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galant homme, de mœurs civiles et communes, d'une haulteur moderee; la plus riche vie, que ie sçache, à estre vescue entre les vivants, comme on dit, et estoffee de plus de riches parties et desirables, c'est, tout consideré, celle d'Alcibiades, à mon gré.

Mais quant à Epaminondas, pour exemple d'une excessifve bonté, ie veulx adiouter icy aulcunes de ses opinions: Le plus doulx contentement qu'il eut en toute sa vie, il tesmoigna que c'estoit le plaisir qu'il avoit donné à son pere et à sa mere de sa victoire de Leuctres1; il couche de beaucoup, preferant leur plaisir au sien si iuste et si plein d'une tant glorieuse action: Il ne pensoit pas « qu'il feust loisible, pour recouvrer mesmes la liberté de son païs, de tuer un homme sans cognoissance de cause 2; » voyla pourquoy il feut si froid à l'entreprinse de Pelopidas, son compaignon, pour la delivrance de Thebes: Il tenoit aussi, «< qu'en une battaille il falloit fuir le rencontre d'un amy qui feust au party contraire, et l'espargner » Et son humanité à l'endroict des ennemis mesmes l'ayant mis en souspeçon envers les Bootiens, de ce qu'aprez avoir miraculeusement forcé les Lacedemoniens de luy ouvrir le pas, qu'ils avoient entreprins de garder à l'entree de Moree, prez de Corinthe, il s'estoit contenté de leur avoir passé sur le ventre, sans les poursuyvre à toute oultrance, il feut deposé de l'estat de capitaine general, treshonorablement, pour une telle cause, et pour la honte

3

' PLUTARQUE, Vie de Coriolan, c. 2.

ID., de l'Esprit familier de Socrate, c. 4.

3 ID., ibid., c. 17.

que ce leur feut d'avoir, par necessité, à le remonter tantost aprez en son degré, et recognoistre combien despendoit de luy leur gloire et leur salut : la victoire le suyvant comme son umbre par tout où il guidast, la prosperité de son païs mourut aussi, luy mort, comme elle estoit nee par luy '.

CHAPITRE XXXVII.

DE LA RESSEMBLANCE DES ENFANTS AUX PERES.

Ce fagotage de tant de diverses pieces se faict en cette condition, que ie n'y mets la main que lors qu'une trop lasche oysifveté me presse, et non ailleurs que chez moy: ainsin il s'est basty à diverses poses et intervalles, comme les occasions me detiennent ailleurs par fois plusieurs mois. Au demourant, ie ne corrige point mes premieres imaginations par les secondes; ouy, à l'adventure, quelque mot, mais pour diversifier, non pour oster. Ie veulx representer le progrez de mes humeurs, et qu'on veoye chasque piece en sa naissance. Ie prendrois plaisir d'avoir commencé plustost, et à recognoistre le train de mes mutations. Un valet qui me servoit à les escrire soubs moy, pensa faire un grand butin de m'en desrobber plusieurs pieces, choisies à sa poste: cela me console, qu'il n'y fera pas plus de gaing, que i'y ay faict de perte. Ie me suis envieilly de sept ou huict ans depuis

1 Diodore de Sicile, XV, 88; CORNELIUS NÉPOS, Épaminondas,

que ie commenceay: ce n'a pas esté sans quelque nouvel acquest; i'y ay practiqué la cholique, par la liberalité des ans : leur commerce et longue conversation ne se passe ayseement, sans quelque tel fruict. Ie vouldrois bien, de plusieurs aultres presents qu'ils ont à faire à ceux qui les hantent long temps, qu'ils en eussent choisi quelqu'un qui m'eust esté plus acceptable; car ils ne m'en eussent sceu faire que i'eusse en plus grande horreur, dez mon enfance : c'estoit, à poinct nommé, de touts les accidents de la vieillesse, celuy que ie craignois le plus. I'avois pensé maintesfois, à part moy, que i̇'allois trop avant, et qu'à faire un si long chemin, ie ne fauldrois pas de m'engager enfin en quelque malplaisante rencontre ie sentois et protestois assez, Qu'il estoit heure de partir, et qu'il falloit trencher la vie dans le vif et dans le sain, suyvant la regle des chirurgiens, quand ils ont à couper quelque membre; Qu'à celuy qui ne la rendoit à temps, nature avoit accoustumé de faire payer de biens rudes usures. Il s'en falloit tant que i'en feusse prest lors, qu'en dix huict mois ou environ qu'il y a que ie suis en ce malplaisant estat, i'ay desia apprins à my accommoder; i'entre desia en composition de ce vivre choliqueux, i'y treuve dequoy me consoler, et dequoy esperer : Tant les hommes sont accoquinez à leur estre miserable, qu'il n'est si rude condition qu'ils n'acceptent pour s'y conserver! Oyez Maecenas,

