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ne doit rien. Quand les effets arriveront à échéance, nous les acquitterons avec nos gains. Si nous ne pouvions plus les solder, Roguin me remettrait des fonds à cinq pour cent, hypothéqués sur ma part de terrain. Mais les emprunts seront inutiles : j'ai découvert une essence pour faire pousser les cheveux, une Huile Comagène! Livingston m'a posé là-bas une presse hydraulique pour fabriquer mon huile avec des noisettes qui, sous cette forte pression, rendront aussitôt toute leur huile. Dans un an, suivant mes probabilités, j'aurai gagné cent mille francs, au moius. Je médite une affiche qui commencera par: A bas les perruques! dont l'effet sera prodigieux. Tu ne t'aperçois pas de mes insomnies, toi! Voilà trois mois que le succès de l'HUILE DE MACASSAR m'empêche de dormir. Je veux couler Macassar!

Voilà donc les beaux projets que tu roules dans ta caboche depuis deux mois, sans vouloir m'en rien dire. Je viens de me voir en mendiante à ma propre porte, quel avis du ciel! Dans quelque temps, il ne nous restera que les yeux pour pleurer. Jamais tu ne feras ça, moi vivante, entends-tu, César? Il se trouve là-dessous quelques manigances que tu n'aperçois pas, tu es trop probe et trop loyal pour soupçonner des friponneries chez les autres. Pourquoi vient-on t'offrir des millions? Tu te dépouilles de toutes tes valeurs, tu t'avances au-delà de tes moyens, et si ton huile ne prend pas, si l'on ne trouve pas d'argent, si la valeur des terrains ne se réalise pas, avec quoi paieras-tu tes billets? est-ce avec les coques de tes noisettes ? Pour te placer plus haut dans la société, tu ne veux plus être en nom, tu veux ôter l'enseigne de la Reine des Roses, et tu vas faire encore tes salamalecs d'affiches et de prospectus qui montreront César Birotteau au coin de toutes les bornes et au-dessus de toutes les planches, aux endroits où l'on bâtit.

Oh! tu n'y es pas. J'aurai une succursale sous le nom de Popinot, dans quelque maison autour de la rue des Lombards, où je mettrai le petit Anselme. J'acquitterai ainsi la dette de la reconnaissance envers monsieur et madame Ragon, en établissant leur neveu, qui pourra faire fortune. Ces pauvres Ragonnins m'ont l'air d'avoir été bien grêlés depuis quelque temps.

-Tiens, ces gens-là veulent ton argent.

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Mais quelles gens donc, ma belle? Est-ce ton oncle Pillerault qui nous aime comme ses petits boyaux et dîne avec nous tous les

dimanches? Est-ce ce bon vieux Ragon, notre prédécesseur, qui voit quarante ans de probité devant lui, avec qui nous faisons notre boston? Enfin serait-ce Roguin, un notaire de Paris, un homme de cinquante-sept ans, qui a vingt-cinq ans de notariat ? Un notaire de Paris, ce serait la fleur des pois, si les honnêtes gens ne valaient pas tous le même prix. Au besoin, mes associés m'aideraient! Où donc est le complot, ma biche blanche? Tiens, il faut que je te dise ton fait! Foi d'honnête homme, je l'ai sur le

cœur.

Tu as toujours été défiante comme une chatte! Aussitôt que nous avons eu pour deux sous à nous dans la boutique, tu croyais que les chalands étaient des voleurs.

Il faut se mettre à tes genoux afin de te supplier de te laisser enrichir! Pour une fille de Paris, tu n'as guère d'ambition! Sans tes craintes perpétuelles, il n'y aurait pas eu d'homme plus heureux que moi!

Si je t'avais écoutée, je n'aurais jamais fait ni la Pâte des Sultanes, ni l'Eau carminative. Notre boutique nous a fait vivre, mais ces deux découvertes et nos savons nous ont donné les cent soixante mille francs que nous possédons clair et net!

Sans mon génie, car j'ai du talent comme parfumeur, nous serions de petits détaillants, nous tirerions le diable par la queue pour joindre les deux bouts, et je ne serais pas un des notables négociants qui concourent à l'élection des juges au tribunal de commerce, je n'aurais été ni juge ni adjoint. Sais-tu ce que je serais? un boutiquier comme a été le père Ragon, soit dit sans l'offenser, car je respecte les boutiques, le plus beau de notre nez en est fait !

