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la tête aux pieds. Néant, ajouta-t-il après une pause. Quel âge avezvous? Vingt-cinq ans dans dix jours, répondis-je; sans cela, je

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il faut aller vite; sans cela, j'aurai des enchérisseurs.

--

Ma foi, Apportez

moi demain matin votre extrait de naissance, et nous parlerons de votre affaire j'y songerai. Le lendemain, à huit heures, j'étais chez le vieillard. Il prit le papier officiel, mit ses lunettes, toussa, cracha, s'enveloppa dans sa houppelande noire, et lut l'extrait des registres de la mairie tout entier. Puis il le tourną, le retourna, me regarda, retoussa, s'agita sur sa chaise, et il me dit : - - C'est une affaire que nous allons tâcher d'arranger. Je tressaillis. Je tire cinquante pour cent de mes fonds, reprit-il, quelquefois cent, deux cents, cinq cents pour cent. A ces mots, je pâlis. Mais, en faveur de notre connaissance, je me contenterai de douze et demi pour cent d'intérêt par..... Il hésita. Eh! bien oui, pour vous je me contenterai de treize pour cent par an. Cela vous va-t-il ? —- Oui, répondis-je. Mais si c'est trop, répliqua-t-il, défendez-vous, Grotius ! Il m'appelait Grotius en plaisantant. En vous demandant treize pour cent, je fais mon métier; voyez si vous pouvez les payer. Je n'aime pas un homme qui tope à tout. Est-ce trop? — Non, disje, je serai quitte pour prendre un peu plus de mal. Parbleu ! dit-il en me jetant son malicieux regard oblique, vos clients paieNon, de par tous les diables! m'écriai-je, ce sera moi. Je me couperais la main plutôt que d'écorcher le monde ! me dit le papa Gobseck. - Mais les honoraires sont tarifés, reprisje. Ils ne le sont pas, reprit-il, pour les transactions, pour les attermoiements, pour les conciliations. Vous pouvez alors compter des mille francs, des six mille francs même, suivant l'importance des intérêts, pour vos conférences, vos courses, vos projets d'actes, vos mémoires et votre verbiage. Il faut savoir rechercher ces sortes d'affaires. Je vous recommanderai comme le plus savant et le plus habile des avoués, je vous enverrai tant de procès de ce genre-là, que vous ferez crever vos confrères de jalousie. Werbrust, Palma, Gigonnet, mes confrères, vous donneront leurs expropriations; et Dieu sait s'ils en ont! Vous aurez ainsi deux clientèles, celle que vous achetez et celle que je vous ferai. Vous devriez presque me donner quinze pour cent de mes cent cinquante mille francs. Soit, mais pas plus, dis-je avec la fermeté d'un homme qui ne voulait plus rien accorder au delà. Le papa Gobseck se radoucit et pa

ront.

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Bonsoir,

rut content de moi. -- Je paierai moi-même, reprit-il, la charge à votre patron, de manière à m'établir un privilége bien solide sur le prix et le cautionnement. - Oh! tout ce que vous voudrez pour les garanties. Puis, vous m'en représenterez la valeur en quinze lettres de change acceptées en blanc, chacune pour une somme de dix mille francs. Pourvu que cette double valeur soit constatée. - Non! s'écria Gobseck en m'interrompant. Pourquoi voulez-vous que j'aie plus de confiance en vous que vous n'en avez en moi? Je gardai le silence. Et puis vous ferez, dit-il en continuant avec un tou de bonhomie, mes affaires sans exiger d'honoraires tant que je vivrai, n'est-ce pas ? — Soit, pourvu qu'il n'y ait pas d'avances de fonds. Juste! dit-il. Ah çà, reprit le vieillard dont la figure avait peine à prendre un air de bonhomie, vous me permettrez d'aller vous voir ? Vous me ferez toujours plaisir.

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Oui, mais

le matin, cela sera bien difficile. Vous aurez vos affaires, et j'ai les miennes. Venez le soir. - Oh! non, répondit-il vivement, vous devez aller dans le monde, voir vos clients. Moi, j'ai mes amis, à mon café. Ses amis ! pensai-je. Eh! bien, dis-je, pourquoi ne pas prendre l'heure du dîner? C'est cela, dit Gobseck. Après la Bourse, à cinq heures. Eh! bien, vous me verrez tous les mercredis et les samedis. Nous causerons de nos affaires comme un couple d'amis. Ah! ah! je suis gai quelquefois. Donnez-moi une aile de perdrix et un verre de vin de Champagne, nous causerons. Je sais bien des choses qu'aujourd'hui on peut dire, et qui vous apprendront à connaître les hommes et surtout les femmes. Va pour la perdrix et le verre de vin de Champagne. Ne faites pas de folies,