:

Debilem facito manu,
Debilem pede, coxa;
Lubricos quate dentes;

Vita dum superest, bene est1:

et couvroit Tamburlan d'une sotte humanité la cruauté fantastique qu'il exerceoit contre les ladres2, en faisant mettre à mort autant qu'il en venoit à sa cognoissance,« pour, disoit il, les delivrer de la vie qu'ils vivoient si penible: » car il n'y avoit nul d'eulx qui n'eust mieulx aimé estre trois fois ladre, que de n'estre pas : et Antisthenes le stoïcien3, estant fort malade, et s'escriant : « Qui me delivrera de ces maulx? » Diogenes, qui l'estoit venu veoir, luy presentant un couteau: « Cettuy cy, si tu veulx, bientost. » « le ne dis pas de la vie, repliqua il, ie dis des maulx. » Les souffrances qui nous touchent simplement par l'ame, m'affligent beaucoup moins qu'elles ne font la pluspart des aultres hommes; partie, par iugement, car le monde estime plusieurs choses horribles, ou evitables au prix de la vie, qui me sont à peu prez indifferentes; partie, par une complexion stupide et insensible que i'ay aux accidents qui ne donnent à moy de droict fil; laquelle complexion i'estime l'une des meilleures pieces de ma naturelle condition: mais les souffrances vrayement essentielles et corporelles, ie les gouste bien vifvement. Si est ce pourtant, que, les prevoyant

1 Vers de Mécène, conservés par SÉNÈQUE, Epist. 101, et que La Fontaine traduit ainsi, Fables, I, 15:

Qu'on me rende impotent,

Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme

Je vive; c'est assez : je suis plus que content.

2 Les lépreux.

3 Ou plutôt le cynique. Voyez ce trait dans DIOGENE LAERCE, VI, 18. COSTE.

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aultresfois d'une veue foible, delicate, et amollie par la iouïssance de cette longue et heureuse santé et repos que Dieu m'a presté, la meilleure part de mon aage, ie les avois conceues, par imagination, si insupportables, qu'à la verité ie n'avois plus de peur, que ie n'y ay trouvé de mal : par où i'augmente tousiours cette creance, Que la pluspart des facultez de nostre ame, comme nous les employons, troublent plus le repos de la vie, qu'elles n'y servent.

Ie suis aux prinses avecques la pire de toutes les maladies, la plus soubdaine, la plus douloureuse, la plus mortelle, et la plus irremediable; i'en ay desia essayé cinq ou six bien longs accez et penibles : toutesfois, ou ie me flatte, ou encores y a il en cet estat dequoy se soubtenir, à qui a l'ame deschargee de la crainte de la mort, et deschargee des menaces, conclusions et consequences dequoy la medecine nous enteste; mais l'effect mesme de la douleur n'a pas cette aigreur si aspre et si poignante, qu'un homme rassis en doibve entrer en rage et en desespoir. l'ay au moins ce proufit de la cholique, que, ce que ie n'avois encores peu sur moy, pour me concilier du tout et m'accointer à la mort, elle le parfera; car d'autant plus elle me pressera et importunera, d'autant moins me sera la mort à craindre. l'avois desia gaigné cela, de ne tenir à la vie que par la vie seulement; elle desnouera encores cette intelligence et Dieu veuille qu'enfin, si son aspreté vient à surmonter mes forces, elle ne me reiecte à l'aultre extremité, non moins vicieuse, d'aimer et desirer à mourir!

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