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Aprez il advertit Marcellinus qu'il ne seroit pas messeant, comme le dessert des tables se donne aux assistants, nos repas faicts, aussi la vie finie, de distribuer quelque chose à ceulx qui en ont esté les ministres. Or, estoit Marcellinus de courage frane et liberal il feit despartir quelque somme à ses serviteurs, et les consola. Au reste, il n'y eut besoing de fer ny de sang; il entreprint de s'en aller de cette vie, non de s'en fuyr; non d'eschapper à la mort, mais de l'essayer. Et pour se donner loisir de la marchander, ayant quitté toute nourriture, le troisiesme iour suyvant, aprez s'estre faict arrouser d'eau tiede, il defaillit peu à peu, et non sans quelque volupté, à ce qu'il disoit '.

De vray, ceulx qui ont eu ces defaillances de cœur qui prennent par foiblesse, disent n'y sentir aulcune douleur, ains plustost quelque plaisir, comme d'un passage au sommeil et au repos. Voylà des morts estudiees et digerees.

Mais à fin que le seul Caton peust fournir à tout exemple de vertu, il semble que son bon destin lui feist avoir mal en la main dequoy il se donna le coup, à ce qu'il eust loisir d'affronter la mort et de la colleter, renforceant le courage au dangier, au lieu de l'amollir. Et si c'eust esté à moy de le representer en sa plus superbe assiette, c'eust esté deschirant tout ensanglanté ses entrailles, plustost que l'espee au poing, comme feirent les statuaires de son temps: car ce second meurtre feut bien plus furieux que le premier.

1 SÉNÈQUE, Epist. 77.

CHAPITRE XIV.

COMME NOSTRE ESPRIT S'EMPESCHE SOY MESME.

C'est une plaisante imagination, de concevoir un esprit blancé iustement entre deux pareilles envies: car il est indubitable qu'il ne prendra iamais party, d'autant que l'application et le chois porte inegualité de prix; et qui nous logeroit entre la bouteille et le iambon, avecques egual appetit de boire et de manger, il n'y auroit sans doubte remede que de mourir de soif et de faim. Pour pourveoir à cet inconvenient, les stoïciens', quand on leur demande d'où vient en nostre ame l'eslection de deux choses indifferentes, et qui faict que d'un grand nombre d'escus nous en prenions plustost l'un que l'aultre, estants touts pareils et n'y ayant aulcune raison qui nous incline à la preference, respondent que ce mouvement de l'ame est extraordinaire et desreglé, venant en nous d'une impulsion estrangiere, accidentale, et fortuite. Il se pourroit dire, ce me semble, plustost, que aulcune chose ne se presente à nous, où il n'y ait quelque difference, pour legiere qu'elle soit; et que, ou à la veue ou à l'attouchement, il y a tousiours quelque chois qui nous tente et attire, quoyque ce soit imperceptiblement pareillement qui presupposera une fiscelle egualement forte par tout, il est impossible de toute impossibilité qu'elle rompe; car par où voulez

1 PLUTARQUE, dans les Contredits des philosophes stoïques,

vous que la faulsee commence? et de rompre par tout ensemble, il n'est pas en nature. Qui ioindroit encores à cecy les propositions geometriques qui concluent, par la certitude de leurs demonstrations, le contenu plus grand que le contenant, le centre aussi grand que sa circonference, et qui trouvent deux lignes s'approchants sans cesse l'une de l'aultre, et ne se pouvants iamais ioindre, et la pierre philosophale, et quadrature du cercle, où la raison et l'effect sont si opposites; en tireroit à l'adventure quelque argument pour secourir ce mot hardy de Pline, solum certum nihil esse certi, et homine nihil miserius, aut superbius 1.

CHAPITRE XV.

QUE NOTRE DESIR S'ACCROIST PAR LA MALAYSANCE.