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autrement vous perdriez ma confiance. Ne prenez pas un grand train de maison. Ayez une vieille bonne, une seule. J'irai vous visiter pour m'assurer de votre santé. J'aurai un capital placé sur votre tête, hé! hé! je dois m'informer de vos affaires. Allons, venez ce soir avec votre patron. Pourriez-vous me dire, s'il n'y a pas d'indiscrétion à le demander, dis-je au petit vieillard quand nous atteignîmes au seuil de la porte, de quelle importance était mon extrait de baptême dans cette affaire? Jean-Esther Van Gobseck haussa les épaules, sourit malicieusement et me répondit : — Combien la jeunesse est sotte! Apprenez donc, monsieur l'avoué, car il faut que vous le sachiez pour ne pas vous laisser prendre, qu'avant trente ans la probité et le talent sont encore des espèces d'hypothèques. Passé cet âge, on ne peut plus compter sur un homme.

Et il ferma sa porte. Trois mois après, j'étais avoué. Bientôt j'eus le bonheur, madame, de pouvoir entreprendre les affaires concernant la restitution de vos propriétés. Le gain de ces procès me fit connaître. Malgré les intérêts énormes que j'avais à payer à Gobseck, en moins de cinq ans je me trouvai libre d'engagements. J'épousai Fanny Malvaut que j'aimais sincèrement. La conformité de nos destinées, de nos travaux, de nos succès augmentait la force de nos sentiments. Un de ses oncles, fermier devenu riche, était mort en lui laissant soixante-dix mille francs qui m'aidèrent à m'acquitter. Depuis ce jour ma vie ne fut que bonheur et prospérité. Ne parlons donc plus de moi, rien n'est insupportable comme un homme heureux. Revenons à nos personnages. Un an après l'acquisition de mon étude, je fus entraîné, presque malgré moi, dans un déjeuner de garçon. Ce repas était la suite d'une gageure perdue par un de mes camarades contre un jeune homme alors fort en vogue dans le monde élégant. Monsieur de Trailles, la fleur du dandysme de ce tempslà, jouissait d'une immense réputation...

en

Mais il en jouit encore, dit le comte en interrompant l'avoué. Nul ne porte mieux un habit, ne conduit un tandem mieux que lui. Maxime a le talent de jouer, de manger et de boire avec plus de grâce que qui que ce soit au monde. Il se connaît en chevaux, chapeaux, en tableaux. Toutes les femmes raffolent de lui. Il dépense toujours environ cent mille francs par an sans qu'on lui connaisse une scule propriété, ni un seul coupon de rente. Type de la chevalerie errante de nos salons, de nos boudoirs, de nos boulevards, espèce amphibie qui tient autant de l'homme que de la femme, le comte Maxime de Trailles est un être singulier, bon à tout et propre à rien, craint et méprisé, sachant et ignorant tout, aussi capable de commettre un bienfait que de résoudre un crime, tantôt lâche et tantôt noble, plutôt couvert de boue que taché de sang, ayant plus de soucis que de remords, plus occupé de bien digérer que de penser, feignant des passions et ne ressentant rien. Anneau brillant qui pourrait unir le Bagne à la haute société, Maxime de Trailles est un homme qui appartient à cette classe éminemment intelligente d'où s'élancent parfois un Mirabeau, un Pitt, un Richelieu, mais qui le plus souvent fournit des comtes de Horn, des Fouquier-Tinville et des Coignard.

- Eh! bien, reprit Derville après avoir écouté le comte, j'avais beaucoup entendu parler de ce personnage par ce pauvre père Goriot,

