Obrázky na stránke
PDF
ePub

comment pourroit-il déduire du petit nombre d'effets connus de lui l'existence d'aucune loi générale, et par conséquent l'existence de l'ordre, ou au moins de tel ordre déterminé? Pense-t-on que le sauvage de l'Aveyron eût seulement l'idée de loi? Un être humain, séparé de la société depuis l'enfance, s'élèveroit-il jamais à cette idée? Et, quand il seroit capable de réfléchir, d'observer, où le conduiroient ses observations bornées et solitaires? Qu'en pourroit-il conclure? Quelle assurance auroit-il même de leur exactitude, et de la justesse des conséquences que sa raison en déduiroit? Et, en supposant qu'aucune erreur n'eût, en aucune occasion, abusé son esprit ou ses sens, et qu'il pût en être certain, d'où tireroit-il la certitude que les phénomènes qui l'ont frappé sont invariables, qu'ils ont toujours et partout également frappé les autres hommes? Si l'expérience d'autrui ne se joint à la sienne, il nè connoîtra donc que de simples faits; il ne pourra former tout au plus que des conjectures sur la permanence des causes qui les produisent. En effet qu'on indique une loi de la nature dont la connoissance certaine ne soit pas, plus ou moins immédiatement, le résultat de l'expérience universelle? Qu'a fait Newton lui-même que soumettre au calcul la loi universellement connue de la pesanteur? et que sont toutes les sciences que le résultat de l'expérience générale sur l'objet particulier de chacune d'elles?

Nous ne connoissons donc les lois et l'ordre de la nature que par l'expérience générale ; nous ne pouvons les connoître que par elle; et cet ordre et ces lois n'ont pas d'autre preuve que le consentement commun, ou l'expérience uniforme de tous les temps et de tous les lieux, attestée par le témoignage universel.

C'est donc uniquement par ce témoignage, par le consentement commun, que nous savons avec certitude qu'un

[ocr errors]

phénomène est naturel, ou conforme aux lois, à l'ordre constant de la nature. Quand donc ce même témoignage atteste qu'un fait, un phénomène quelconque, est un changement sensible dans l'ordre de la nature, une exception réelle et visible à ses lois, la réalité de ce changement est aussi certaine qu'il existe un ordre et des lois de la nature. Si vous refusez de croire sur ce point le témoignage général des hommes, vous ne pouvez raisonnablement le croire sur aucun point; vous ne pouvez plus, je ne dis pas seulement connoître l'ordre de la nature et ses lois, mais savoir s'il y a des lois et un ordre réel dans la nature. Vous dites au genre humain : « Je te croirai quand tu affirmeras «qu'un fait est conforme aux lois de la nature, mais je «ne te croirai point quand tu affirmeras qu'un autre fait «y forme une exception visible. » En d'autres termes : «Je crois que tu connois les lois de la nature, et je crois « en même temps que tu ne les connois point. » Car prononcer que tel phénomène est conforme à telle loi, ou qu'il y est opposé, sont deux jugements de même genre, et qui dépendent du même degré identique de connois sance. Être opposé, c'est n'être pas conforme; être conforme, c'est n'être pas opposé. Comment pourroit-on affirmer l'un, si l'on ne pouvoit pas affirmer l'autre? Et que penseroit-on d'un homme qui diroit: « Je sais avec certi« tude qu'il est conforme aux lois physiques du monde « que la terre se meuve perpétuellement autour du soleil ; <«< mais si la terre s'arrêtoit, j'ignore si ce seroit une excep «tion réelle à ces lois ?

Supposera-t-on une loi inconnue qui, dans ce cas et les cas semblables, opposée aux lois ordinaires, produit des effets opposés ? Je demanderai d'abord sur quoi repose cette supposition, et ce que l'on peut conclure d'une supposition non-seulement gratuite, mais absurde, comme je l'ai montré précédemment.

En second lieu, qu'on réponde: ces lois opposées seroient-elles également conformes à l'ordre, également naturelles?

Si on l'affirme, voilà deux ordres, deux natures opposés, c'est-à-dire qu'il n'existe ni ordre, ni nature, et que l'univers, régi par des lois qui se combattent, obéit au hasard à ces lois contraires. C'est le chaos de l'athée.

Si l'on nie qu'une de ces lois opposées soit naturelle, qu'on explique ce que ce peut être qu'une loi qui n'est pas naturelle, et quel sens on attache au mot de loi.·

Au fond, ce seroit clairement avouer le miracle qu'on refuse d'admettre; car une loi connue seulement par quelques faits se réduit à ces faits mêmes; et dire que la loi n'est pas naturelle, c'est convenir que ces faits sont une exception réelle et visible aux lois de la nature.

Donc, à moins de nier qu'il existe des lois de la nature, il faut reconnoître la raison commune fondée sur l'expérience générale, c'est-à-dire le sens commun, pour juge de ce qui est conforme ou contraire à ces lois; il faut le reconnoître pour juge infaillible, sans quoi l'existence même de l'ordre seroit douteuse.

