Obrázky na stránke
PDF
ePub

pour les maris. Les éclats de voix des joueurs, à chaque coup imprévu, le retentissement de l'or se mêlaient à la musique, au murmure des conversations; pour achever d'étourdir cette foule eni`vrée par tout ce que le monde peut offrir de séductions, une vą-peur de parfums et l'ivresse générale agissaient sur les imaginations affolées. Ainsi à ma droite, la sombre et silencieuse image de la mort; à ma gauche, les décentes bacchanales de la vie: ici, la nature froide, morne, en deuil; là les hommes en joie. Moi, sur la frontière de ces deux tableaux si disparates, qui, mille fois répétés de diverses manières, rendent Paris la ville la plus amusante du monde et la plus philosophique, je faisais une macédoine morale, moitié plaisante, moitié funèbre. Du pied gauche je marquais la mesure, et je croyais avoir l'autre dans un cercueil. Ma jambe était en effet glacée par un de ces vents coulis qui vous gèlent une moitié du corps tandis que l'autre éprouve la chaleur moite des salons, accident assez fréquent au bal.

- Il n'y a pas fort long-temps que monsieur de Lanty possède cet hôtel?

Si fait. Voici bientôt dix ans que le maréchal de Carigliano le lui a vendu...

[ocr errors][ocr errors]

Ah!

Ces gens-là doivent avoir une fortune immense?

Mais il le faut bien.

-Quelle fête! Elle est d'un luxe insolent.

Les croyez-vous aussi riches que le sont monsieur de Nucingen ou monsieur de Gondreville?

Mais vous ne savez donc pas?

J'avançai la tête et reconnus les deux interlocuteurs pour appartenir à cette gent curieuse qui, à Paris, s'occupe exclusivement des Pourquoi? des Comment? D'où vient-il? Qui sont-ils ? Qu'y a-t-il? Qu'a-t-elle fait? Ils se mirent à parler bas, et s'éloignèrent pour aller causer plus à l'aise sur quelque canapé solitaire. Jamais mine plus féconde ne s'était ouverte aux chercheurs de mystères. Personne ne savait de quel pays venait la famille de Lanty, ni de quel commerce, de quelle spoliation, de quelle piraterie ou de quel héritage provenait une fortune estimée à plusieurs millions. Tous les menbres de cette famille parlaient l'italien, le français, l'espagnol, l'anglais et l'allemand, avec assez de perfection pour faire supposer qu'ils avaient dû long-temps séjourner

parmi ces différents peuples. Étaient-ce des bohémiens? étaient-ce des flibustiers?

Quand ce serait le diable! disaient de jeunes politiques, ils reçoivent à merveille.

Le comte de Lanty eût-il dévalisé quelque Casauba, j'épouserais bien sa fille! s'écriait un philosophe.

Qui n'aurait épousé Marianina, jeune fille de seize ans, dont la beauté réalisait les fabuleuses conceptions des poètes orientaux? Comme la fille du sultan dans le conte de la Lampe merveilleuse, elle aurait dû rester voilée. Son chant faisait pâlir les talents incomplets des Malibran, des Sontag, des Fodor, chez lesquelles une qualité dominante a toujours exclu la perfection de l'ensemble; tandis que Marianina savait unir au même degré la pureté du son, la sensibilité, la justesse du mouvement et des intonations, l'âme et la science, la correction et le sentiment. Cette fille était le type de cette poésie secrète, lien commun de tous les arts, et qui fuit toujours ceux qui la cherchent. Douce et modeste, instruite et spirituelle, rien ne pouvait éclipser Marianina si ce n'était sa mère.

Avez-vous jamais rencontré de ces femmes dont la beauté foudroyante défie les atteintes de l'âge, et qui semblent à trente-six ans plus désirables qu'elles ne devaient l'être quinze ans plus tôt? Leur visage est une âme passionnée, il étincelle; chaque trait y brille d'intelligence; chaque pore possède un éclat particulier, surtout aux lumières. Leurs yeux séduisants attirent, refusent, parlent ou se taisent; leur démarche est innocemment savante; leur voix déploie les mélodieuses richesses des tons les plus coquettement doux et tendres. Fondés sur des comparaisons, leurs éloges caressent l'amour propre le plus chatouilleux. Un mouvement de leurs sourcils, le moindre jeu de l'œil, leur lèvre qui se fronce, impriment une sorte de terreur à ceux qui font dépendre d'elles leur vie et leur bonheur. Inexpériente de l'amour et docile au discours, une jeune fille peut se laisser séduire; mais pour ces sortes de femmes, un homme doit savoir, comme monsieur de Jaucourt, ne pas crier quand, en se cachant au fond d'un cabinet, la femme de chambre lui brise les deux doigts dans la jointure d'une porte. Aimer ces puissantes sirènes, n'est-ce pas jouer sa vie? Et voilà pourquoi peut-être les aimons-nous si passionnément! Telle était la comtesse de Lanty,

Filippo, frère de Marianina, tenait, comme sa sœur, de la beauté merveilleuse de la comtesse. Pour tout dire en un mot, ce jeune homme était une image vivante de l'Antinoüs, avec des formes plus grêles. Mais comme ces maigres et délicates proportions s'allient bien à la jeunesse quand un teint olivâtre, des sourcils vigoureux et le feu d'un œil velouté promettent pour l'avenir des passions mâles, des idées généreuses! Si Filippo restait, dans tous les cœurs de jeunes filles, comme un type, il demeurait également dans le souvenir de toutes les mères, comme le meilleur parti de France.

