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sine ne l'écoutait pas. Une affreuse vérité avait pénétré dans son âme. Il était frappé comme d'un coup de foudre. Il resta immobile, les yeux attachés sur le prétendu chanteur. Son regard flamboyant cut une sorte d'influence magnétique sur Zambinella, car le musico finit par détourner subitement la vue vers Sarrasine, et alors sa voix céleste s'altéra. Il trembla! Un murmure involontaire échappé à l'assemblée, qu'il tenait comme attachée à ses lèvres, acheva de le troubler; il s'assit, et discontinua son air. Le cardinal Cicognara, qui avait épié du coin de l'œil la direction que prit le regard de son protégé, aperçut alors le Français ; il se pencha vers un de ses aides-de-camp ecclésiastiques, et parut demander le nom du sculpteur. Quand il eut obtenu la réponse qu'il désirait, il contempla fort attentivement l'artiste, et donna des ordres à un abbé, qui disparut avec prestesse. Cependant Zambinella, s'étant remis, recommença le morceau qu'il avait interrompu si capricieusement; mais il l'exécuta mal, et refusa, malgré toutes les instances qui lui furent faites, de chanter autre chose. Ce fut la pre· mière fois qu'il exerça cette tyrannie capricieuse qui, plus tard, ne le rendit pas moins célèbre que son talent et son immense fortune, due, dit-on, non moins à sa voix qu'à sa beauté. — C'est une femme, dit Sarrasine en se croyant seul. Il y a là-dessous quelque intrigue secrète. Le cardinal Cicognara trompe le pape et toute la ville de Rome! Aussitôt le sculpteur sortit du salon, rassembla ses amis, et les embusqua dans la cour du palais. Quand Zambinella se fut assuré du départ de Sarrasine, il parut recouvrer quelque tranquillité. Vers minuit, après avoir erré dans les salons, en homme qui cherche un ennemi, le musico quitta l'Assemblée. Au moment où il franchissait la porte du palais, il fut adroitement saisi par des hommes qui le bâillonnèrent avec un mouchoir et le mirent dans la voiture louée par Sarrasine. Glacé d'horreur, Zambinella resta dans un coin sans oser faire un mouvement. Il voyait devant lui la figure terrible de l'artiste qui gardait un silence de mort. Le trajet fut court. Zambinella, enlevé par Sarrasine, se trouva bientôt dans un atelier sombre et nu. Le chanteur, à moitié mort, demeura sur une chaise, sans oser regarder une statue de femme, dans laquelle il reconnut ses traits. Il ne proféra pas une parole, mais ses dents claquaient. Il était transi de peur. Sarrasine se promenait à grands pas. Tout à coup il s'arrêta devant Zambinella. Dis-moi la vérité, demanda-t-il d'une voix sourde et altérée. Tu es une femme ? Le

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cardinal Cicognara... Zambinella tomba sur ses genoux, et ne répondit qu'en baissant la tête.-Ah! tu es une femme, s'écria l'artiste en délire; car même un..... Il n'acheva pas. Non, reprit-il, il n'aurait pas tant de bassesse. —Ah! ne me tuez pas, s'écria Zambinella fondant en larmes. Je n'ai consenti à vous tromper que pour plaire à mes camarades, qui voulaient rire. Rire! répondit le sculpteur d'une voix qui eut un éclat infernal. Rire, rire! Tu as osé te jouer d'une passion d'homme, toi? — Oh! grâce! répliqua Zambinella. Je devrais te faire mourir ! cria Sarrasine en tirant son épée par un mouvement de violence. Mais, reprit-il avec un dédain froid, en fouillant ton être avec un poignard, y trouverais-je un sentiment à éteindre, une vengeance à satisfaire? Tu n'es rien. Homme ou femme, je te tuerais! mais... Sarrasine fit un geste de dégoût, qui l'obligea de détourner sa tête, et alors il regarda la statue. Et c'est une illusion! s'écria-t-il. Puis se tournant vers Zambinella: Un cœur de femme était pour moi un asile, une patrie. As-tu des sœurs qui te ressemblent! Non. Eh! bien, meurs! Mais non, tu vivras. Te laisser la vie n'est-ce pas te vouer à quelque chose de pire que la mort? Ce n'est ni mon sang ni mon existence que je regrette, mais l'avenir et ma fortune de cœur. Ta main débile a renversé mon bonheur. Quelle espérance puis-je te ravir pour toutes celles que tu as flétries? Tu m'as ravalé jusqu'à toi. Aimer, être aimé! sont désormais des mots vides de sens pour moi, comme pour toi. Sans cesse je penserai à cette femme imaginaire en voyant une femne réelle. Il montra la statue par un geste de désespoir. J'aurai toujours dans le souvenir une harpie céleste qui viendra enfoncer ses griffes dans tous mes sentiments d'homme, et qui signera toutes les autres femmes d'un cachet d'imperfection! Monstre! toi qui ne peux donner la vie à rien, tu m'as dépeuplé la terre de toutes ses femmes. Sarrasine s'assit en face du chanteur épouvanté. Deux grosses larmes sortirent de ses yeux secs, roulèrent le long de ses joues mâles et tombèrent à terre: deux larines de rage, deux larmes âcres et brûlantes. Plus d'amour! je suis mort à tout plaisir, à toutes les émotions humaines. A ces mots, il saisit un marteau et le lança sur la statue avec une force si extravagante qu'il la manqua. Il crut avoir détruit ce monument de sa folie, et alors il reprit son épée et la brandit pour tuer le chanteur. Zambinella jeta des cris perçants. En ce moment trois hommes entrèrent, et soudain le sculpteur tomba percé de

