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Ils allèrent jusqu'à s'armer de pistolets au moment de se réunir en conseil général, menaçant de casser la tête au premier qui consentiroit à entendre seulement la lecture de ce prononcé, où ils ne voyoient autre chose que la loi de l'étranger, qu'on vouloit leur faire subir. Ils avoient réussi d'un autre côté à intéresser l'Angleterre en leur faveur, et Voltaire lui-même, en prenant intérêt à leur cause, y ajoutoit tout le poids de son influence personnelle. Enfin, renonçant à l'emploi de la force, le Sénat entama avec les citoyens des négociations qui amenèrent le traité de 1768, nommé Édit de pacification. Par cet édit, le Conseil général obtint l'élection de la moitié des membres du petit Conseil, et le droit appelé de réélection, c'est-à-dire de pouvoir, chaque année, exclure du Sénat quatre de ses membres, lesquels, après une seconde exclusion de ce genre, n'y pouvoient plus rentrer. Ce droit fut sur-tout accordé au Conseil général, pour balancer l'abus du droit négatif, sur lequel on ne stipula rien.

« Deux ans après, les dissensions recommencèrent, et cette fois ce furent les prétentions des natifs qui les firent naître. Mais comme, dès ce moment, il n'est plus question de Genève dans aucun écrit de Rousseau, ni dans ses Lettres, ces dissensions deviennent étrangères à notre objet. On sait trop bien d'ailleurs quel en fut le triste et dernier résultat.

« Mais un événement qui se rapporte à ces derniers temps, et que ceux qui lisent les OEuvres de Rousseau ne peuvent qu'apprendre avec intérêt, c'est l'établissement, à Genève, d'une constitution vraiment républicaine, faite pour prévenir à jamais toute dissension

LETTRES DE LA MONTAGNE.

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nouvelle, offrant tous les avantages attachés à cet ordre de choses dans un petit état, sans les inconvénients qu'on en pourroit craindre dans un plus grand, telle enfin que Rousseau lui-même n'eût osé la prévoir et peut-être l'imaginer, mais qui n'en est que plus conforme à ces principes d'éternelle raison, d'ordre public, et de justice rigoureuse, que ses écrits, entendus et interprétés comme ils doivent l'être, ne pouvoient manquer de rendre en quelque sorte populaires. On peut donc, sous plus d'un rapport, la considérer comme son ouvrage. Le 24 août 1814, la nation génevoise accepta, à une immense majorité de suffrages, un édit constitutionnel maintenant en pleine vigueur'. »

Cette analyse des ouvrages de MM. d'Yvernois et Picot est de M. Petitain.

AVERTISSEMENT.

C'est revenir tard, je le sens, sur un sujet trop rebattu, et déja presque oublié. Mon état, qui ne me permet plus aucun travail suivi, mon aversion pour le genre polémique, ont causé ma lenteur à écrire et ma répugnance à publier. J'aurois même tout-à-fait supprimé ces Lettres, ou plutôt je ne les aurois point écrites, s'il n'eût été question que de moi; mais ma patrie ne m'est pas tellement devenue étrangère, que je puisse voir tranquillement opprimer ses citoyens, sur-tout lorsqu'ils n'ont compromis leurs droits qu'en défendant ma cause. Je serois le dernier des hommes, si, dans une telle occasion, j'écoutois un sentiment. qui n'est plus ni douceur ni patience, mais foiblesse et lâcheté, dans celui qu'il empêche de remplir son devoir.

Rien de moins important pour le public, j'en conviens, que la matière de ces Lettres. La constitution d'une petite république, le sort d'un petit particulier, l'exposé de quelques injustices, la réfutation de quelques sophismes, tout cela n'a rien en soi d'assez considérable pour mériter beaucoup de lecteurs: mais si mes sujets sont petits, mes objets sont grands, et dignes de l'attention de tout honnête homme. Laissons Genève à sa place, et Rousseau dans sa dépression; mais la re

ligion, mais la liberté, la justice! voilà, qui que vous soyez, ce qui n'est pas au-dessous de vous.

Qu'on ne cherche pas même ici dans le style le dédommagement de l'aridité de la matière. Ceux que quelques traits heureux de ma plume ont si fort irrités trouveront de quoi s'apaiser dans ces Lettres. L'honneur de défendre un opprimé eût enflammé mon cœur si j'avois parlé pour un autre: réduit au triste emploi de me défendre moi-même, j'ai dû me borner à raisonner; m'échauffer eût été m'avilir. J'aurai donc trouvé grace en ce point devant ceux qui s'imaginent qu'il est essentiel à la vérité d'être dite froidement, opinion que pourtant j'ai peine à comprendre. Lorsqu'une vive persuasion nous anime, le moyen ployer un langage glacé? Quand Archimède, tout transporté, couroit nu dans les rues de Syracuse, en avoitil moins trouvé la vérité parcequ'il se passionnoit pour elle? Tout au contraire, celui qui la sent ne peut s'abstenir de l'adorer: celui qui demeure froid ne l'a pas

vue.

d'em

Quoi qu'il en soit, je prie les lecteurs de vouloir bien mettre à part mon beau style, et d'examiner seulement si je raisonne bien ou mal: car enfin, de cela seul qu'un auteur s'exprime en bons termes, je ne vois pas comment il peut s'ensuivre que cet auteur ne sait ce qu'il dit.

ÉCRITES

DE LA MONTAGNE.

PREMIÈRE PARTIE.

LETTRE I.

État de la question par rapport à l'auteur. Si elle est de la compétence des tribunaux civils. Manière injuste de la résoudre.

Non, monsieur, je ne vous blâme point de ne vous être pas joint aux représentants pour soutenir ma cause. Loin d'avoir approuvé moi-même cette démarche, je m'y suis opposé de tout mon pouvoir, et mes parents s'en sont retirés à ma sollicitation. L'on s'est tu quand il falloit parler; on a parlé quand il ne restoit qu'à se taire. Je prévis l'inutilité des représentations, j'en pressentis les conséquences: je jugcai que leurs suites inévitables troubleroient le repos public, ou changeroient la constitution de l'état. L'événement a trop

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