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peutê-tre d'avoir découvert le secret de sa composition aussi neuve qu'enchanteresse (1). Ayant eu l'avantage de demeurer plusieurs années dans son pays natal et de prédilection, nous y avons découvert les vestiges de ses premiers pas. Nous avons reconnu souvent sa touche, et vu quelquefois son nom dans un journal presqu'inconnu en France. C'est dans ce dépôt obscur et volumineux que Rousseau a jetté ses premieres productions. Il faut un œil attentif pour les y distinguer; mais on les reconnoît enfin, sur-tout à un ton religieux, où ne perce pas moins l'aversion la plus décidée pour les disputes théologiques.

Nous étonnerions beaucoup de personnes, en mettant sous leurs yeux les premiers essais de la plunie d'un homme qui attendoit sous le voile que le public lui criât: Ecris, tu es

(1) Ce secret est en partie dévoilé dans l'anecdote suivante. Deux jésuites se présenterent chez lui, et le prierent de leur enseigner l'art qu'il employoit pour écrire avec tant d'éloquence. Rousseau leur répondit..... J'en ai un en effet ; je suis fâché qu'il ne soit point à l'usage de votre société : c'est de ne jamais dire que ce que je pense.

né pour écrire. Il attendit long-temps sans se décourager. Pendant vingt années il aiguisa ses armes sans se rebuter de leur peu d'éclat. Il sembloit pressentir qu'il forceroit un jour tous les obstacles. Le sentiment inné de ses forces le soutenoit, et il supportoit de bonne grace l'obscurité, comme s'il eût entrevu les rayons de la gloire qui ne devoit le couronner que dans son automne. Jamais homme n'a mieux connu le rare secret d'attendre sa renommée sans la violenter par des moyens prématurés et insuffisans.

Rousseau n'est pas moins singulier par son caractere (1) que par ses ouvrages; ce caractere mixte, et jusqu'alors inconnu échappe au pinceau le plus exercé et le plus fin: c'est l'assemblage étrange de toutes les passions portées à l'extrême, quoique ba

(1) Dans sa jeunesse, lorsque sa tête n'étoit pas encore mûre et n'ayant aucune notion de chymie, il croyoit entrevoir la possibilité de s'élever dans les airs, par des moyens purement méchaniques; mais il devoit s'élever. d'un autre vol dans la région des idées. Nous sommes possesseurs d'un manuscrit de lui, qui a pour titre : le Nouveau Dédale, et qui paroîtra dans l'édition que nous avons entreprise.

lancées les unes par les autres ; c'est tout à la fois l'orgueil et la simplicité; l'amour du bruit et de la retraite ; l'ambition et le dédain de la renommée; il aimoit beaucoup les jouissances, et il voulut être pauvre ; l'enthousiasme de la liberté le passionnoit, et il

finit par demander comme une grace la per

les

mission de passer ses derniers jours dans une prison. Idolâtre des femmes, il en fut le censeur le plus amer; il puisoit beaucoup d'idées dans la conversation, et il fuyoit le commerce des hommes; indulgent pour foiblesses humaines, et chérissant l'humanité d'un amour tendre et actif, il étoit ombrageux et méfiant pour chaque individu; il étoit obligeant, généreux même, et le bien qu'on lui faisoit devenoit à ses yeux un outrage (1). Quoique le meilleur des hommes,

(1) M. le chevalier de C..... qui l'admiroit et le chérissoit, se donna beaucoup de mouvemens, à son insu, pour sa pension du roi d'Angleterre. Rousseau pénétra son secret, et un matin M. le chevalier de C..... reçut un billet de ce style: « Jeune homme, vous êtes bien hardi » de vouloir me faire du bien sans mon consentement. » -La vue, l'idée d'un présent, le mot même, le mettoient en colere.

il étoit offensé de l'amitié ou de l'affection qu'on lui témoignoit ; enfin, vertueux il avoit peine à croire à la vertu. Il étoit devenu plus que misanthrope, car il avoit le malheur de soupçonner des intentions malfaisantes dans le cœur de ceux qui l'approchoient; et plus il étoit irréprochable, plus son effervescente imagination se créoit de fantômes qui le tourmentoient.

Il fut sans doute trompé, trahi, calomnié plus d'une fois, d'autant plus facilement que Jean-Jacques n'étoit pas un être intelligible, et à la portée de tout le monde (1). Mais peut-être ne peut-on expliquer Rousseau tout entier qu'en le supposant attaqué, surtout dans les dernieres années de sa vie, d'une maladie de cerveau qui lui représentoit tous les objets comme créés et disposés

(1) Il regardoit M. de Choiseuil, ministre, comme son ennemi le plus implacable; il le jugeoit du moins alors comme on le juge aujourd'hui, n'ayant eu qu'une sphere d'idées très-étroite, excessivement présomptueux, ayant sacrifié la France à sa vanité personnelle, et le plus grand ennemi de la liberté publique. Ses mémoires annoncent en effet une tête mesquine; ce Choiseuil fut le protecteur de Palissot et le persécuteur de Jean-Jacques.

pour lui nuire et pour le rabaisser ; la crainte perpétuelle de l'humiliation le tyrannisoit : tel étoit le foible de son orgueil délicat et profond, qu'une moquerie suffisoit pour troubler sa tête. Son regard soupçonneux épioit sans cesse dans les yeux ce qu'on pensoit de lui; et le moindre geste, ou le moindre sourire qui ne s'accordoit point avec sa pensée actuelle le perçoit jusqu'au fond de l'ame: il éprouvoit des douleurs morales, inconnues aux autres hommes. Nous l'avons vu passer tout-à-coup d'un mouvement de joie à la plus sombre tristesse ; être heureux et malheureux dans l'espace de trois minutes, sans que rien eût paru changer autour de lui; son imagination effarouchée avoit tout fait. O vous ! qui êtes si jaloux de sa grande renommée, voudriez-vous posséder son génie au prix que la nature le lui avoit vendu? Nous nous sommes quelquefois,en sa présence, attendris jusqu'aux larmes. Enfin, ou Rousseau étoit le seul sage, et tous les hommes de la société actuelle des insensés; ou, si nous avons peine à souscrire à ce partage, il falloit donc que Rousseau eût un grain de folie dans l'imagination; ou bien il aura donc été un être à part, qui ne

voyoit

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