Obrázky na stránke
PDF
ePub
[ocr errors]

« c'est ce desir qui m'a mis la plume à la main, expliquez comment il m'est venu si tard, ou « pourquoi j'ai tardé si long-temps à le satisfaire.) « On l'a vu invectiver contre la science qu'il cul«<tivoit (cela prouve que je n'imite pas vos gens « de lettres, et que dans mes écrits l'intérêt de la « vérité marche avant le mien), préconiser l'ex«cellence de l'Évangile (toujours et avec le plus « vrai zèle) dont il détruisoit les dogmes (non, «< mais j'en prêchois la charité, bien détruite par « les prêtres), peindre la beauté des vertus qu'il éteignoit dans l'ame de ses lecteurs. (Ames hon« nêtes, est-il vrai que j'éteins en vous l'amour des vertus?)»

[ocr errors]

«Il s'est fait le précepteur du genre humain « pour le tromper, le moniteur public pour égarer « tout le monde, l'oracle du siècle pour achever «de le perdre. (Je viens d'examiner comment « vous avez prouvé tout cela.) Dans un ouvrage << sur l'inégalité des conditions (pourquoi des con«<ditions? ce n'est là ni mon sujet ni mon titre), «< il avoit rabaissé l'homme jusqu'au rang des bê«tes. (Lequel de nous deux l'élève ou l'abaisse, dans l'alternative d'être bête ou méchant?) Dans « une autre prodction plus récente il avoit insi« nué le poison de la volupté. (Eh! que ne puis-je « aux horreurs de la débauche substituer le charme

[ocr errors]

<< de la volupté! mais rassurez-vous, monseigneur,

«

[ocr errors]

" vos prêtres sont à l'épreuve de l'Héloïse, ils ont « pour préservatif l'Aloïsia.) Dans celui-ci, il s'empare des premiers moments de l'homme afin d'é

tablir l'empire de l'irréligion. (Cette imputation « a déja été examinée.) »

Voilà, monseigneur, comment vous me traitez, et bien plus cruellement encore, moi que vous ne connoissez point, et que vous ne jugez que sur des ouï-dire. Est-ce donc là la morale de cet Évangile dont vous vous portez pour le défenseur? Accordons que vous voulez préserver votre troupeau du poison de mon livre: pourquoi des personnalités contre l'auteur? J'ignore quel effet vous attendez d'une conduite si peu chrétienne; mais je sais que défendre sa religion par de telles c'est la rendre fort suspecte aux gens de

armes, bien.

Cependant c'est moi que vous appelez téméraire. Eh! comment ai-je mérité ce nom, en ne proposant que des doutes, et même avec tant de réserve; en n'avançant que des raisons, et même avec tant de respect; en n'attaquant personne, en ne nommant personne? Et vous, monseigneur, comment osez-vous traiter ainsi celui dont vous parlez avec si peu de justice et de bienséance, avec si peu d'égard, avec tant de légèreté?

Vous me traitez d'impie! et de quelle impiété pouvez-vous m'accuser, moi qui jamais n'ai parlé

de l'Être suprême que pour lui rendre la gloire qui lui est due, ni du prochain que pour porter tout le monde à l'aimer? Les impies sont ceux qui profanent indignement la cause de Dieu en la faisant servir aux passions des hommes. Les impies sont ceux qui, s'osant porter pour interprètes de la Divinité, pour arbitres entre elle et les hommes, exigent pour eux-mêmes les honneurs qui lui sont dus. Les impies sont ceux qui s'arrogent le droit d'exercer le pouvoir de Dieu sur la terre, et veulent ouvrir et fermer le ciel à leur gré. Les impies sont ceux qui font lire des libelles dans les églises. A cette idée horrible tout mon sang s'allume, et des larmes d'indignation coulent de mes yeux. Prêtres du Dieu de paix, vous lui rendrez compte un jour, n'en doutez pas, de l'usage que vous osez faire de sa maison.

Vous me traitez d'imposteur! et pourquoi? Dans votre manière de penser, j'erre; mais où est mon imposture? Raisonner et se tromper, est-ce en imposer? Un sophiste même qui trompe sans se tromper n'est pas un imposteur encore, tant qu'il se borne à l'autorité de la raison, quoiqu'il en abuse. Un imposteur veut être cru sur sa parole, il veut lui-même faire autorité. Un imposteur est un fourbe qui veut en imposer aux autres pour son profit ; et où est, je vous prie, mon profit dans cette affaire? Les imposteurs sont, selon Ulpien,

ceux qui font des prestiges, des imprécations, des exorcismes: or, assurément je n'ai jamais rien fait de tout cela.

Que vous discourez à votre aise, vous autres hommes constitués en dignité! Ne reconnoissant de droits que les vôtres, ni de lois que celles que vous imposez, loin de vous faire un devoir d'être justes, vous ne vous croyez pas même obligés d'être humains. Vous accablez fièrement le foible sans répondre de vos iniquités à personne: les outrages ne vous coûtent pas plus que les violences; sur les moindres convenances d'intérêt ou d'état, vous nous balayez devant vous comme la poussière. Les uns décrétent et brûlent, les autres diffament et déshonorent, sans droit, sans raison, sans mépris, même sans colère, uniquement parceque cela les arrange et que l'infortuné se trouve sur leur chemin. Quand vous nous insultez impunément, il ne nous est pas même permis de nous plaindre; et si nous montrons notre innocence et vos torts, on nous accuse encore de vous manquer de respect.

Monseigneur, vous m'avez insulté publiquement; je viens de prouver que vous m'avez calomnié. Si vous étiez un particulier comme moi, que je pusse vous citer devant un tribunal équitable, et que nous y comparussions tous deux, moi avec mon livre, et vous avec votre mande

ment, vous y seriez certainement déclaré coupable et condamné à me faire une réparation aussi publique que l'offense l'a été. Mais vous tenez un rang où l'on est dispensé d'être juste ; et je ne suis rien. Cependant vous qui professez l'Évangile, vous, prélat fait pour apprendre aux autres leur devoir, vous savez le vôtre en pareil cas. Pour moi, j'ai fait le mien, je n'ai plus rien à vous dire, et je me tais. Daignez, monseigneur, agréer mon profond

respect.

J. J. ROUSSEAU.

Motiers, le 18 novembre 1762.

« PredošláPokračovať »