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Juvénal, originaire d'Aquinum au pays des Volsques, eut pour père, d'autres disent pour protecteur, un riche affranchi, et se livra, jusqu'à l'âge d'environ quarante ans, à la rhétorique et à l'art déclamatoire, non point qu'il se destinât à l'école ou au barreau, mais par goût et par prédilection. On convient assez généralement que, sans jouir d'une grande fortune, il vécut au moins dans cette heureuse médiocrité à laquelle les gens de lettres devraient borner leurs vœux. Ce fut sous Domitien qu'il commença à cultiver la poésie. Il débuta par quelques vers satiriques contre l'histrion Pâris, favori de l'empereur, et contre un poëte protégé par cet histrion. Cependant il se garda bien, pour le moment, de donner la moindre publicité à ses premiers essais, et se contenta de poursuivre, en silence, sa dangereuse carrière. Ce n'est que longtemps après qu'il osa, en présence d'un petit nombre d'amis, hasarder la lecture de quelques fragments de son ouvrage. Adrien venait de prendre les rênes de l'empire: Rome avait respiré sous Nerva, et recouvré, sous Trajan, une partie de son ancienne gloire : on commençait à s'expliquer plus librement sur les règnes cruels de Néron et de Domitien. Dans ces circonstances, Juvénal ne craint plus de suivre l'impulsion donnée aux esprits: il la seconde au contraire, ou plutôt il la dirige. Ses Satires sont lues publiquement, applaudies avec transport, recueillies avec avidité. Malheureusement les traits qu'il avait lancés contre l'histrion Paris, s'appliquaient ou paraissaient s'appliquer

non moins directement à un autre affranchi, alors en faveur à la cour d'Adrien. L'histoire ne le nomme pas. On suppose que ce pouvait être Antinoüs. Quoiqu'il en soit, Juvénal fut soupçonné d'avoir à dessein, en parlant du temps passé, fait allusion au temps présent, et l'empereur, sous prétexte de l'élever à un emploi honorable, l'envoya, à l'âge de quatrevingts ans, commander une cohorte en Égypte. Il y mourut bientôt de dégoûts et d'ennuis. Cette promotion d'un poëte aussi âgé à un commandement militaire, était une espèce de plaisanterie plus que satirique par laquelle l'empereur se vengeait du fameux vers:

Præfectos Pelopea facit, Philomela Tribunos.

Selon Dodwel, la satire où Juvénal raconte la querelle sanglante suscitée par la superstition, entre les peuples de Tentyre et d'Ombos, fut écrite dans le lieu même de son exil. Selon Saumaise, le poëte ne rapporte cette aventure que comme un fait dont il avait pu être témoin dans un voyage précédent. Ceux qui prétendent que c'est sous Domitien que Juvénal fut exilé, se trompent. Domitien se serait vengé plus cruellement de l'injure qu'on eût osé faire à son favori: d'ailleurs, nous trouverons plus d'une fois, en éclaircissant le texte de notre auteur, l'occasion de démontrer que cette assertion est fausse.

PRÉFACE.

On parle peu de Juvénal; on le connaît moins encore; et, sous le rapport même de la satire, Horace lui est préféré par le grand nombre. La raison en est facile à donner. Une suite de tableaux odieux ; des vices effroyables dont on prendrait les peintures, toutes fidèles qu'elles sont, pour autant d'hyperboles outrées; des maximes austères exprimées sans ménagement; des locutions énergiques et concises; des allusions fréquentes à des usages oubliés; par-dessus tout cela, le caractère du commun des hommes naturellement enclins à préférer le badinage élégant d'un écrivain enjoué, au ton brusque et chagrin d'un moraliste sévère, toutes ces causes, sans nuire au mérite réel des satires de Juvénal, ont dù contribuer à en rendre la lecture plus difficile et plus rare. Celles d'Horace, par des raisons contraires, n'ont pu manquer de se concilier un plus grand nombre de lecteurs et de partisans. Aussi, dans ce genre même, auquel il ne doit peutêtre que la moindre partie de sa gloire, a-t-il été presque de tout temps l'objet d'une prédilection, je ne dirai pas aveugle, mais du moins excessive à quelques égards. Toujours envisagé sous le rapport le plus favorable, toujours applaudi des uns par sentiment, des autres par convention, il n'a cessé à aucune époque de réunir tous les suffrages; recherché après sa mort des savants et des gens du monde, comme il l'avait été pendant sa vie, de Brutus et d'Auguste. L'est en vain que dans l'espace de dix-huit siècles, quelques voix se sont élevées en faveur de Juvénal; on ne les a pas

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entendues. Aujourd'hui même on tenterait peut-être vainement de réclamer pour lui une place à côté de son heureux devancier. La palme tout entière est dévolue au poëte de Tivoli, et tant que les voix se compteront au lieu de se peser, il en restera seul en possession.

