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étonnant, plus incroyable que les faits généraux qui sont aussi, de l'aveu du déiste, des actes immédiats de la puissance divine? Dieu donne la vie à tous les hommes; voilà le fait général : il la rend à un homme pour une fin, si on le veut même, inconnue; voilà le fait particulier. Qu'y a-t-il là qui puisse surprendre un déiste affermi dans ses principes, qui puisse lui faire craindre de devenir fou 1, s'il en étoit témoin? Il convient que Dieu peut aussi aisément rendre à un homme la vie, que la lui donner une première fois. Niera-t-il qu'il le veuille? Ce seroit nier le fait que je suppose prouvé, et le nier uniquement parce qu'il ignore les motifs qui ont pu déterminer l'action de l'Être infini. S'étonnera-t-il même que Dieu ait voulu opérer cet acte de sa puissance? Qu'il s'étonne donc de tout également; car, lui qui rejette la révélation, que connoît-il des volontés et des desseins de Dieu? S'étonner d'un acte quelconque où sa puissance se manifeste immédiatement, ce seroit s'étonner de ne pas connoître toutes ses pensées, toutes ses volontés, ce seroit s'étonner de n'être pas Dieu.

L'athée, qui ne reconnoît point de législateur dans l'univers, de cause première intelligente, ne sauroit attacher d'idée raisonnable au mot de loi. S'il est conséquent, il ne doit voir dans tout ce qui frappe ses sens, qu'une succes

1 « Quelque frappant que pût me paroître un pareil spectacle, je ne « voudrois pour rien au monde en être témoin; car que sais-je ce qu'il «<en pourroit arriver? Au lieu de me rendre crédule, j'aurois grand << peur qu'il ne me rendît que fou. » Rousseau, Lettres écrites de la Montagne, p. 112. Il est difficile d'imaginer ce que Dieu lui-même pourroit faire pour convaincre un pareil déiste. Lui parle-t-on d'un miracle opéré devant d'autres hommes? Ils ont peut-être mal vu. et il faudroit qu'il fût fou pour les écouter. (Émile, t. III, p. 36.) Il voudroit donc, pour y croire, être témoin du miracle? Non, pour rien au monde; il craindroit qu'il ne le rendît fou. C'est ainsi que se vérifient les paroles de l'Évangile: Si Moysen et prophetas non audiunt ; neque si quis ex mortuis resurrexerit, credent. Luc. xv, 31.

sion fortuite de phénomènes, que rien ne lie entre eux, que rien ne détermine, sinon cette incompréhensible puissance qu'il appelle hasard, nécessité, destin. De quoi peutil donc être surpris? Quel fait, si nouveau, si rare qu'il soit, doit lui paroître incroyable? Il ne l'avoit pas vu encore, voilà tout. Le défaut même de cause, fût-il prouvé, n'est pas pour lui une raison de nier, une raison de douter, une raison d'être étonné. Tout ce qui ressemble à une ceuvre fortuite, tout ce qui choque l'idée de règle, tout ce qui dérange l'uniformité des phénomènes ordinaires et en interrompt la constance, doit être à ses yeux ce qu'il y a de plus croyable et de plus naturel. La permanence de certains effets, leur liaison avec certaines causes, la perpétuelle correspondance qu'on observe entre eux, en un mot, l'ordre immuable, voilà le miracle de l'athée : malheureux qui ne connoît de lumière que les ténèbres, de loi que le désordre, de Dieu que la matière mue par une force aveugle, et d'espérance que la mort!

Moins hardi que Voltaire dans l'absurdité, Rousseau consent de bonne grâce à accorder à Dieu le pouvoir de faire des miracles; seulement il doute que Dieu veuille user de ce pouvoir, à cause de l'embarras où se trouveroient les déistes. Pour enlever donc au christianisme la preuve qui se tire des prodiges que Jésus-Christ et les Apôtres ont opérés, il n'imagine rien de mieux que de nier, non pas les miracles en eux-mêmes, mais la possibilité de s'assurer qu'aucun fait est miraculeux.

« Puisqu'un miracle, dit-il, est une exception aux lois << de la nature, pour en juger il faut connoître ces lois, et « pour en juger sûrement, il faut les connoître toutes car « une seule qu'on ne connoîtroit pas, pourroit en certains <«< cas, inconnus aux spectateurs, changer l'effet de celles << qu'on connoîtroit. Ainsi celui qui prononce qu'un tel ou <«< tel acte est un miracle, déclare qu'il connoît toutes les

<«<lois de la nature, et qu'il sait que cet acte est une excep<< tion.

