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devant la postérité, dont le regne a déjà commencé pour eux. Parmi ces colonnes qui soutenoient en France le temple du génie, une seule peut-être reste élevée dans toute sa hauteur et sur cette colónne il n'est personne qui ne lise, ou qui ne grave avec nous le nom de J. J. Rousseau.

Presque tous ses écrits lui survivent, ou du moins sa mort n'a rien changé au degré d'estime que chacun d'eux avoit obtenu de son vivant: il pese toujours le même poids dans la balance de la renommée. Sa célébrité n'a même fait que s'accroître depuis qu'il n'est plus, et s'étendre dans toutes les classes de la société. Lorsqu'il vivoit, le nom d'un grand poëte, qui avoit à ses ordres les cent bouches et toutes les trompettes de la renommée, rivalisoit avec le sien; on les opposoit l'un à l'autre, sans pouvoir comparer ensemble ces deux hommes extraordinaires qui n'avoient rien de commun; mais la gloire du poëte semble avoir baissé, tandis que celle de l'écrivain moral n'a fait que s'étendre, et rassembler autour de sa tombe des partisans plus nombreux.

L'éloquence de J. J. Rousseau contraste avec celle des écrivains de son siecle; elle

ne marche point avec une froide majesté, ou armée de pointes et d'épigrammes; elle fait jaillir la pensée et le sentiment, parce qu'elle est le résultat du génie, du sentiment et de l'esprit fondus ensemble; elle est souple, et nous enchante par tous les tons qui, dans son style, se mêlent sans discordance. La grace et la clarté sont répandues par-tout, et l'inépuisable variété des tours répond à cette multitude d'idées, qui se pressoient sous la plume de l'écrivain. Il pense sans effort, et avec une plénitude et une richesse d'expressions qui annoncent une source intarissable et profonde.

Nous n'analysons point le génie de ce grand homme, nous le sentons; il laisse toujours dans l'ame une impression durable, 'soit lorsqu'il subjugue l'entendement par sa force supérieure, soit lorsqu'il séduit le cœur par ce prestige qui ne fut donné qu'à lui; enfin lorsque, dans la discussion, il fait valoir les droits de la vérité, alors il anéantit jusqu'à la pensée de pouvoir lui

résister.

Si, comme on l'en a accusé, il s'est permis des paradoxes, qu'il déclare avoir toujours préférés à des préjugés, ne se joue-t-il

pas même alors de votre imagination, par l'inconcevable subtilité avec laquelle il évite ou renverse toutes les objections?

Jamais écrivain n'avoit montré qu'on pût toucher à la fois deux points aussi éloignés, aussi opposés que l'éloquence de l'amour passionné, et celle de l'obscure et profonde politique. La nouvelle Héloïse et le Contrat social sont de la même main. Et pour mon trer ensuite combien il étoit maître de la langue, et de la sienne en particulier, il publia cette lettre, fille d'un mandement ce chef-d'œuvre plaisant où l'ironie est maniée avec tant d'art, et qui étoit faite pour rester sans réponse. Parurent bientôt après les Lettres de la Montagne; c'est encore un autre accent, mais d'une profondeur et d'une gravité rares; elles prouvent un esprit vigoureux, qui avoit étudié toutes les formes possibles de gouvernement, et qui débor doit, pour ainsi dire, d'idées politiques.

Il ne pouvoit toucher une question sans enflammer les esprits, parce qu'il les jettoit hors des routes battues; il écrit une lettre sur la musique, et nous lui devons en France la révolution musicale; cette révolution précieuse dans un art que les étran

J

et

gers nous ont montré, avant de le connoître (1).

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Il est à remarquer que J. J. Rousseau fut presque couvert par un amas de brochures, dont quelques-unes même n'étoient pas sans mérite, lorsqu'il donna sa Lettre sur la musique; et la raison en est simple. N'est-il point dans l'ordre des choses, que les opinions soient différentes, quand on ne traite

(1) Rousseau avoit dit que les François n'avoient point, ne pouvoient point avoir de musique, et que s'ils parvenoient à en avoir une, ce seroit tant pis pour eux, parce que la nature de leur langue s'y opposoit. Un jour, se trouvant à une des représentations d'Orphée, qu'il vit quarante fois, quelques amateurs, qui l'avoient distingué dans la foule, vinrent le trouver après le spectacle, et le voyant immobile et la tête baiffée, lui dirent avec intérêt..... M. Rousseau, préjugé national à part, que pensezvous de cet opéra? Rousseau ne répondit point; mais relevant enfin la tête, et montrant à ceux qui l'interrogeoient les larmes qui couloient fur ses joues, il chanta à voix basse et d'un accent étouffé..... J'ai perdu mon Euridice, rien n'égale mon malheur !..... Cette rétractation, que la vérité obtenoit de l'homme qui la disoit toujours, leva l'anathême qu'une erreur, dont il convenoit d'une maniere si touchante, avoit jetté sur la nation: sans avoir des Métastase pour poëtes lyriques, nous revenons d'un préjugé qu'un grand homme nous avoit donné.

que des objets de goût, dont les notions ne sont encore irrévocablement fixées dans aucune nation?

Si la mort ne l'eût pas surpris, il auroit fait pour la botanique ce qu'il avoit fait pour la musique. Il nous auroit délivrés de cette scientifique et repoussante nomenclature, malheureusement consacrée par un grand nom, et qui ne sert qu'à dessécher la mémoire', qu'à effacer le riant tableau de la nature; Flore, dégagée de cet amas d'hié roglyphes inintelligibles, lui devroit autant et plus encore qu'Uranie à Fontenelle.

Qu'il nous soit permis de suivre ici la succession de ses écrits; on y reconnoîtra sans peine la génération de ses idées.

Ce qu'on connoît de lui d'abord, ce sont ces lettres écrites, en 1738, à Madame de Warens, sa bienfaitrice et son amie; elles inspirent l'intérêt le plus touchant, même après qu'on a lu ses chefs-d'œuvre ou aime

à

y voir son ame fiere, sensible et neuve, se développer par degrés; il sembloit dèslors appellé à la profession de musicien, et rien n'annonçoit le penseur, le philosophe, l'écrivain supérieur.

Ce fut la capitale qui éveilla son génie :

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