Or, qu'on demande à tous les hommes s'il est conforme aux lois de la nature que des lépreux, des aveugles, des boiteux, des sourds, soient guéris instantanément par quelques prières; s'il est naturel que ces paroles, Lèvetoi et marche! rendent l'usage de ses membres à un paralytique de trente-huit ans ; qu'un mort ressuscite à ce seul mot, Sors du tombeau ! J'adjure tout homme sensé et de bonne foi de me dire ce que répondra le genre hu

main.

Mais qu'est-il besoin de l'interroger ? et qui ne sait que tous les peuples, dans tous les temps, ont cru aux faits miraculeux, qu'ils ont été persuadés que le souverain Être manifestoit quelquefois sa puissance dans les faits particu

liers? Et puisque cette croyance est universelle, donc elle est vraie: il n'en faut pas d'autre preuve, et nous pouvions, sans affoiblir la cause du christianisme, nous dispenser de combattre par le raisonnement les sophismes de Fincrédulité. Le témoignage de tous les siècles et de toutes les nations prouve invinciblement qu'il y a de vrais miracles, comme il prouve qu'il existe une vraie religion; et de même qu'on discerne aisément la vraie religion des religions fausses, par sa perpétuité et son universalité; on discerne aisément les vrais des faux miracles, en considėrant ce qui fut toujours et partout reconnu pour une exception réelle et visible aux lois de la nature1; et c'est ainsi que toutes les vérités unies dans leur principe, qui est la raison éternelle et infinie de Dieu, nous sont manifestées avec certitude par le témoignage infaillible de la raison une, perpétuelle et universelle du genre hu

main.

Pour appliquer maintenant ce qui vient d'être dit aux prodiges opérés par Jésus-Christ et par les Apôtres: estil certain que les faits rapportés dans l'Évangile soient vrais? est-il certain que ces faits soient miraculeux? Voilà les deux questions qui nous restent à examiner.

Déjà nous avons prouvé généralement la vérité des faits évangéliques; mais nous voulons encore montrer combien il est impossible de révoquer en doute aucun de ceux dont il s'agit ici particulièrement.

Presque tout ce que raconte l'Évangile s'est passé devant une multitude de témoins, qui venoient de toutes parts écouter les enseignements de Jésus-Christ, et contempler

1 Rousseau avoue que plusieurs des miracles rapportés dans la Bible paroissent être dans ce cas. Lettres écrites de la Montagne, p. 114.

[ocr errors][merged small]

ses œuvres. Ce n'étoit point dans les ténèbres ni dans des lieux solitaires qu'il manifestoit sa puissance, mais au grand jour, au milieu du peuple, et dans le temple même, sous les yeux des docteurs de la loi. Sa vie étoit publique; il ne cachoit pas plus ses actions que sa doctrine1, et ses actions n'étoient qu'une suite continue de prodiges. Qui donc auroit pu se tromper sur des faits si nombreux, si éclatants? Et en supposant même dans quelques hommes ou l'erreur ou l'imposture, auroient-ils donc pu abuser un peuple entier pendant trois ans, lui faire croire qu'il voyoit chaque jour ce qu'il ne voyoit pas, persuader à des aveugles qu'ils avoient recouvré la vue, à des sourds qu'ils entendoient, à des paralytiques qu'ils marchoient, à des lépreux que leur lèpre avoit disparu? Quel prodige plus étonnant qu'une crédulité si profonde et si générale !

Car, ni pendant la vie de Jésus-Christ, ni après sa mort, personne ne contesta la vérité d'aucun de ces faits. Ils ont toujours passé pour constants parmi les Juifs 2. Le Talmud et tous les rabbins les avouent expressément3. Il est dit

Ego palàm locutus sum mundo; ego semper docui in synagogâ et in templo, quo omnes Judæi conveniunt et in occulto locutus sum nihil. Joann., xvin, 20.

2 Virtutes autem facturum (Christum) à Patre, Esaias dicit: Ecce Deus noster judicium retribuit; ipse veniet, et salvos faciet nos. Tunc infirmi curabuntur, et oculi cæcorum videbunt, et aures surdorum audient, et claudus saliet sicut cervus, et multorum lingua solventur, et cætera quæ operatum Christum nec vos diffitemini. Tertullian. adv. Judæos, cap. x, Vid. et. S. Chrysost, Exposit. in Ps. vii, cap. v, n. 1. 5 Talmud., tract. Sanhedr. fol. 43, 104 et 107. Nizzachon, ap. Wagensell. Tela ignea Satan, t. II, p. 54. Acta S. Pion. ap. Bollard. 1a die mens. februar. Herbau, Juif, dans sa dispute avec saint Grégence, dit que les Juifs ont fait mourir Jésus, parce que c'étoit un magicien, et qu'il guérissoit les malades le jour du sabbat, ce que la loi défendoit. Biblioth. Patr., t. I, p. 198 et 265, gr. lat. On voit dans saint Isidore de Séville que, lorsqu'on alléguoit les miracles de Jésus

[ocr errors]
« PredošláPokračovať »