Après avoir vendu de la parfumerie pendant quarante ans, nous posséderions, comme lui, trois mille livres de rente; et au prix où sont les choses dont la valeur a doublé, nous aurions, comme eux, à peine de quoi vivre. (De jour en jour, ce vieux ménage-là me serre le cœur davantage. Il faudra que j'y voie clair, et je saurai le fin mot par Popinot, demain !)

Si j'avais suivi tes conseils, toi qui as le bonheur inquiet et qui te demandes si tu auras demain ce que tu tiens aujourd'hui, je n'aurais pas de crédit, je n'aurais pas la croix de la Légion-d'Honneur, et je ne serais pas en passe d'être un homme politique. Oui, tu as beau branler la tête, si notre affaire se réalise, je puis devenir

député de Paris. Ah! je ne me nomme pas César pour rien, tout m'a réussi.

C'est inimaginable, au dehors chacun m'accorde de la capacité; mais ici, la seule personne à laquelle je veux tant plaire que je sue sang et eau pour la rendre heureuse, est précisément celle qui me prend pour une bête.

Ces phrases, quoique scindées par des repos éloquents et lancées comme des balles, ainsi que font tous ceux qui se posent dans une attitude récriminatoire, exprimaient un attachement si profond, si soutenu, que madame Birotteau fut intérieurement attendrie; mais elle se servit, comme toutes les femmes, de l'amour qu'elle inspirait pour avoir gain de cause.

Eh bien! Birotteau, dit-elle, si tu m'aimes, laisse-moi donc être heureuse à mon goût. Ni toi, ni moi, nous n'avons reçu d'éducation; nous ne savons point parler, ni faire un serviteur à la manière des gens du monde, comment veut-on que nous réussissions dans les places du gouvernement? Je serai heureuse aux Trésorières, moi! J'ai toujours aimé les bêtes et les petits oiseaux, je passerai très-bien ma vie à prendre soin des poulets, à faire la fermière. Vendons notre fonds, marions Césarine, et laisse ton Imogène. Nous viendrons passer les hivers à Paris, chez notre gendre, nous serons heureux, rien ni dans la politique ni dans le commerce ne pourra changer notre manière d'être. Pourquoi vouloir écraser les autres? Notre fortune actuelle ne nous suffit-elle pas? Quand tu seras millionnaire, dîneras-tu deux fois? as-tu besoin d'une autre femme que moi ? Vois mon oncle Pillerault? il s'est sagement contenté de son petit avoir, et sa vie s'emploie à de bonnes œuvres. A-t-il besoin de beaux meubles, lui? Je suis sûre que tu m'as commandé le mobilier : j'ai vu venir Braschon ici, ce n'était pas pour acheter de la parfumerie.

Eh bien! oui, ma belle, tes meubles sont ordonnés, nos travaux vont être commencés demain et dirigés par un architecte que m'a recommandé monsieur de La Billardière.

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Mon Dieu, s'écria-t-elle, ayez pitié de nous!

Mais tu n'es pas raisonnable, ma biche. Est-ce à trente-sept ans, fraîche et jolie comme tu l'es, que tu peux aller t'enterrer à Chinon? Moi, Dieu merci, je n'ai que trente-neuf ans. Le hasard m'ouvre une belle carrière, j'y entre. En m'y conduisant avec prudence, je puis faire une maison honorable dans la bourgeoisie

de Paris, comme cela se pratiquait jadis, fonder les Birotteau, comme il y des Keller, des Jules Desmarets, des Roguin, des Cochin, des Guillaume, des Lebas, des Nucingen, des Saillard, des Popinot, des Matifat qui marquent ou qui ont marqué dans leurs quartiers. Allons donc ! Si cette affaire-là n'était pas sûre comme de l'or en barres...

Sûre!

Oui, sûre. Voilà deux mois que je la chiffre. Sans en avoir l'air, je prends des informations sur les constructions, au bureau de la ville, chez des architectes et chez des entrepreneurs. Monsieur Rohault, le jeune architecte qui va remanier notre appartement, est désespéré de ne pas avoir d'argent pour se mettre dans notre spéculation.

- Il y aura des constructions à faire, il vous y pousse pour vous gruger.

