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d'habillemens; du moins a-t-il voulu nous faire aimer les sociétés du premier âge, sociétés touchantes, bornées à des familles, et exemptes de révolutions, puisqu'elles n'avoient pas de gouvernement; Rousseau paroît être l'ennemi constant, non des loix naturelles ni de l'autorité légitime, mais de toutes les loix hautaines et tracassieres que l'homme a imaginées; voilà celles qu'il flé trit de tout son pouvoir; il vit que nous avions trois sortes de loix qui se contredisoient, la loi naturelle, la loi religieuse et la loi civile ; falloit-il s'étonner qu'on les enfreignît toutes trois dans l'occasion, et qu'on ne fût ni homme, ni citoyen, ni religieux? Il voulut, pour les concilier, que l'homme appuyé sur lui-même, et véritablement le fils de ses œuvres, tînt sa morale de sa conscience, sa dignité de sa force intellectuelle, sa liberté de son mépris pour les conventions humaines, et sa subsistance d'un métier méchanique et portatif; ce fut dans ce dessein qu'il composa l'Emile, et cet ouvrage est évidemment et intimement lié au discours sur l'Inégalité des conditions.

Un livre est souvent comme un instrument de musique: il ne dit rien à l'oreille d'un

homme peu fait pour le toucher, mais il devient éloquent sous les doigts d'un habile symphoniste. L'Emile est le livre le plus fécond en idées; interrogez-le sur l'homme, et il vous répondra à chaque page; chaque page vous prouvera ces deux importantes vérités : que la nature récompense toujours avec usure le respect que nous avons pour ses loix, et qu'elle nous résout d'elle-même à tous les maux qu'il n'est pas en son pouvoir de nous épargner.

Ce livre, enfin, nous révele le vice antique et invétéré de notre gouvernement; c'est qu'une infinité d'hommes sont dans des états qui les autorisent à faire le mal. Tel est le résultat lumineux de l'Emile, et son auteur vouloit enlever son éleve à ces états dangereux; voilà pourquoi il insiste pour qu'il soit plutôt cordonnier que poëte: un poëte de nos jours, flattant les grands pour leur table, étant bien au-dessous d'un cordonnier.

Quand on a vécu avant l'apparition de l'Emile, on ne peut plus de nos jours voir un enfant se jouer au milieu de nous sans se dire; c'est Rousseau qui lui a restitué la liberté, les graces, la joie naïve du premier âge; c'est lui qui l'a désentravé des ridi

cules liens qui le garrottoient, emblême des servitudes innombrables dont on devoit bientôt opprimer ses facultés intellectuelles (1).

L'on ne pense jamais bien que l'on ne soit parvenu à penser encore mieux. Il fit la

(1) Décreté pour cet ouvrage, Rousseau ne vouloit pas fuir; l'amitié lui fit une heureuse violence; elle a sauvé le parlement de Paris d'une confusion éternelle. Car c'eût été, dans l'avenir, le pendant du jugement de Socrate, Le parlement de Paris jugeant l'auteur d'Emile . comme un criminel! ces grands scandales des tribunaux oppresseurs, révélant leur barbare imbécillité, tournent, je le sais, au profit de la raison et de la philosophie; mais le grand homme, en passant, en devient l'infortunée victime, et la honte en rejaillit sur toute

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Le fanatique et sor Christophe de Beaumont faillit à perdre Jean-Jacques, en se réunissant à l'avocat-général de Fleury, quoiqu'il fût l'ennemi le plus opiniâtre des parlemens. Les haines s'embrasserent pour persécuter notre philosophe. Il se trouva au milieu des combats des jansénistes et des molinistes; car l'avocat général de Fleury ne fit condamner et brûler l'Emile, que parce que Rousseau avoit dit dans une note: Que si les jansénistes étoient un jour les plus forts, ils seroient beaucoup plus intolérans que leurs adversaires. Où sont aujourd'hui ces deux sectes?

guerre à notre théâtre, d'abord parce qu'il ressembloit au gouvernement; on y faisoit parler les rois d'une étrange maniere, eux seuls figuroient sur la scene; dans la comédie on traitoit légérement les objets sérieux; l'affectation de style, dit-il, y annonce l'absence des graces, et le jargon l'absence de l'esprit. Rousseau n'avoit jamais lu Shakespeare (1); il lui étoit pardonnable de ne pas croire à la tragédie moderne ; le patron immuable de la tragé die françoise lui déplaisoit ; cette éternelle versification n'étoit pas encore de son goût; son ouvrage sur les spectacles yeut nous dire d'un bout à l'autre que la tragédie nationale n'appartient qu'à un peuple libre, et que nos compositions théâtrales sentent l'école de la servitude; les princes et les grands y occupant seuls la scene, et puis des marquis

(1) La force et les nerfs ne s'empruntent point, (dit Montaigne) les atours et le manteau s'empruntent. Il y a plus; il suffit de vouloir faire une tragédie françoise pour ne plus savoir lire Shakespeare. C'est qu'il est véri tablement impossible à un versificateur de sentir le génie d'un poëte original; il traitera le même sujet, et il le défigurera; il ne saura pas voir ce qui est sous ses yeux; îl parlera de goût, et sera dépourvu de sensibilité.

venant y déployer leur hautaine futilité et le jargon de leurs mœurs dépravées ; ceux qui voulurent alors lui répondre n'étoient pas nés ou formés pour le comprendre ; un goût timide et resserré courboit alors toute la littérature. Des académies entieres combattirent Rousseau, et Rousseau a dû sentir quelques mouvemens d'orgueil, en voyant les préjugés les plus misérables dominer des hommes qui vouloient combattre tous les autres préjugés; ce respect superstitieux, qu'ils reprochoient à tant de fanatiques, ils le conservoient pour des formes puériles auxquels ils étoient accoutumés (1).

L'habitude chez les hommes est le plus souvent la regle qui décide de leurs opinions sur le caractere du beau et du vrai; tout nous ramene à suivre ce qui s'est fait, plutôt qu'à réfléchir sur ce qu'il faudroit faire; de-là nos méprises continuelles sur les vrais

(1) J'ai publié, en 1771, un ouvrage intitulé: Du Théâtre, ou nouvel Essai sur l'Art Dramatique, qui me valut alors un déluge d'injures, et une persécution presque sérieuse : or, je savois bien en ce temps-là que j'avois complettement raison; et je n'avois pas besoin de la révolution actuelle des idées pour le sentir,

plaisirs

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