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« L'évidence véritable ne sauroit nous induire en erreur; « voilà la majeure, dont les preuves paroissent incontes« tables; or, je vois clairement et évidemment telle et telle

propósition, voilà la mineure; et c'est la scule sur la« quelle nos doutes peuvent tomber; mais cette mineure, « souvent disputable, ne regarde que le fait actuel de l'évidence dans une découverte particulière. Le droit de « l'évidence en général, si je puis parler ainsi, subsiste « dans son entier. Malheur à celui qui l'applique mal, et «qui se hâte de dire qu'il voit, quand il ne voit pas en« core. L'évidence n'est le caractère certain de la vérité, « qu'autant qu'il est évident qu'on a pris toutes les précau«tions possibles pour chercher l'évidence par l'évidence « même, c'est-à-dire que l'évidence des moyens doit pro« duire l'évidence de la fin et de la conclusion qui en ré«sulte1. >>

De tout ce discours, ce qu'on peut conclure, c'est, qu'ainsi que Descartes, d'Aguesseau attache la certitude à l'évidence ou aux perceptions claires et distinctes; mais de telle sorte néanmoins que, pour reconnoître la véritable évidence, une autre évidence est nécessaire. En d'autres termes, pour être certain d'une chose, il faut auparavant être certain d'une autre chose. Ce n'est pas résoudre lá difficulté, c'est la reculer. Car, comment nous assurons-nous de la certitude de cette autre chose? D'Aguesseau fait ici précisément comme ces Indiens qui, ne comprenant point que la terre se soutienne sans appui dans l'espace, imaginent qu'elle est portée par un éléphant, et l'éléphant par une tortue, et puis ne s'embarrassent pas de ce qui porte la tortue elle-même.

que la perception est conforme à la vérité; 2° s'il y a un moyen de s'assurer avec certitude que, dans aucune position et dans aucun cas, on ne pourroit s'empêcher d'y acquiescer.

1 OEuvres du chancelier d'Aguesseau, t. XII. p. 226 et 227.

Il est à remarquer, au reste, que malgré toutes ces règles de certitude inventées par les philosophes, la nature les force sans cesse de recourir à une règle plus générale, plus sûre, et dont ils tâchent vainement de s'affranchir, en un mot, à l'autorité. Leibnitz reconnoît qu'il faut un juge de controverse en mathématique aussi bien qu'en theologie*; et Descartes lui-même, voulant prouver que ses principes sont clairs, se fonde, en premier lieu, sur ce qu'il lui est impossible d'en douter, preuve qui ne prouve rien, comme on l'a vu; il ajoute ensuite: « La seconde « raison qui prouve la clarté des principes, est qu'ils ont « été connus de tout temps, et même reçus pour vrais et " indubitables par tous les hommes 1. >>

En résumé, nous avons fait voir que la philosophie dogmatiste ne donne à l'homme aucune règle infaillible de ses jugements; d'où il suit qu'il ne peut jamais être certain de leur vérité, ni dès lors rien affirmer, sans se mettre par là même en contradiction avec une philosophie qui n'admet comme vrai que ce qui est démontré à la raison. Tout cartésien est donc ou sceptique ou inconséquent. Il reste à faire voir comment ce principe de scepticisme devient une cause d'erreur.

Le doute est pénible à l'homme, et si opposé à sa nature, qu'il n'y eut jamais, comme l'observe Pascal, de pyrrhonien effectif et parfait. Il a beau s'armer contre

Leibnitz fait

C'est dans une lettre adressée au savant Molanus, que cet aveu. Voici le passage entier : « Je croyois fermement, monsieur, << que ma dernière lettre seroit capable de faire voir à M. Eckardus, <<< en quoi consiste l'imperfection de la méthode dont il s'est servi. Mais << j'ai appris plusieurs choses par cette dispute, et entre autres celle«ci que je ne croyois pas c'est qu'il faut un juge de controverse en « mathématiques aussi bien qu'en théologie. » Oper., t. III, p. 649. Édit. Dutens.

Les Principes de la philosophie, etc. Préface.

toutes les croyances, elles le subjuguent malgré lui, et son intelligence, qui s'éteindroit s'il pouvoit arriver à un doute universel, se conserve par la foi; foi naturelle, foi indestructible, qui triomphe de tous les efforts d'une raison égarée par l'orgueil.

Mais cet orgueil, qui cède si difficilement l'empire, veut au moins que, forcé de croire, l'homme demeure juge de la vérité; et il n'est point de philosophie qui ne suppose que chaque esprit se suffit à soi-même, et doit trouver en soi la règle du vrai. Abandonné dès lors à ses ténèbres et à sa foiblesse, sans que nul ait le droit de le redresser, il se contemple et s'admire dans sa triste indépendance. Sans guide comme sans maitre, il s'avance dans les régions intellectuelles, prononçant en dernier ressort sur tout ce qu'il rencontre, et se créant à lui-même les lois qui le doivent régir, ou plutôt ne reconnoissant de loi, de certitude, de vérité, que ses pensées du moment et ses fugitives perceptions.

