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vice, et ce soir elle m'a criblé de sourires, en croyant que je puis influencer mon oncle Popinot, de qui dépend le gain de son procès.....

Mon cher, aurais-tu mieux aimé qu'elle te fit des sottises? J'admets ta catilinaire contre les femmes à la mode; mais tu n'es pas dans la question. Je préférerai toujours pour femme une marquise d'Espard à la plus chaste, à la plus recueillie, à la plus aimante créature de la terre. Épousez un ange! il faut aller s'enterrer dans son bonheur au fond d'une campagne. La femme d'un homme politique est une machine à gouvernement, une mécanique à beaux compliments, à révérences: elle est le premier, le plus fidèle des instruments dont se sert un ambitieux; enfin c'est un ami qui peut se compromettre sans danger, et que l'on désavoue sans conséquence. Suppose Mahomet à Paris, au dix-neuvième siècle! sa femme serait une Rohan, fine et flatteuse comme une ambassadrice, rusée comme figaro. Ta femme aimante ne mène à rien, une femme du monde mène à tout, elle est le diamant avec lequel un homme coupe toutes les vitres, quand il n'a pas la clef d'or avec laquelle s'ouvrent toutes les portes. Aux bourgeois les vertus bourgeoises, aux ambitieux les vices de l'ambition. D'ailleurs, mon cher, croistu que l'amour d'une duchesse de Langeais ou de Maufrigneuse, d'une lady Dudley n'apporte pas d'immenses plaisirs? Si tu savais combien le maintien froid et sévère de ces femmes donne du prix à la moindre preuve de leur affection! quelle joie de voir une pervenche poindant sous la neige! Un sourire jeté sous l'éventail dément la réserve d'une attitude imposée, et qui vaut toutes les tendresses débridées de tes bourgeoises à dévouement hypothétique; car en amour le dévouement est bien près de la spéculation. Puis, une femme à la mode, une Blamont-Chauvry a ses vertus aussi ! Ses vertus sont la fortune, le pouvoir, l'éclat, un certain mépris pour tout ce qui est au-dessous d'elle...

Merci, dit Bianchon.

-Vieux boniface! répondit en riant Rastignac. Allons, ne sois pas vulgaire, fais comme ton ami Desplein: sois baron, sois chevalier de l'ordre de Saint-Michel, deviens pair de France, et marie tes filles à des ducs.

Moi, je veux que les cinq cent mille diables...

-Là, là, tu n'as donc de supériorité qu'en médecine; vraiment tu me fais beaucoup de peine.

Je hais ces sortes de gens, je souhaite une révolution qui nous

en délivre à jamais.

- Ainsi, cher Robespierre à lancette, tu n'iras pas demain chez ton oncle Popinot?

- Si, dit Bianchon, quand il s'agit de toi, j'irais chercher de l'eau en enfer...

Cher ami, tu m'attendris ; j'ai juré que le marquis serait interdit! Tiens, je me trouve encore une vieille larme pour te remercier.

Mais, dit Horace en continuant, je ne te promets pas de réussir à vos souhaits près de Jean-Jules Popinot, tu ne le connais pas; mais je l'amènerai après-demain chez ta marquise, elle l'entortillera si elle peut. J'en doute. Toutes les truffes, toutes les duchesses, toutes les poulardes et tous les couteaux de guillotine seraient là dans la grâce de leurs séductions; le roi lui promettrait la pairie, le bon Dieu lui donnerait l'investiture du Paradis et les revenus du Purgatoire; aucun de ces pouvoirs n'obtiendrait de lui, de faire passer un fétu d'un plateau à l'autre de sa balance. Il est juge comme la mort est la mort.

Les deux amis étaient arrivés devant le Ministère des Affaires étrangères, au coin du boulevard des Capucines.

Te voilà chez toi, dit en riant Bianchon qui lui montra l'hô¬ tel du ministre. Et voici ma voiture, ajouta-t-il en montrant un fiácrè. Ainsi se résumé pour chacun de nous l'avenir.

Tu seras heureux au fond de l'eau, tandis que je lutterai toujours à la surface avec les tempêtes, jusqu'à ce qu'en sombrant, j'aille te demander place dans ta grotte, mon vieux!

A samedi, répliqua Bianchon.

