Obrázky na stránke
PDF
ePub

DÉFENSE

DE

L'ESSAI SUR L'INDIFFÉRENCE

EN MATIÈRE DE RELIGION

CHAPITRE PREMIER

RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES.

Lorsqu'en traitant un sujet d'une importance universelle on paroît s'écarter des idées communes, de la méthode reçue, un sentiment de défiance s'empare aussitôt des lecteurs. Cette disposition des esprits tient à la nature même; elle est la sauvegarde de la vérité. La société périroit, ou plutôt nulle société ne seroit possible, sans ce principe de stabilité qui défend les doctrines générales contre les innovations des individus. En ce qui touche aux grands intérêts de l'ordre intellectuel et moral, la nouveauté est suspecte aux hommes; ils ne croient pas au pouvoir de créer des vérités *, et cela même est peut

Créer des vérités, ce seroit créer des êtres; car la vérité, dit Bossuet, c'est ce qui est, et les vérités nécessaires, les vérités qui sont le fondement de la société de Dieu et de l'homme, et des hommes entre eux, ont été toujours connues, ce qui n'empêche pas qu'on ne puisse, à certaines époques, en mieux apercevoir le principe, la liaison, les conséquences; et c'est en cela que consiste le progrès de la raison hu

être de toutes les vérités la plus importante; car jamais on ne s'égare que parce qu'on la méconnoît. L'homme ne crée rien; il reçoit, conserve, transmet; sa puissance ne va pas plus loin. Sitôt donc que quelqu'un se présente seul avec ses idées, une juste prévention s'établit d'abord contre lui; on le rappelle à l'antiquité, à l'universalité, comme à la règle immuable du vrai dans toutes les croyances nécessairès; et si sa doctrine soumise à cette épreuve ne se soutient pas, eile est avec raison condamnée

sans retour.

Il est assez singulier peut-être qu'ayant voulu prouver l'excellence et la nécessité de cette règle, on nous l'ait opposée pour défendre une philosophie qui repose sur des principes essentiellement différents; de sorte qu'on a vu les partisans du jugement privé nous combattre par l'autorité dont nous essayons de soutenir les droits, et présupposer par conséquent la vérité de la doctrine même qu'ils attaquoient, tant cette doctrine est profondément enracinée dans notre nature.

Quelque étrange que paroisse la contradiction que j'indique, il est facile de l'expliquer. Les adversaires de l'Essai, sans trop considérer à quel point cela s'accorde avec leur système, conviennent, au moins implicitement, qu'on ne peut sans témérité et même sans folie s'écarter des

maine, qui se développe de la même manière que la raison de l'individu. Bossuet, que nous venons de citer, ne connoissoit pas plus de vérités que l'enfant à qui l'on a enseigné le catéchisme, mais il les connoissoit mieux. Dans les sciences mêmes, que fait-on ? On constate ce qui est, on observe des faits, et ou en cherche la liaison soit avec d'autres faits, soit avec des principes universellement connus: voilà tout. Pour peu qu'on y réfléchisse, on reconnoîtra même que les sciences physiques n'ont point de principes proprement dits; elles se composent uniquement de faits, La raison en est que l'idée de principe renferme nécessairement celle de cause, et qu'il n'y a de véritable cause que dans l'ordre spirituel.

[ocr errors]

sentiments anciens généralement reçus; puis, oubliant que la philosophie de l'École n'est ni ancienne ni adoptée généralement, ils réclament en sa faveur la prescription du temps et le consentement commun; ce qui les conduit à un raisonnement tout à fait extraordinaire. Il s'agit de savoir quel est le criterium de la vérité : selon nous, c'est l'autorité; d'après leur philosophie, c'est l'évidence individuelle. Qui a tort d'eux ou de nous; et que répondentils aux preuves que nous donnons de notre sentiment? « Quelque évidentes, disent-ils, que soient ces preuves à « vos yeux, vous. vous trompez cependant, car l'autorité de tous les philosophes est contre vous. » Nous n'examinons pas le fait en ce moment; mais, qu'il soit exact ou non, nous devons certes des remercîments à ceux qui nous l'opposent. Nous croyons les voir lever le bras pour nous frapper, et point du tout, ils nous tendent la main.

Il n'y a pas lieu de s'en étonner; car, sur quelque point que ce soit, la discussion ramène toujours à l'autorité comme au dernier principe de décision. Malgré soi il en faut venir là, ou renoncer au raisonnement. Le raisonnement, c'est le plaidoyer; mais que sert-il de plaider, s'il n'existe un juge?

