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SATIRES.

DISCOURS

SUR LA SATIRE (1).

QUAND je donnai la premiere fois mes satires au

public, je m'étois bien préparé au tumulte que l'im= pression de mon livre a excité sur le Parnasse. Je savois que la nation des poëtes, et sur-tout des mauvais poëtes (2), est une nation farouche qui prend fen aisément, et que ces esprits avides de louanges ne digéreroient pas facilement une raillerie, quelque douce qu'elle pût être. Aussi oserai-je dire, à mon avantage, que j'ai regardé avec des yeux assez stoïques les libelles diffamatoires qu'on a publiés contre moi. Quelques calomnies dont on ait voulu me noircir, quelques faux bruits qu'on ait şemés de ma personne, j'ai pardonné sans peine ces petites vengeances au déplaisir d'un auteur irrité qui se voyoit attaqué par l'endroit le plus sensible d'un poëte, je veux dire par ses ouvrages.

Mais j'avoue que j'ai été un peu surpris du chagrin bizarre de certains lecteurs, qui, au lieu de se divertir d'une querelle du Parnasse dont ils pouvoient être spectateurs indifférents, ont mieux aimé prendre parti et s'affliger avec les ridicules, que de se réjouir avec

(1) Ce discours parut pour la premiere fois en 1666, avec la satire IX.

(2) Ceci regarde particulièrement Cotin, qui avoit publié une satire contre l'auteur.

les honnêtes gens. C'est pour les consoler que j'ai composé ma neuvieme satire, où je pense avoir mon= tré assez clairement que, sans blesser l'état ni sa 'conscience, on peut trouver de méchants vers méchants, et s'ennuyer de plein droit à la lecture d'un sot livre. Mais puisque ces messieurs ont parlé de la liberté que je me suis donnée de nommer, comme d'un attentat inoui et sans exemples, et que des exemples ne se peuvent pas mettre en rimes, il est bon d'en dire ici un mot, pour les instruire d'une chose qu'eux seuls veulent ignorer, et leur faire voir qu'en comparaison de tous mes confreres les satiriques j'ai été un poëte fort retenu.

Et pour commencer par Lucilius, inventeur de la satire, quelle liberté, ou plutôt quelle licence ne s'estil point donnée dans ses ouvrages? Ce n'étoient point seulement des poëtes et des auteurs qu'il attaquoit; c'étoient des gens de la premiere qualité de Rome; c'étoient des personnes consulaires. Cependant Scipion et Lélius ne jugerent pas ce poëte, tout déterminé rieur qu'il étoit, indigne de leur amitié: et vraisemblablement, dans les occasions, ils ne lui refuserent pas leurs conseils sur ses écrits, non plus qu'à Térence. Ils ne s'aviserent point de prendre le parti de Lupus et de Métellus, qu'il avoit joués dans ses satires; et ils ne crurent pas lui donner rien du leur en lui abandonnant tous les ridicules de la répu blique :

Num Lælius, et qui

Duxit ab oppressa meritum Carthagine nomen,
Ingenio offensi, aut læso doluere Metello,

Famosisve Lupo cooperto versibus ?!

Horat. sat. I, lib. II, u. 65.

En effet Lucilius n'épargnoit ni petits ni grands +

et souvent des nobles et des patriciens il descendoit jusqu'à la lie du peuple :

Primores populi arripuit, populumque tributim,

Ibidem.

On me dira que Lucilius vivoit dans une république, où ces sortes de libertés peuvent être permises. Voyons donc Horace, qui vivoit sous un empereur, dans les commencements d'une monarchie, où il est bien plus dangereux de rire qu'en un autre temps. Qui ne nomme-t-il point dans ses satires? et Fabius le grand causeur, et Tigellius le fantasque, et Nasi diénus le ridicule, et Nomentanus le débauché, et tout ce qui vient au bout de sa plume. On me répon dra que ce sont des noms supposés. Oh la belle réponse! comme si ceux qu'il attaque n'étoient pas des gens connus d'ailleurs: comme si l'on ne savoit pas que Fabius étoit un chevalier romain qui avoit composé un livre de droit; que Tigellius fut en son temps un musicien chéri d'Auguste; que Nasidiénus Rufus étoit un ridicule célebre dans Rome; que Cassius Nomen tanus étoit un des plus fameux débauchés de l'Italie. Certainement il faut que ceux qui parlent de la sorte n'aient pas fort lu les anciens, et ne soient pas fort instruits des affaires de la cour d'Auguste. Horace ne se contente pas d'appeler les gens par leur nom; il a si peur qu'on ne les méconnoisse, qu'il a soin de rapporter jusqu'à leur surnom, jusqu'au métier qu'ils faisoient, jusqu'aux charges qu'ils avoient exercées. Voyez, par exemple, comme il parle d'Aufidius Luse cus, préteur de Fondi:

Fundos, Aufidio Lusco prætore, libenter
Liuquimus, insani ridentes præmia scribæ,
Prætextam, et latum clavum, etc.

Sat. V, lib. I, v. 35.

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