Convenu, dit Rastignac. Tu me promets le Popinot?

Oui, je ferai tout ce que ma conscience me permettra de faire. Peut-être cette demande en interdiction cache-t-elle quelque petit dramorama, pour nous rappeler par un mot notre mauvais bon temps.

Pauvre Bianchon! ce ne sera jamais qu'un honnête homme, sè dit Rastignac en voyant le fiacre s'éloigner.

Rastignac m'a chargé de la plus difficile de toutes les négociations, se dit Bianchon en se souvenant à son lever de la commission délicate qui lui était confiée. Mais je n'ai jamais demandé à mon oncle le moindre petit service au Palais, et j'ai fait pour lui

plus de mille visites gratis. D'ailleurs, entre nous, nous ne nous gênons point. Il me dira oui ou non, et tout sera fini.

Après ce petit monologue, le célèbre docteur se dirigea, dès sept heures du matin, vers la rue du Fouarre où demeurait monsieur Jean-Jules Popinot, juge au Tribunal de Première Instance du Département de la Seine. La rue du Fouarre, mot qui signifiait autrefois rue de la Paille, fut au treizième siècle la plus illustre rue de Paris. Là furent les écoles de l'Université, quand la voix d'Abeilard et celle de Gerson retentissaient dans le monde savant. Elle est aujourd'hui l'une des plus sales rues du douzième Arrondissement, le plus pauvre quartier de Paris, celui dans lequel les deux tiers de la population manquent de bois en hiver, celui qui jette le plus de marmots au tour des Enfants-Trouvés, le plus de malades à l'Hôtel-Dieu, le plus de mendiants dans les rues, qui envoie le plus de chiffonniers au coin des bornes, le plus de vieillards souffrants le long des murs où rayonne le soleil, le plus d'ouvriers sans travail sur les places, le plus de prévenus à la Police correctionnelle. Au milieu de cette rue toujours humide et dont le ruisseau roule vers la Seine les eaux noires de quelques teintureries, est une vieille maison, sans doute restaurée sous François Ier, et construite en briques maintenues par des chaînes en pierre de taille. Sa solidité semble attestée par une configuration extérieure qu'il n'est pas rare de voir à quelques maisons de Paris. S'il est permis de hasarder ce mot, elle a comme un ventre produit par le renflement que décrit son premier étage affaissé sous le poids du second et du troisième, mais que soutient la forte muraille du rez-de-chaussée. Au premier coup d'œil, il semble que les entre-deux des croisées, quoique renforcés par leurs bordures en pierre de taille, vont éclater; mais l'observateur ne tarde pas à s'apercevoir qu'il en est de cette maison comme de la tour de Bologne: les vieilles briques et les vieilles pierres rongées conservent invinciblement leur centre de gravité. Par toutes les saisons, les solides assises du rez-de-chaussée offrent la teinte jaunâtre et l'imperceptible suintement que l'humidité donne à la pierre. Le passant a froid en longeant ce mur où des bornes échancrées le protégent mal contre la roue des cabriolets. Comme dans toutes les maisons bâties avant l'invention des voitures, la baie de la porte forme une arcade extrêmement basse, assez semblable au porche d'une prison. A droite de cette porte, sont trois croisées revêtues extérieurement de grilles en fer à mail

