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nent, celui d'être couvert des larmes que répandent l'admiration et la reconnoissance publique; tant il est vrai que l'homme de génie vertueux jouit aussi, même lorsqu'il n'est plus, d'une souveraineté qu'il ne doit qu'à lui-même! O Rousseau ! Les épitaphes accumulées sur ta tombe attestent qu'à l'enthousiasme qu'inspirent tes ouvrages se joint un amour tendre pour ta personne, et une pitié sentimentale sur les malheurs de ta vie et les erreurs de ton imagination: oui, en te lisant, on dira: Il rend l'homme de bien plus content de l'être, plus décidé à l'être toujours; et ton éloge sera fini (1).

(1) Les portraits que nous avons de Jean-Jacques le calomnient, excepté celui de Houdon. Tous ses traits se terminoient en finesse; la taille bien prise, la jambe fine, un joli pied, la physionomie animée, la bouche mignonne, les yeux petits, mais qui lançoient le feu; tel il étoir. Le son de sa voix étoit d'une douceur ravissante, et son chant avoit beaucoup d'expression. Il n'avoit point le charme de la saillie; il sembloit s'arrêter pour comprendre; ses réponses, quoique naturelles, portoient l'empreinte d'une sorte de méditation; on eût dit, si on ne l'eût pas connu, que sa conception étoit lente et difficile; véritablement civil et chaste dans ses paroles, il ne confondoit point les nuances dans la société;

La

La cendre de Voltaire n'a pas reçu les mêmes honneurs; on épuisa les louanges sur le théâtre de Paris, où il fut justement couronné, et son triomphe finit avec la représentation de sa piece; mais pourquoi ne s'arrête-t-on point devant son tombeau avec ce recueillement profond, avec ce respect religieux et tendre qui saisissent l'ame quand on aborde l'ile des Peupliers? Voltaire cependant fut le bienfaiteur de la raison humaine, l'ennemi triomphant du fanatisme, le restaurateur de l'innocence opprimée, et le protecteur ardent d'une foule de malheureux!

Un petit résumé des injures prodiguées à

jamais son ton, son geste, son attitude, ne voulurent dire aux autres: Je suis un homme célebre. Il se coëffa de bonne heure avec une petite perruque ronde; ce qui lui ôta le trait de physionomie, et cacha la forme antique de son front; dès-lors il se revêtit d'habits propres, simples, unis, bruns, et sans épée, quoique ce fût alors la mode reçue et universelle. Causant une fois avec lui, vers le Pont-Royal, je le quittai, et un élégant de ce temps-là me dit : Vous étiez-là avec votre tailleur ; quand je lui eus dit que c'étoit Jean-Jacques, il courut précipitamment à lui, et tourna vingt fois autour de sa personne; ce qui inquiéta beaucoup l'ombrageux philosophe.

Tome I.

R

cet écrivain illustre consoleroit sans doute de l'ingratitude des hommes ceux qui se dévouent à les éclairer, et l'on remarqueroit d'un côté le noble silence de Rousseau , qui ne se permit jamais qu'un ou deux traits des plus modérés contre un rival couvert de gloire, devenu son ennemi; et de l'autre, l'amour - propre en délire qui a déshonoré l'art des vers (1) par une production monstrueuse, ouvrage tombé dans un oubli profond, malgré son mérite poétique, et dont le public a fait justice, même du vivant de son illustre auteur.

Il résulte de cette observation une grande vérité; c'est qu'on démêle, pour ainsi dire, quelques années après la mort d'un écrivain, l'accent de la postérité et son jugement irrévocable; motif d'encouragement pour les écrivains généreux et d'effroi pour les usurpateurs de la rénommée (2).

(1) La Guerre de Geneve: poëme qui met au grand jour l'ame de Voltaire, et bien mieux que ses ennemis ne l'eussent pu faire.

(2) Il faut avouer qu'il doit beaucoup à Montaigne et à Séneque; le charmant écrivain que ce Montaigne! et Rousseau l'avoit bien lu dans sa jeunesse, et il l'a so

mis à profit sans trop le citer: mais dans un autre âge, ayant essayé depuis plusieurs fois de l'ouvrir, il avoit été forcé d'y renoncer, parce qu'en le relisant, il sentoit, disoit-il, renaître des douleurs qu'il avoit éprou vées jadis à l'époque de sa premiere lecture. C'est ainsi qu'il étoit encore l'esclave de son imagination dans l'étude de la botanique; il l'aimoit moins comme science que comme amusement, et comme un moyen de reproduire en lui certains sentimens agréables qu'il avoit éprouvés dans sa jeunesse, ou dans l'âge qui la suit. La vue de telle ou telle plante le reportoit à l'état ou à la sensation de plaisir où il s'étoit trouvé la premiere fois qu'il avoit apperçu et remarqué cette plante; mais celles qui pouvoient lui rappeller des momens de peine, des époques fâcheuses, étoient marquées en noir dans son souvenir, et il trembloit de les rencontrer. La pervenche avoit été témoin d'un de ses instans de bonheur; c'étoit sa plante chérie, et il la revoyoit toujours avec transport. Ainsi son existence étoit attachée, et comme dispersée parmi les plantes et les objets de la nature. Le passé continuoit de modifier pour lui le présent; et cet homme, tout imagination et tout sentiment, avoit un champ de jouissances et de souffrances plus étendu que chez les autres hommes.

Fin du premier volume.

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