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Peut-on attraper des gens comme Pillerault, comme Charles Claparon et Roguin? Le gain est sûre comme celui de la Pâte deş Sultanes, vois-tu ?

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Mais, mon cher ami, qu'a donc besoin Roguin de spéculer, s'il a sa charge payée et sa fortune faite ? Je le vois quelquefois passer plus soucieux qu'un ministre d'État, avec un regard en dessous que je n'aime pas : il cache des soucis. Sa figure est devenue, depuis cinq ans, celle d'un vieux débauché. Qui te dit qu'il ne lèvera pas le pied quand il aura vos fonds en main? Cela s'est vu. Le connaissons-nous bien? Il a beau depuis quinze ans être notre ami, je ne mettrais pas la main au feu pour lui. Tiens, il est punais et ne vit pas avec sa femme, il doit avoir des maîtresses qu'il paie et qui le ruinent; je ne trouve pas d'autre cause à sa tristesse. Quand je fais ma toilette, je regarde à travers les persiennes, je le vois rentrer à pied chez lui, le matin, revenant d'où ? personne ne le sait. Il me fait l'effet d'un homme qui a un ménage en ville, qui dépense de son côté, madame du sien. Est-ce la vie d'un notaire? S'ils gagnent cinquante mille francs et qu'ils en mangent soixante, en vingt ans on voit la fin de sa fortune, on se trouve nus comme de petits saint Jean; mais comme on s'est habitué à briller, on dévalise ses amis sans pitié : charité bien ordonnée commence par soi-même. Il est intime avec ce petit gueux de du Tillet, notre ancien commis, je ne vois rien de bon dans cette amitié. S'il n'a pas su juger du Tillet, il est bien aveugle; s'il le connaît, pourquoi le

choye-t-il tant? tu me diras que sa femme aime du Tillet? eh bien! je n'attends rien de bon d'un homme qui n'a pas d'honneur à l'égard de sa femme. Enfin les possesseurs actuels de ces terrains sont donc bien bêtes de donner pour cent sous ce qui vaut cent francs? Si tu rencontrais un enfant qui ne sût pas ce que vaut un louis, ne lui en dirais-tu pas la valeur ? Votre affaire me fait l'effet d'un vol, à moi, soit dit sans t'offenser.

Mon Dieu! que les femmes sont quelquefois drôles, et comme elles brouillent toutes les idées! Si Roguin n'était rien dans l'affaire, tu me dirais : Tiens, tiens, César, tu fais une affaire où Roguin n'est pas; elle ne vaut rien. A cette heure, il est là comme une garantie, et tu me dis...

-Non, c'est un monsieur Claparon.

Mais un notaire ne peut pas être en nom dans une spéculation. Pourquoi fait-il alors une chose que lui interdit la loi? Que me répondras-tu, toi qui ne connais que la loi?

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Laisse-moi donc continuer. Roguin s'y met, et tu me dis que l'affaire ne vaut rien? Est-ce raisonnable? Tu me dis encore: Il fait une chose contre la loi. Mais il s'y mettra ostensiblement s'il le faut. Tu me dis maintenant : Il est riche. Ne peut-on pas m'en dire autant à moi? Ragon et Pillerault seraient-ils bien venus à me dire Pourquoi faites-vous cette affaire, vous qui avez de l'argent comme un marchand de cochons?

-Les commerçants ne sont pas dans la position des notaires, dit madame Birotteau.

Enfin, ma conscience est bien intacte, dit César en continuant. Les gens qui vendent, vendent par nécessité; nous ne les volons pas plus qu'on ne vole ceux à qui on achète des rentes à soixante-quinze. Aujourd'hui, nous acquérons les terrains à leur prix d'aujourd'hui; dans deux ans, ce sera différent, comme pour les rentes. Sachez, Constance-Barbe-Joséphine Pillerault, que vous ne prendrez jamais César Birotteau à faire une action qui soit contre la plus rigide probité, ni contre la loi, ni contre la conscience, ni contre la délicatesse. Un homme établi depuis dix-huit ans être soupçonné d'improbité dans son ménage!

-Allons, calme-toi, César! Une femme qui vit avec toi depuis ce temps connaît le fond de ton âme. Tu es le maître, après tout. Cette fortune, tu l'as gagnée, n'est-ce pas? elle est à toi, tu peux Ja dépenser. Nous serions réduites à la dernière misère, ni moi ni

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