les si serrées qu'il est impossible aux curieux de voir la destination intérieure des pièces humides et sombres, tant d'ailleurs les vitres sont sales et poudreuses; à gauche sont deux autres croisées semblables dont une parfois ouverte permet d'apercevoir le portier, sa femme et ses enfants grouillant, travaillant, cuisinant, mangeant et criant au milieu d'une salle planchéiée, boisée où tout tombe en lambeaux et où l'on descend par deux marches, profondeur qui semble indiquer le progressif exhaussement du pavé parisien. Si, par un jour de pluie, quelque passant s'abrite sous la longue voûte à solives saillantes et blanchies à la chaux qui mène de la porte à l'escalier, il lui est difficile de ne pas contempler le tableau que présente l'intérieur de cette maison. A gauche, se trouve un jardinet carré qui ne permet pas de faire plus de quatre enjambées en tout sens, jardin à terre noire où il existe des treillages sans pampres, où, à défaut de végétation, vient à l'ombre de deux arbres, des papiers, de vieux linges, des tessons, des gravats tombés du toit; terre infertile où le temps a jeté sur les murs, sur le tronc des arbres et sur leurs branches une poudreuse empreinte semblable à de la suie froide. Les deux corps de logis en équerre dont se compose la maison, tirent leur jour de ce jardinet entouré par deux maisons voisines bâties en colombage, décrépites, menaçant ruine, où se voit à chaque étage quelque grotesque attestation de l'état exercé par le locataire. Ici de longs bâtons supportent d'immenses écheveaux de laine teinte qui sèchent; là sur des cordes se balancent des chemises blanchies; plus haut des volumes endossés montrent sur un ais leurs tranches fraîchement marbrées; les femmes chantent, les maris sifflent, les enfants crient; le menuisier scie ses planches, un tourneur en cuivre fait grincer son métal; toutes les industries s'accordent pour produire un bruit que le nombre des instruments rend furibond. Le système général de la décoration intérieure de ce passage, qui n'est ni une cour, ni un jardin, ni une voûte, et qui tient de toutes ces choses, consiste en piliers de bois posés sur des dés en pierre, et qui figurent des ogives. Deux arcades donnent sur le jardinet; deux autres qui font face à la porte cochère, laissent voir un escalier de bois dont la rampe fut jadis une merveille de serrurerie tant le fer y affecte des formes bizarres, et dont les marches usées tremblent sous le pied. Les portes de chaque appartement ont des chambranles bruns de crasse, de graisse, de poussière, et sont garnies de doubles portes revêtues de velours d'Utrecht semées de clous dédo

COM. HUM. T. X.

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rés disposés en losanges. Ces restes de splendeur annoncent que, sous Louis XIV, cette maison était habitée par quelque conseiller au Parlement, par de riches ecclésiastiques ou par quelque trésorier des Parties Casuelles. Mais ces vestiges de l'ancien luxe attirent un sourire sur les lèvres par un naïf contraste entre le présent et le passé. Monsieur Jean-Jules Popinot demeurait au premier étage de cette maison où l'obscurité naturelle aux premiers étages des maisons parisiennes était redoublée par l'étroitesse de la rue. Ce vieux logis était connu de tout le douzième Arrondissement, auquel la Providence avait donné ce magistrat comme elle donne une plante bienfaisante pour guérir ou modérer chaque maladie. Voici le croquis de ce personnage que voulait séduire la brillante marquise d'Espard.

En qualité de magistrat, monsieur Popinot était toujours vêtu de noir, costume qui contribuait à le rendre ridicule aux yeux des gens habitués à tout juger sur un examen superficiel. Les hommes jaloux de conserver la dignité qu'impose ce vêtement, doivent se soumettre à des soins continuels et minutieux; mais le cher monsieur Popinot était incapable d'obtenir sur lui-même la propreté puritaine qu'exige le noir. Son pantalon toujours usé ressemblait à du voile, étoffe avec laquelle se font les robes d'avocat ; et son maintien habituel finissait par y dessiner une si grande quantité de plis, qu'il s'y trouvait par places des lignes blanchâtres, rouges ou luisantes qui dénonçaient une avarice sordide ou la pauvreté la plus insoucieuse. Ses gros bas de laine grimaçaient dans ses souliers déformés. Son linge avait ce ton roux contracté dans l'armoire par un long séjour, et qui annonçait en feu madame Popinot la manie du linge; suivant la mode flamande, elle ne se donnait sans doute que deux fois par an l'embarras d'une lessive. L'habit et le gilet du magistrat étaient en harmonie avec le pantalon, les souliers, les bas et le linge. Il avait un bonheur constant dans son incurie, car le jour où il endossait un habit neuf, il l'appropriait à l'ensemble de sa toilette en y faisant des taches avec une inexplicable promptitude. Le bonhomme attendait que sa cuisinière le prévînt de la vétusté de son chapeau pour le renouveler. Sa cravate était toujours tordue sans apprêt, et jamais il ne rétablissait le désordre que son rabat de juge avait mis dans le col de sa chemise recroquevillé. Il ne prenait aucun soin de sa chevelure grise, et ne se faisait la barbe que deux fois par semaine. Il ne portait jamais de gants, et fourrait babituelle

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