La beauté, la fortune, l'esprit, les grâces de ces deux enfants venaient uniquement de leur mère. Le comte de Lanty était petit, laid et grêlé; sombre comme un Espagnol, ennuyeux comme un banquier. Il passait d'ailleurs pour un profond politique, peut-être parce qu'il riait rarement, et citait toujours monsieur de Metternich ou Wellington.

Cette mystérieuse famille avait tout l'attrait d'un poème de lord Byron, dont les difficultés étaient traduites d'une manière différente par chaque personne du beau monde : un chant obscur et sublime de strophe en strophe. La réserve que monsieur et madame de Lanty gardaient sur leur origine, sur leur existence passée et sur leurs relations avec les quatre parties du monde n'eût pas été longtemps un sujet d'étonnement à Paris. En nul pays peut-être l'axiome de Vespasien n'est mieux compris. Là, les écus même tachés de sang ou de boue ne trahissent rien et représentent tout. Pourvu que la haute société sache le chiffre de votre fortune, vous êtes classé parmi les sommes qui vous sont égales, et personne ne vous demande à voir vos parchemins, parce que tout le monde sait combien peu ils coûtent. Dans une ville où les problèmes sociaux se résolvent par des équations algébriques, les aventuriers ont en leur faveur d'excellentes chances. En supposant que cette famille eût été bohémienne d'origine, elle était si riche, si attrayante, que la haute société pouvait bien lui pardonner ses petits mystères. Mais, par malheur, l'histoire énigmatique de la maison Lanty offrait un perpétuel intérêt de curiosité, assez semblable à celui des romans d'Anne Radcliffe.

Les observateurs, ces gens qui tiennent à savoir dans quel magasin vous achetez vos candélabres, ou qui vous demandent le prix du loyer quand votre appartement leur semble beau, avaient re

des

marqué, de loin en loin, au milieu des fêtes, des concerts, bals, des raouts donnés par la comtesse, l'apparition d'un personnage étrange. C'était un homme. La première fois qu'il se montra dans l'hôtel, ce fut pendant un concert, où il semblait avoir été attiré vers le salon par la voix enchanteresse de Marianina.

– Depuis un moment, j'ai froid, dit à sa voisine une dame pla-` cée près de la porte.

L'inconnu, qui se trouvait près de cette femme, s'en alla.

- Voilà qui est singulier! j'ai chaud, dit cette femme après le départ de l'étranger. Et vous me taxerez peut-être de folie, mais je ne saurais m'empêcher de penser que mon voisin, ce monsieur vêtu de noir qui vient de partir, causait ce froid.

Bientôt l'exagération naturelle aux gens de la haute société fit naître et accumuler les idées les plus plaisantes, les expressions les plus bizarres, les contes les plus ridicules sur ce personnage mystérieux. Sans être précisément un vampire, une goule, un homme artificiel, une espèce de Faust ou de Robin des bois, il participait, au dire des gens amis du fantastique, de toutes ces natures anthropomorphes. Il se rencontrait çà et là des Allemands qui prenaient pour des réalités ces railleries ingénieuses de la médisance parisienne. L'étranger était simplement un vieillard. Plusieurs de cès jeunes hommes, habitués à décider, tous les matins, l'avenir de l'Europe, dans quelques phrases élégantes, voulaient voir en l'inconnu quelque grand criminel, possesseur d'immenses richesses. Des romanciers racontaient la vie de ce vieillard, et vous donnaient des détails véritablement curieux sur les atrocités commises par lui pendant le temps qu'il était au service du prince de Mysore. Des banquiers, gens plus positifs, établissaient une fable spécieuse : Bah! disaient-ils en haussant leurs larges épaules par un mouvement de pitié, ce petit vieux est une tête génoise!

Monsieur, si ce n'est pas une indiscrétion, pourriez-vous avoir la bonté de m'expliquer ce que vous entendez par une tête génoise?

Monsieur, c'est un homme sur la vie duquel reposent d'énormes capitaux, et de sa bonne santé dépendent sans doute les revenus de cette famille.

Je me souviens d'avoir entendu chez madame d'Espard un magnétiseur prouvant, par des considérations historiques très-spécieuses,

« PredošláPokračovať »