l'un de mes clients, mais j'avais évité déjà plusieurs fois le dangereuxhonneur de sa connaissance quand je le rencontrais dans le monde. Cependant mon camarade me fit de telles instances pour obtenir de moi d'aller à son déjeuner, que je ne pouvais m'en dispenser sans être taxé de bégueulisme. Il vous serait difficile de concevoir un déjeuner de garçon, madame. C'est une magnificence et une recherche rares, le luxe d'un avare qui par vanité devient fastueux pour un jour. En entrant, on est surpris de l'ordre qui règne sur une table éblouissante d'argent, de cristaux, de linge damassé. La vie est là dans sa fleur les jeunes gens sont gracieux, ils sourient, parlent bas et ressemblent à de jeunes mariées, autour d'eux tout est vierge. Deux heures après, vous diriez d'un champ de bataille après le combat: partout des verres brisés, des serviettes foulées, chiffonnées; des mets entamés qui répugnent à voir; puis, ce sont des cris à fendre la tête, des toasts plaisants, un feu d'épigrammes et de mauvaises plaisanteries, des visages empourprés, des yeux enflammés qui ne disent plus rien, des confidences involontaires qui disent tout. Au milieu d'un tapage infernal, les uns cassent des bouteilles, d'autres entonnent des chansons; on se porte des défis, on s'embrasse ou l'on se bat; il s'élève un parfum détestable composé de cent odeurs et des cris composés de cent voix; personne ne sait plus ce qu'il mange, ce qu'il boit, ni ce qu'il dit; les uns sont tristes, les autres babillent; celui-ci est monomane et répète le même mot comme une cloche qu'on a mise en branle; celui-là veut commander au tumulte; le plus sage propose une orgie. Si quelque homme de sang-froid entrait, il se croirait à quelque bacchanale. Ce fut au milieu d'un tumulte semblable que monsieur de Trailles essaya de s'insinuer dans mes bonnes grâces. J'avais à peu près conservé ma raison, j'étais sur mes gardes. Quant à lui, quoiqu'il affectât d'être décemment ivre, il était plein de sang-froid et songeait à ses affaires. En effet, je ne sais comment cela se fit, mais en sortant des salons de Grignon, sur les neuf heures du soir, il m'avait entièrement ensorcelé, je lui avais promis de l'amener le lendemain chez notre papa Gobseck. Les mots : honneur, vertu, comtesse, femme honnête, malheur, s'étaient, grâce à sa langue dorée, placés comme par magie dans ses discours. Lorsque je me réveillai le lendemain matin, et que je voulus me souvenir de ce que j'avais fait la veille, j'eus beaucoup de peine à lier quelques idées. Enfin, il me sembla que la

fille d'un de mes clients était en danger de perdre sa réputation, l'estime et l'amour de son mari, si elle ne trouvait pas une cinquantaine de mille francs dans la matinée. Il y avait des dettes de jeu, des mémoires de carrossier, de l'argent perdu je ne sais à quoi. Mon prestigieux convive m'avait assuré qu'elle était assez riche pour réparer par quelques années d'économie l'échec qu'elle allait faire à sa fortune. Seulement alors je commençai à deviner la cause des instances de mon camarade. J'avoue, à ma honte, que je ne me doutais nullement de l'importance qu'il y avait pour le papa Gobseck à se raccommoder avec ce dandy. Au moment où je me levais, monsieur de Trailles entra. Monsieur le comte, lui disje après nous être adressé les compliments d'usage, je ne vois pas que vous ayez besoin de moi pour vous présenter chez Van Gobseck, le plus poli, le plus anodin de tous les capitalistes. Il vous donnera de l'argent s'il en a, ou plutôt si vous lui présentez des garanties suffisantes. Monsieur me répondit-il, il n'entre pas dans ma pensée de vous forcer à me rendre un service, quand même vous me l'auriez promis. Sardanapale! me dis-je en moi-même, laisserai-je croire à cet homme-là que je lui manque de parole? J'ai eu l'honneur de vous dire hier que je m'étais fort mal à propos brouillé avec le papa Gobseck, dit-il en continuant. Or, comme il n'y a guère que lui à Paris qui puisse cracher en un moment, et le lendemain d'une fin de mois, une centaine de mille francs, je vous avais prié de faire ma paix avec lui. Mais n'en parlons plus... Monsieur de Trailles me regarda d'un air poliment insultant et se disposait à s'en aller. Je suis prêt à vous conduire, lui dis-je. Lorsque nous arrivâmes rue des Grès, le dandy regardait autour de lui avec une attention et une inquiétude qui m'étonnèrent. Son visage devenait livide, rougissait, jaunissait tour à tour, et quelques gouttes de sueur parurent sur son front quand il aperçut la porte de la maison de Gobseck. Au moment où nous descendîmes de cabriolet, un fiacre entra dans la rue des Grès. L'œil de faucon du jeune homme lui permit de distinguer une femme au fond de cette voiture. Une expression de joie presque sauvage anima sa figure, il appela un petit garçon qui passait et lui donna son cheval à tenir. Nous montâmes chez le vieil escompteur.-Monsieur Gobseck, lui dis-je, je vous amène un de mes plus intimes amis (de qui je me défie autant que du diable, ajoutai-je à l'oreille du vieillard). A ma considération, vous lui rendrez vos bonnes grâces (au

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