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SECTION III.

MONTESQUIEU avoit cru pouvoir déterminer le pivot réel du gouvernement françois: selon lui, c'étoit l'honneur; or, c'étoit là bâtir sur un fond nul et arbitraire; c'étoit avoir recours à un équivoque et inexplicable talisman; c'étoit enfin un fanal bien trompeur, propre à éclairer des naufrages. Rousseau, ne donnant rien aux préjugés les plus agréables, éloignant les superficies brillantes et les autres illusions, creusa le sol, et vit que les sociétés (de quelque nom qu'on les appelle) ne peuvent exister ou du moins prospérer que par la vertu publique; il l'implora; il posa les bases de sa théorie, et l'art sublime de régir les grandes sociétés sur la vertu publique ; Montesquieu n'avoit fait qu'affermir le redoutable gouvernement monarchique, en lui donnant pour principe. l'honneur; mais son adversaire, en établissant la vertu publique, créa le gouvernement

de la nation sur elle-même; ce gouvernement presqu'inconnu naquit, et l'on vit disparoître celui d'un seul ou de quelques-uns, car un seul n'a jamais gouverné; le gouvernement monarchique n'est qu'un être de raison, une chimere imposante; c'est toujours un conseil composé de quelques-uns; c'est un conseil d'état; c'est-à-dire, que c'est une bureaucratie plus ou moins étendue : Rousseau ne daigna pas même relever l'erreur de Montesquieu infatué du siecle de Louis XIV, et de la robe parlementaire ; Montesquieu étoit bien éloigné de concevoir les démocraties pures ou mixtes, grandes ou étendues, où la vertu publique agit, et devient tout à la fois la cause et la préservatrice du bonheur social.

Mais si la théorie de Rousseau n'enfanta point, elle développa certainement le principe de la vertu publique ; c'étoit-là un principe sûr, réel, nécessaire; il existoit dans les gouvernemens populaires; et il étoit dé montré, d'après l'histoire, que cette vertu ne pouvoit jamais avoir un accès auprès des trónes; qu'elle ne seroit tout au plus qu'une velléité dans le cœur d'un monarque, et qu'elle deviendroit alors presque matérielle.:

ment

ment inefficace. Selon Rousseau, les trames exécrables du satrapisme seront toujours inévitables et souvent victorieuses, tant qu'il y aura un trône d'or; le satrapisme y crcusera nécessairement au pied un puisard, et ne voudra le remplir que pour y porter des mains avides. Le satrapisme deviendra héré ditaire comme le caissier couronné (1), corrompra tous ses rejettons, naturalisera autour d'eux l'adulation, la perversité des mœurs, et leur insinuera que, pour être le caissier de toutes les bourses, il suffit d'avoir des satellites, des bronzes creux, de montrer l'assemblage de l'orgueil, de la violence, mais plus fréquemment encore l'esprit de dissimulation.

Ces vérités terribles étoient trop bien dé veloppées dans les écrits de Rousseau, pour l'assemblée nationale n'en fît point son que

(1) De toutes les fables, la plus [fable c'est la fable des membres et de l'estomac. Les membres du corps politique peuvent très-bien dire à leur estomac : vous n'aurez point d'indigestion, car cela nous fait mal par contre coup et nous fait trébucher; vous serez à un doux et bon régime; ainsi vous ne pourrez nuire ni à vous § ni à nous.

Tome I.

I

profit; elle rejetta le prestige de l'honneur vanté par Montesquieu, et adopta la vertu publique recommandée par Rousseau; on vit naître la déclaration des droits de l'homme et du citoyen; dès ce moment tout fut électrisé, et l'assemblée prit en main la massue, la massue nationale, qui abattit toutes les erreurs des ennemis ténébreux de l'humanité et des lumieres publiques (1). Elle décomposa

(1) Il étoit d'une nécessité absolue, pour cîmenter l'égalité civile, de détruire ce corps interposé entre le monarque et le peuple, qui les séparoit, les désunissoit, les rendoit ennemis; les nobles s'accommodoient fort bien de la servitude, parce qu'ils se faisoient payer cherement leurs courbettes; mais ils ne vouloient pas de liberté pour le peuple, afin qu'il n'y eût point de citoyens. Eh! que leur importoit la félicité publique, lorsqu'ils rampoient sur les marches du trône pour recueillir des distinctions et des richesses? Mais l'assemblée nationale, songeant que Rome, pour avoir conservé le patriciat, établit dans son sein une guerre intestine, ne voulut pas que la liberté eût besoin d'être incessaniment défendue contre une aristocratie toujours prête à l'envahir; elle décomposa ce corps intermédiaire si fatal à la nation, et décida que la qualité de citoyen seroit le premier titre de l'homme civilisé et le plus honorable dans l'ordre politique; ainsi jadis tous les peuples briguerent à Rome ce

le satrapisme; elle fit tomber le despotisms au front d'airain et aux pieds d'argille. Enfin, avec le systême de la vertu publique,

droit révéré dans tout l'univers. Si tous sont égaux en droits, si telle est la base de la constitution, tous les citoyens sont pairs ; alors les quartiers de noblesse, le fortuit assemblage de plusieurs alliances, l'imbécille vanité de celui qui a acheté une charge, tout disparoît devant la souveraineté nationale qui veut l'égalité fondamentale; car la nation ne peut ni créer quelque chose de plus grand qu'elle-même, ni faire sortir personne de ce niveau, premiere base de la régénération et de la liberté.

Quand les Hollandois fonderent leur république, ils commirent une grande faute en laissant subsister parmi eux un ordre de nobles qui forment dans leur constitution l'ordre équestre. Cet ordre équestre a toujours été dévoué au stadhouderat : il a favorisé toutes les entre prises des stadhouders contre la liberté publique, et il a joué le plus grand rôle dans l'odieuse conspiration qui a şoumis la Hollande au despotisme du stadhouder actuel; 'de sa femme et du roi de Prusse, son beau-frere. On a vu cependant en Hollande quelques familles nobles soutenir les intérêts du peuple, et cette république a eu ses Capellen, comme nous avons en ce moment nos Mirabeau, nos Lameth, un Montmorency, un d'Aiguillon, etc.; mais ces exceptions ne peuvent rien contre le principe, elles sont seulement honorables pour l'individu qui les fait naître, Si dans une monarchie libre vous introduisez

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