Considérez de quelle manière l'erreur nait et se conserve. Qu'est-elle d'abord? Le jugement d'un homme qui croit en soi; l'acquiescement de l'esprit à ce qui paroît vrai, sans s'être assuré qu'il paroît également vrai à d'autres esprits. Qu'est-elle ensuite, quand l'opposition devroit au moins produire une juste et salutaire défiance? L'obstination à en croire sa raison, de préférence à une raison plus générale. Il n'existeroit nulle erreur dans le monde, si, toujours persuadé de la foiblesse de son jugement, l'homme n'acquiesçoit jamais complétement à son seul témoignage, et ne refusoit point de rectifier ses pensées sur celles d'autrui, avec une confiance proportionnée à l'autorité qui les contredit.

Les fausses opinions, les fausses religions ne se sont établies et perpétuées que par une semblable révolte contre l'autorité générale; que parce qu'un homme premièrement

et ensuite d'autres hommes, ont préféré leur raison particulière à la raison de tous, à la raison du genre humain dans les choses humaines, et à la raison de Dieu dans les choses divines. Qu'est-ce qu'un hérétique? C'est un homme qui se sépare de la société chrétienne, de l'Église, et rcnonce à la foi commune *. Qu'est-ce qu'un déiste, un athée? C'est un homme qui se sépare de la société humaine, et renonce au sens commun. Mais si chacun de ces hommes a en soi une règle infaillible de ses jugements, si vous leur dites que c'est leur raison particulière qui doit déterminer leurs croyances, de quel droit prétendrez-vous qu'ils ont mal jugé? de quel droit les condamnerez-vous? de quel droit exigerez-vous qu'ils soumettent leur raison à d'autres raisons qui ne sont pas plus infaillibles que la leur? Soyez au moins conséquents: ou ils sont juges de la vérité, ou ils ne le sont point; s'ils sont juges de la vérité au même titre que vous et que tout autre homme, ni vous ni aucun autre homme ne peut leur faire une obligation de déférer à son jugement; s'ils ne sont pas juges de la vérité en dernier ressort, dites-le donc nettement, et renoncez à votre philosophie individuelle, pour revenir à la philosophie du genre humain, au sens commun.

La règle des cartésiens étant admise, nul n'a le droit de dire absolument: Ceci est vrai, cela est faux; mais seulement, ceci est vrui, cela est faux pour moi; car un autre peut très-bien juger faux ce que nous jugeons vrai, et réciproquement. Or, en ce cas, il n'y a pas de motif pour que mon jugement prévale sur celui d'autrui, ni celui

D. Qu'appelez-vous des hérésies?

R. De mauvaises doctrines où l'on préfère opiniàtrément des raisonnements humains à ce que Dieu a révélé, et son sens particulier au jugement de l'Église. Bossuet, Catéchisme de Meaux, leçon XIV,

art. iv.

d'autrui sur le mien; il n'y en a pas non plus qui doivent m'empêcher d'affirmer comme vrai ce qui me paroît vrai, dès qu'on ne reconnoît point de tribunal au-dessus de la raison particulière. J'affirmerai donc, si je suis conséquent, la vérité de mon jugement; un autre affirmera de même la vérité du jugement contraire, et l'on aura autant de vérités que de têtes: c'est-à-dire qu'en toutes choses, tout sera vrai et tout sera faux, comme tout est faux et tout est vrai en religion, pour les hérétiques, qui, rejetant l'autorité de l'Église, ne reconnoissent d'autre règle que leur raison, ou l'Ecriture interprétée par leur raison.

Si, pour sortir de cet embarras, on a recours au con-* sentement commun, ou à l'autorité de la raison humaine, de deux choses l'une, ou on restera personnellement juge de ce qu'elle prononce, et alors on retombe dans les mêmes inconvénients; ou il faudra obéir à ses décisions et croire, sur son témoignage, que l'on perçoive clairement ou non; et alors c'est abandonner entièrement la philosophie cartésienne.

Voulez-vous, au contraire, la suivre rigoureusement, l'adopter tout entière avec ses principes et ses conséquences, d'abord il vous sera impossible d'éviter le sceplicisme; ensuite, vous serez contraint de laisser chacun penser comme il peut et comme il veut, car enfin chacun a, comme vous, sa raison qui est sa règle. En verlit de cette règle, l'erreur aura le même fondement et les mêmes droits que la vérité; on lui devra le même respect, la même croyance, pourvu qu'elle soit assez profonde pour obscurcir complétement l'esprit *. En vain tous les hommes

Bayle a fort bien vu cette conséquence du principe fondamental de la philosophic individuelle. « Que croyez-vous qu'il arrive à la vérité, « dit-il, lorsqu'à notre égard elle est revêtue des apparences du men<< songe, ou au mensonge, lorsqu'à notre égard il est revêtu des appa

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