que les courtisares, ont l'instinct de cette vérité; peut-être même la pratiquent-elles sans la connaître. Aussi la comtesse, après son premier élan de reconnaissance et de surprise, fut-elle charmée d'avoir inspiré tant de sacrifices, d'avoir fait surmonter tant de difficultés. Elle était aimée d'un homme digne d'elle. Raoul ignorait à quoi l'engagerait sa fausse grandeur; car les femmes ne permettent pas à leur amant de descendre de son piédestal. On ne pardonne pas à un dieu la moindre petitesse. Marie ne savait pas le mot de cette énigme que Raoul avait dit à ses amis au souper chez Véry. La lutte de cet écrivain parti des rangs inférieurs avait occupé les dix premières années de sa jeunesse ; il voulait être aimé par une des reines du beau monde. La vanité, sans laquelle l'amour est bien faible, a dit Champfort, soutenait sa passion et devait l'accroître de jour en jour.

Vous pouvez me jurer, dit Marie, que vous n'êtes et ne serez jamais à aucune femme?

-Il n'y aurait pas plus de temps dans ma vie pour une autre femme que de place dans mon cœur, répondit-il sans croire faire un mensonge, tant il méprisait Florine.

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Arrivés dans l'allée où stationnaient les voitures, Marie quitta le bras de Nathan, qui prit une attitude respectueuse comme s'il venait de la rencontrer; il l'accompagna chapeau bas jusqu'à sa voiture ; puis il la suivit par l'avenue Charles X en humant la poussière que faisait la calèche, en regardant les plumes en saule pleureur que e vent agitait en dehors. Malgré les nobles renonciations de Marie, Raoul, excité par sa passion, se trouva partout où elle était ; il adorait l'air à la fois mécontent et heureux que prenait la comtesse

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pour le gronder sans le pouvoir en lui voyant dissiper ce temps qui lui était si nécessaire. Marie prit la direction des travaux de Raoul, elle lui intima des ordres formels sur l'emploi de ses heures, demeura chez elle pour lui ôter tout prétexte de dissipation. Elle lisait tous les matins le journal, et devint le béraut de la gloire d'Étienne Lousteau, le feuilletoniste, qu'elle trouvait ravissant, de Félicien Vernou, de Claude Vignon, de tous les rédacteurs. Elle donna le conseil à Raoul de rendre justice à de Marsay quand il mourut, et lut avec ivresse le grand et bel éloge que Raoul fit du ministre mort, tout en blâmant son machiavélisme et sa haine pour les masses. Elle assista naturellement, à l'avant-scène du Gymnase, à la première représentation de la pièce sur laquelle Nathan comptait pour soutenir son entreprise, et dont le succès parut immense. Elle fut la dupe des applaudissements achetés.

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-Vous n'êtes pas venue dire adieu aux Italiens? lui demanda lady Dudley chez laquelle elle se rendit après cette représentation.

- Non, je suis allée au Gymnase. On donnait une première représentation.

Je ne puis souffrir le vaudeville. Je suis pour cela comme Louis XIV pour les Téniers, dit lady Dudley.

Moi, répondit madame d'Espard, je trouve que les auteurs ont fait des progrès. Les vaudevilles sont aujourd'hui de charmantes comédies, pleines d'esprit, qui demandent beaucoup de talent, et je m'y amuse fort.

- Les acteurs sont d'ailleurs excellents, dit Marie. Ceux du Gymnase ont très-bien joué ce soir; la pièce leur plaisait, le dialogue est fin, spirituel.

- Comme celui de Beaumarchais, dit lady Dudley.

Monsieur Nathan n'est point encore Molière; mais............. dit madame d'Espard en regardant la comtesse.

Il fait des vaudevilles, dit madame Charles de Vandenesse. Et défait des ministères, reprit madame de Manerviile. La comtesse garda le silence; elle cherchait à répondre par des épigrammes acérées; elle se sentait le cœur agité par des mouvements de rage; elle ne trouva rien de mieux que dire : — Il en fera peut-être.

Toutes les femmes échangèrent un regard de mystérieuse intelligence. Quand Marie de Vandenesse partit, Moïna de Saint-Héeren s'écria: Mais elle adore Nathan!

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Elle ne fait pas de cachotteries, dit madame d'Espard.

à

Le mois de mai vint, Vandenesse emmena sa femme à sa terre où elle ne fut consolée que par les lettres passionnées de Raoul, qui elle écrivit tous les jours.

L'absence de la comtesse aurait pu sauver Raoul du gouffre dans lequel il avait mis le pied, si Florine eût été près de lui; mais il était seul, au milieu d'amis devenus ses ennemis secrets dès qu'il eut manifesté l'intention de les dominer. Ses collaborateurs le haïssaient momentanément, prêts à lui tendre la main et à le consoler en cas de chute, prêts à l'adorer en cas de succès. Ainsi va le monde littéraire. On n'y aime que ses inférieurs. Chacun est l'ennemi de quiconque tend à s'élever. Cette envie générale décuple les chances des gens médiocres, qui n'excitent ni l'envie ni le soupçon, font leur chemin à la manière des taupes, et, quelque sots qu'ils soient, se trouvent casés au Moniteur dans trois ou quatre places au moment où les gens de talent se battent encore à la porte pour s'empêcher d'entrer. La sourde inimitié de ces prétendus amis, que Florine aurait dépistée avec la science innée des courtisanes pour deviner le vrai entre mille hypothèses, n'était pas le plus grand danger de Raoul. Ses deux associés, Massol l'avocat et du Tillet le banquier, avaient médité d'atteler son ardeur au char dans lequel ils se prélassaient, de l'évincer dès qu'il serait hors d'état de nourrir le journal, ou de le priver de ce grand pouvoir au moment où ils voudraient en user. Pour eux, Nathan représentait une certaine somme à dévorer, une force littéraire de la puissance de dix plumes à employer. Massol, un de ces avocats qui prennent la faculté de parler indéfiniment pour de l'éloquence, qui possèdent le secret d'ennuyer en disant tout, la peste des assemblées où ils rapetissent toute chose, et qui veulent devenir des personnages à tout prix, ne tenait plus à être garde des sceaux ; il en avait vu passer cinq ou six en quatre ans, il s'était dégoûté de la simarre. Comme monnaie du portefeuille, il voulut une chaire dans l'Instruction Publique, une place au conseil d'État, le tout assaisonné de la croix de la Légion-d'Honnour. Du Tillet et le baron de Nucingen lui avaient garanti la croix et sa nomination de maître des requêtes s'il entrait dans leurs vues; il les trouva plus en position de réaliser leurs promesses que Nathan, et il leur obéissait aveuglément. Pour mieux abuser Raoul, ces gens-là lui laissaient exercer le pouvoir sans contrôle. Du Tillet n'usait du journal que dans ses intérêts d'agiotage, auxquels Raoul n'entendait

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