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trois coups de stylet. -De la part du cardinal Cicognara, dit l'un d'eux, C'est un bienfait digne d'un chrétien, répondit le Français en expirant. Ces sombres émissaires apprirent à Zambinella l'inquiétude de son protecteur, qui attendait à la porte dans une voiture fermée, afin de pouvoir l'emmener aussitôt qu'il serait délivré.

- Mais, me dit madame de Rochefide, quel rapport existe-t-il entre cette histoire et le petit vieillard que nous avons vu chez les Lanty? Madame, le cardinal Cicognara se rendit maître de la statue de Zambinella et la fit exécuter en marbre, elle est aujourd'hui dans le musée Albani. C'est là qu'en 1791 la famille Lanty la retrouva, et pria Vien de la copier. Le portrait qui vous a montré Zambinella à vingt ans, un instant après l'avoir vu centenaire, a servi plus tard pour l'Endymion de Girodet, vous avez pu en reconnaître le type dans l'Adonis.

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Mais ce ou cette Zambinella?

Ne saurait-être, madame, que le grand-oncle de Marianina. Vous devez concevoir maintenant l'intérêt que madame de Lanty peut avoir à cacher la source d'une fortune qui provient... Assez ! dit-elle en me faisant un geste impérieux.

Nous restâmes pendant un moment plongés dans le plus profond silence.

Hé! bien lui dis-je.

Ah! s'écria-t-elle en se levant et se promenant à grands pas dans la chambre. Elle vint me regarder, et me dit d'une voix altérée: - Vous m'avez dégoûtée de la vie et des passions pour longtemps. Au monstre près, tous les sentiments humains ne se dénouent-ils pas ainsi, par d'atroces déceptions? Mères, des enfants nous assassinent ou par leur mauvaise conduite ou par leur froideur. Épouses, nous sommes trahies. Amantes, nous sommes délaissées, abandonnées. L'amitié! existe-t-elle ? Demain je me ferais dévote si je ne savais pouvoir rester comme un roc inaccessible au milieu des orages de la vie. Si l'avenir du chrétien est encore une illusion, au moins elle ne se détruit qu'après la mort. Laissez-moi seule.

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· Oui, répondis-je avec une sorte de courage. En achevant cette histoire, assez connue en Italie, je puis vous donner une haute idée des progrès faits par la civilisation actuelle. On n'y fait plus de ces malheureuses créatures.

Paris, dit-elle, est une terre bien hospitalière ; il accueille tout, et les fortunes honteuses, et les fortunes ensanglantées. Le crime et l'infamie y ont droit d'asile, y rencontrent des sympathies; la vertu seule y est sans autels. Oui, les âmes pures ont une patrie dans le ciel! Personne ne m'aura connue ! J'en suis fière.

Et la marquise resta pensive.

Paris, novembre 1830.

L'INTERDICTION.

DÉDIÉ A MONSIEUR LE CONTRE-AMIRAL BAZOCHE,

Gouverneur de l'île Bourbon,

par l'auteur reconnaissant,
DE BALZAC.

En 1828, vers une heure du matin, deux personnes sortaient d'un hôtel situé dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, près de l'Élysée-Bourbon l'une était un médecin célèbre, Horace Bianchon; l'autre un des hommes les plus élégants de Paris, le baron de Rastignac, tous deux amis depuis long-temps. Chacun d'eux avait renvoyé sa voiture, il ne s'en trouva point dans le faubourg; mais la nuit était belle et le pavé sec.

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Allons à pied jusqu'au boulevard, dit Eugène de Rastignac à Bianchon, tu prendras une voiture au Cercle; il y en a là jusqu'au matin. Tu m'accompagneras jusque chez moi.

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Volontiers.

Eh! bien, mon cher, qu'en dis-tu ?

De cette femme? répondit froidement le docteur.

-Je reconnais mon Bianchon, s'écria Rastignac.

Hé! bien, quoi ?

- Mais tu parles, mon cher, de la marquise d'Espard comme d'une malade à placer dans ton hôpital.

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Veux-tu savoir ce que je pense, Eugène? Si tu quittes madame de Nucingen pour cette marquise, tu changeras ton cheval borgne contre un aveugle.

- Madame de Nucingen a trente-six ans, Bianchon.

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