Ce n'est pas que, dans ces derniers temps, on n'ait renouvelé la question de la prééminence entre ces deux grands satiriques. Dusaulx, dans la préface qu'il a mise en tête de sa traduction, Laharpe, dans son Cours de littérature, se sont déclarés avec un grand appareil d'arguments, l'un pour l'ennemi de Domitien, l'autre pour le favori d'Auguste. Il serait difficile, en reprenant la discussion sur les mêmes bases, de rien ajouter à ce qu'ils ont dit; mais ont-ils envisagé la question comme ils devaient le faire? et faut-il de toute nécessité se prononcer pour Horace contre Juvénal, ou pour Juvénal contre Horace? Non. Ces deux poëtes, pour me servir des expressions de Dusaulx lui-même, se sont partagé le vaste champ de la satire, et fidèle au but qu'il se proposait, chacun d'eux, non moins inspiré par les circonstances que par son caractère particulier, a fourni sa carrière avec le même succès, quoiqu'avec des moyens quelquefois diamétralement opposés. La satire, en effet, dont le but est de montrer la difformité du mal moral, se partage, ainsi que le mal moral lui-même, en deux grandes divisions, suivant qu'elle attaque les erreurs ou les vices, les défauts ou les crimes des hommes. Se propose-t-elle de n'attaquer que leurs défauts et leurs erreurs? elle est vive, enjouée, gracieuse. Prétend-elle signaler leurs vices et poursuivre leurs crimes? elle est grave, sérieuse, éloquente. Horace la considère sous le premier point de vue Juvénal sous le second de là leur manière différente de là l'impossibilité de les assujétir à un parallèle rigoureux. L'un, dans son style badin et familier, effleurant les préceptes de la philosophie, se contente d'attaquer de légers travers ou d'absurdes préjugés, et croit suffisant, pour les détruire, de les tourner

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en ridicule. L'autre, prenant un ton plus grave, et se proposant surtout de corriger les mœurs, s'attache à la poursuite du vice, et dans sa noble indignation, ne trouve pas de remède trop violent contre cette gangrène de la société. Le premier, dont l'unique objet est de plaire, discute en riant et se joue autour du cœur. Le second, qui ne veut qu'émouvoir, déclame avec force et pénètre au fond de l'âme. Horace jette le sel à pleines mains; Juvénal répand le fiel à torrent. L'un, enfin, est toujours calme, toujours égal; l'autre toujours ardent, toujours emporté. Auquel donnerons-nous la préférence? ni à l'un ni à l'autre. Nous n'examinons point ici leur mérite sous le rapport des sujets qu'ils ont traités; nous n'examinons point lequel s'est proposé un but plus moral ou plus utile; enfin, ce ne sont pas les genres, mais les styles, les moyens d'exécution que nous voulons comparer. Or, sous ce point de vue, nous n'apercevons aucun motif de préférence. Des genres opposés ne comportaient pas les mêmes moyens, et il serait aussi injuste d'exiger de Juvénal les grâces et la légèreté d'Horace, qu'il le serait d'exiger d'Horace le ton mâle et sublime de Juvénal. Pourvu que le style d'un écrivain soit en harmonie avec son sujet; pourvu que, dans son genre, il approche autant qu'il est possible de la perfection, on n'a point de reproche à lui faire; on n'a que des éloges à lui donner. Anacréon marche l'égal de Pindare; l'Arioste ne le cède pas à Milton, et le Lutrin se place à côté de la Henriade. Considérons donc la question sous ce rapport, et voyons comment nos deux satiriques ont exécuté chacun le plan qu'ils se sont fait.

La tâche particulière que je me suis imposée de traduire Juvénal, indique assez que je ne le regarde pas comme un auteur médiocre. Je reconnais ses défauts; j'avoue une partie des reproches qu'on lui fait; moi-même j'oserai lui en adresser quelques-uns; mais si j'en use aussi librement avec un auteur que je révère, je demanderai au moins la permis

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