Au reste, toutes les personnes qui ont cherché à répandre de nouvelles lumières sur le sujet que nous avons traitė, ont droit à notre reconnoissance. Quelques objections nous ont été proposées publiquement; on nous en a communiqué d'autres par écrit et de vive voix. Il nous sera, du moins nous le pensons, d'autant plus aisé d'y répondre, que presque toujours il suffira de substituer nos véritables sentiments aux opinions qu'on nous a prêtées. Qu'il y ait un peu de notre faute, si quelques lecteurs ne nous ont pas mieux compris, nous sommes très-disposé å en convenir en voulant trop abréger, on néglige quelquefois des développements nécessaires. Nous croyons ce

pendant que les aveux pourroient être réciproques; car, lorsque nous disons formellement le contraire de ce que l'on nous fait dire, l'inadvertance ou l'oubli ne sauroit, à ce qu'il semble, être de notre côté.

On l'a déjà reconnu en partie. Plusieurs reproches qu'on nous adressoit sont désavoués généralement. La réflexion a calmé d'étranges inquiétudes, que nous n'avions pu prėvoir ni prévenir. Certainement il y a eu beaucoup de jugements peu exacts portés sur le second volume de l'Essai, puisqu'ils ont été si divers. Un grand nombre d'évidences individuelles se sont, à l'occasion de cet ouvrage, trouvées en défaut cela ne prouve pas trop en faveur de la philosophie que l'auteur combat; et quoi qu'il en soit de så doctrine au fond, les controverses qu'elle a fait naître suffiroient seules pour montrer la nécessité indispensable d'un tribunal plus élevé que la raison particulière de chaque homme.

:

Pour ne pas interrompre la discussion où nous allons entrer, nous répondrons ici à une question qu'on a faite. A quoi bon chercher, a-t-on dit, de nouvelles preuves de la Religion? Pourquoi ne pas se contenter des anciennes? Pourquoi? parce qu'on a fait des objections nouvelles, parce que l'état des esprits n'est plus le même, parce que l'erreur, dans ses progrès, étant parvenue au fond de l'abîme, il a fallu porter jusque-là le flambeau de la vérité. Comment s'arrêter quand l'ennemi marche? Combattoiton Calvin par les mêmes armes que Luther? Les réponses faites aux calvinistes suffisoient-elles contre les sociniens? Oppose-t-on les mêmes preuves aux déistes et aux hérẻtiques? Les disputes ne commencent qu'au point précis qui est contesté; on ne discute pas ce dont on convient; et quand on a nié toute vérité, il a été nécessaire d'établir le fondement de toute vérité, et de chercher la base de la raison humaine.

Nous discuterons ailleurs cette question avec plus d'é. tendue, en montrant l'importance de notre doctrine. Nous prions seulement de remarquer qu'on auroit pu faire la même demande et adresser le même reproche à tous les Pères, à tous les docteurs, à tous les écrivains ecclésiastiques, depuis l'origine du christianisme; car, en défendant la foi, chacun d'eux ajoutoit, selon ses lumières et selon le sujet particulier qu'il traitoit, aux réflexions de ceux qui l'avoient précédé : on n'auroit pu sans cela combattre aucune des hérésies qui naissoient successivement; et, en ce qui tient à la controverse, la tradition tout entière n'est qu'une suite de réponses nouvelles faites à de nouvelles objections.

Au reste, nulle part nous n'avons dit, jamais nous n'avons pensé que les moyens par lesquels on prouve la vérité de la religion catholique, ne sont pas solides. Et ne sontce pas d'ailleurs des preuves d'autorité? Comment prouvet-on l'authenticité des Livres saints, les miracles et les prophéties, si ce n'est par le témoignage? Nous emploierons nous-mêmes ces preuves dans notre troisième volume; et nous les emploierons avec d'autant plus d'avantage, qu'auparavant nous aurons montré que le témoignage ou l'autorité d'où dépend toute leur force, est la règle nécessaire et le fondement de notre raison.

C'est donc au moins avec une extrême légèreté que quelques personnes, trop promptes à scruter les intentions secrètes, nous ont attribué celle de vouloir rabaisser les apologistes qui nous ont précédé, en créant, par un motif de vanité puérile, un nouveau système de philosophie. Un pareil soupçon ne nous atteint pas, et à Dieu ne plaise qu'on ne puisse expliquer autrement les efforts d'un défenseur de la Religion! Non, non, nous ne sommes pas de ces chercheurs de bruit, si bien nommés par saint Jérôme et par Tertullien, des animaux de gloire. Qu'ils poursui

« PredošláPokračovať »