Il n'y a raison qui n'en aye une contraire, dict le plus sage party des philosophes. Ie remaschois2 tantost ce beau mot qu'un ancien allegue pour le mespris de la vie, «< Nul bien ne nous peult apporter plaisir, si ce n'est celuy à la perte duquel nous sommes preparez3; » In æquo est dolor amissæ rei, et timor

1 Il n'y a rien de certain que l'incertitude, et rien de plus misérable et plus fier que l'homme. PLINE, Nat. Hist., II, 7. - Trad. par Montaigne, édit. de 1580.

2 Je repassais dans mon esprit.

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3 SÉNÈQUE, Epist. 4. La phrase suivante est aussi de SÉNÈQUE, Epist. 98: Le chagrin d'avoir perdu une chose, et la crainte de la perdre, affectent également l'esprit.

amittendæ; voulant gaigner par là que la fruïtion de la vie ne nous peult estre vrayement plaisante, si nous sommes en crainte de la perdre. Il se pourroit toutesfois dire, au revers, que nous serrons et embrassons ce bien, d'autant plus estroict et avecques plus d'affection, que nous le veoyons nous estre moins seur, et craignons qu'il nous soit osté : car il se sent evidemment, comme le feu se picque à l'assistance du froid, que nostre volonté s'aiguise aussi le

contraste :

Si nunquam Danaen habuisset ahenea turris,

Non esset Danae de Jove facta parens 1;

par

et qu'il n'est rien naturellement si contraire à nostre goust, que la satieté qui vient de l'aysance; ny rien qui l'aiguise tant, que la rareté et difficulté : omnium rerum voluptas ipso, quo debet fugare, periculo crescit 2.

Galla, nega; satiatur amor, nisi gaudia torquent 3. Pour tenir l'amour en haleine, Lycurgue ordonna que les mariez de Lacedemone ne se pourroient practiquer qu'à la desrobbee, et que ce seroit pareille honte de les rencontrer couchez ensemble qu'avecques d'aultres. La difficulté des assignations, le dangier des surprinses, la honte du lendemain,

1 Si Danaé n'eût pas été renfermée dans une tour d'airain, jamais elle n'eût été rendue mère par Jupiter. OVIDE, Amor., II, 19, 27.

2 Le plaisir, en toutes choses, s'accroît par le péril même qui devrait nous en éloigner. SENÈQUE, de Benefic., VII, 9.

3 Galla, refuse-moi : l'amour se fatigue, quand le plaisir n'est pas un tourment. MARTIAL, IV, 37.

4 PLUTARQUE, Vie de Lycurgue, c. 11.

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c'est ce qui donne poincte à la saulse. Combien de ieux treslascifvement plaisants naissent de l'honneste et vergongneuse maniere de parler des ouvrages de l'amour? La volupté mesme cherche à s'irriter par la douleur : elle est bien plus sucree quand elle cuict, et quand elle escorche. La courtisane Flora disoit n'avoir iamais couché avecques Pompeius, qu'elle ne luy eust faict porter les marques de ses morsures'.

Quod petiere, premunt arcte, faciuntque dolorem
Corporis, et dentes inlidunt sæpe labellis...

Et stimuli subsunt, qui instigant lædere id ipsum,

Quodcumque est, rabies unde illæ germina surgunt 3.

:

Il en va ainsi partout; la difficulté donne prix aux choses ceulx de la Marque d'Ancone1 font plus volontiers leurs vœux à sainct lacques, et ceulx de Galice à Nostre dame de Lorete: on faict au Liege 6 grande feste des bains de Luques; et, en la Toscane, de ceulx d'Aspa': il ne se veoid gueres de Romains en l'eschole de l'escrime à Rome, qui est pleine de François. Ce grand Caton se trouva, aussi bien que

1 Et la langueur, et le silence, et les soupirs tirés du fond du cœur. HoR., Epod., XI, 9.

2 PLUTARQUE, Vie de Pompée, c. 1.

3 Ils étreignent avec force ce qu'ils ont désiré; ils font souffrir le corps, ils impriment leurs dents sur les lèvres... il y a des aiguil'ons qui les excitent à blesser l'objet qui allume leurs transports. LUCRÈCE, IV, 1076.

La Marche d'Ancóne.

Saint-Jacques de Compostelle, en Galicie.

A Liége

7 Les eaux de Spa.

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