« Mais quel est ce mortel qui connoit toutes les lois de <«< la nature? Newton ne se vantoit pas de les connoître. « Un homme sage, témoin d'un fait inouï, peut attester << qu'il a vu ce fait, et l'on peut le croire, mais ni cet homme <«<sage, ni nul autre homme sage sur la terre n'affirmera « jamais que ce fait, quelque étonnant qu'il puisse être, « soit un miracle; car comment peut-il le savoir 1? Soit « donc qu'il y ait des miracles, soit qu'il n'y en ait pas, il <<< est impossible au sage de s'assurer que quelque fait que «< ce puisse être en est un 2. >>

Ce sophisme repose sur un abus de mots. On appelle loi, dans l'ordre physique, une cause permanente qui se manifeste par des effets constants. Ainsi la succession uniforme des mêmes effets dans les mêmes circonstances, prouve l'existence de la cause permanente ou de la loi qui les détermine; et nous n'avons pas d'autre moyen de reconnoître les lois de la nature. Les circonstances demeurant les mêmes, arrive-t-il que l'effet change? tout le monde avoue sans difficulté qu'il existe une cause de ce changement. Mais quelle est cette cause? probablement, dit Rousseau, une autre loi de la nature. Expliquons-nous, s'il vous plaît. Qu'entendez-vous par loi, dans le cas présent? Est-ce simplement une cause? Alors votre raisonnement croule; car personne ne prétend que l'effet dont il s'agit n'a point de cause; la question, je le répète, est de savoir quelle est cette cause. Est-ce une cause permanente, ou une véritable loi? Il seroit absurde de le dire, car on ne peut reconnoître la permanence d'une cause que par la constance des effets, les circonstances, comme nous l'a

1 Lettres écrites de la Montagne, p. 107.

2 lbid., p. 119.

vons dit, étant les mêmes. Or les miracles, et vous en convenez, sont des faits rares, extraordinaires, opposés à tous les effets qui se présentent perpétuellement dans les mêmes circonstances; donc les miracles ne sont point les effets d'une cause permanente, d'une loi de la nature; donc on peut, sans connoître toutes les lois de la nature, s'assurer qu'un fait est un vrai miracle.

Le raisonnement de Rousseau auroit d'ailleurs, en le supposant exact, de si terribles conséquences, qu'il suffit de les indiquer pour faire sentir aux déistes mêmes à quel point il est erroné; car il faudroit en conclure qu'à moins de savoir tout, on ne peut rien savoir certainement, et que, condamné dès lors sans retour à un doute universel, ce je ne sais quel fantôme qu'on appelle l'homme s'agite et se tourmente en vain dans son irrémédiable igno

rance.

Si nous ne pouvons en effet juger avec certitude qu'un tel ou tel fait est une exception aux lois de la nature, à moins que nous ne connoissions toutes les lois de la nature, évidemment il est impossible que nous ayons jamais aucune notion certaine de l'ordre physique, ni de l'ordre moral dont les lois sont sans doute aussi des lois de la nature. Les phénomènes les plus opposés étant également naturels, également conformes aux lois qui régissent le monde matériel, ce monde est, dans le même temps, soumis à des lois contraires; l'idée même de l'ordre disparoît; il est insensé de rien prévoir, de s'étonner de rien. Un homme s'élance dans les flots: qu'arrivera-t-il? Qui peut le dire? Il enfonce, il est submergé; c'est une loi de la nature. Un homme

↑ Niera-t-on qu'on puisse être certain que les circonstances sont les mêmes? Nous ne le croyons pas, ce seroit aussi choquer trop grossièrement le bon sens. En tous cas, nous attendrons que quelqu'un se dévoue à dire cette absurdité pour y répondre.

marche sur ces mêmes flots; c'est encore une loi de la nature: c'est-à-dire que la nature n'a aucunes lois constantes, ou, en d'autres termes, qu'elle n'a point de lois. Il n'existe que des faits, les uns plus communs, les autres plus rares. Observez donc des faits, mais gardez-vous de les rapporter à des causes permanentes; gardez-vous de croire qu'ils doivent infailliblement se représenter dans les mêmes circonstances. Que dis-je, observez des faits? Si nos sens ne dépendent eux-mêmes, et dans leur organisation et dans leur exercice, d'aucune loi uniforme et certaine, s'il n'existe pas des rapports naturels, invariables entre notre œil, par exemple, et la lumière, entre la lumière et les corps qu'elle découvre à nos regards, les faits eux-mêmes pourroient n'être qu'une continuelle illusion ; à chaque instant de nouvelles lois pourroient, en se manifestant, changer entièrement nos sensations, nos idées, tout notre être. Nous défions les déistes d'éviter ces conséquences, à moins qu'ils n'abandonnent les principes de Rousseau. Quels prodiges d'extravagance on est cependant forcé d'admettre, pour nier les prodiges de la puissance et de la bonté de Dieu !

Ce n'est pas tout encore: de pareilles conséquences auroient nécessairement lieu dans l'ordre moral. Qui oseroit assurer, qui pourroit prouver que nous en connoissons toutes les lois? Sera-ce le déiste, lui qui ne sait pas même à quels signes on les reconnoît ?? Dès lors nul homme n'a le droit

1 Julien avoue en particulier ce miracle de Jésus-Christ. Ap. Cyrill, lib. VI.

Voyez t. I, ch. v. « Les modernes ne reconnoissant, sous le nom « de loi, qu'une règle prescrite à un être moral, c'est-à-dire, intelli«gent, libre et considéré dans ses rapports avec d'autres êtres, bor<< nent conséquemment au seul animal doué de raison, c'est-à-dire à « l'homme, la compétence de la loi naturelle; mais, définissant cette « loi chacun à sa mode, ils l'établissent tous sur des principes si méta

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