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qui germent encore, et qui renaîtront infailliblement d'un jour à l'autre, lorsque le zèle du fanatisme, qui n'est qu'assoupi, se réveillera : c'étoit, en un mot, dans ce siècle pacifique par indifférence, donner à chacun des raisons très fortes d'être toujours ce qu'il est maintenant sans savoir pourquoi.

Que de maux tout prêts à renaître n'étoient point prévenus si l'on m'eût écouté! Quels inconvénients étoient attachés à cet avantage! Pas un, non, pas un. Je défie qu'on m'en montre un seul probable et même possible, si ce n'est l'impunité des erreurs innocentes, et l'impuissance des persécuteurs. Et! comment se peut-il qu'après tant de tristes expériences, et dans un siècle si éclairé, les gouvernements n'aient pas encore appris à jeter et briser cette arme terrible, qu'on ne peut manier avec tant d'adresse qu'elle ne coupe la main qui s'en veut servir? L'abbé de Saint-Pierre vouloit qu'on ôtât les écoles de théologie, et qu'on soutînt la religion. Quel parti prendre pour parvenir sans bruit à ce double objet qui, bien vu, se confond en un? Le parti que j'avois pris.

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Une circonstance malheureuse, en arrêtant l'effet de mes bons desseins, a rassemblé sur ma tête tous les maux dont je voulois délivrer le genre main. Renaîtra-t-il jamais un autre ami de la vérité que mon sort n'effraie pas? Je l'ignore. Qu'il

soit plus sage, s'il a le même zèle, en sera-t-il plus heureux? J'en doute. Le moment que j'avois saisi, puisqu'il est manqué, ne reviendra plus. Je souhaite de tout mon cœur que le parlement de Paris ne se repente pas un jour lui-même d'avoir remis dans la main de la superstition le poignard que j'en faisois tomber.

Mais laissons les lieux et les temps éloignés, et retournons à Genève. C'est là que je veux vous ramener par une dernière observation, que vous êtes bien à portée de faire, et qui doit certainement vous frapper. Jetez les yeux sur ce qui se passe autour de vous. Quels sont ceux qui me poursuivent? quels sont ceux qui me défendent? Voyez parmi les représentants l'élite de vos citoyens: Genève en a-t-elle de plus estimables? Je ne veux point parler de mes persécuteurs ; à Dieu ne plaise que je souille jamais ma plume et ma cause des traits de la satire! je laisse sans regret cette arme à mes ennemis. Mais comparez et jugez vous-même. De quel côté sont les mœurs, les vertus, la solide piété, le plus vrai patriotisme? Quoi! j'offense les lois, et leurs plus zélés défenseurs sont les miens! j'attaque le gouvernement, et les meilleurs citoyens m'approuvent! j'attaque la religion, et j'ai pour moi ceux qui ont le plus de religion! Cette seule observation dit tout; elle seule montre mon vrai crime et le vrai sujet de mes

disgraces. Ceux qui me haïssent et m'outragent font mon éloge en dépit d'eux. Leur haine s'explique d'elle-même. Un Genevois peut-il s'y tromper?

LETTRE VI.

S'il est vrai que l'auteur attaque les gouvernements. Courte

analyse de son livre. La procédure faite à Genève est sans exemple, et n'a été suivie en aucun pays.

Encore une lettre, monsieur, et vous êtes délivré de moi. Mais je me trouve, en la commençant, dans une situation bien bizarre, obligé de l'écrire, et ne sachant de quoi la remplir. Concevez-vous qu'on ait à se justifier d'un crime qu'on ignore, et qu'il faille se défendre sans savoir de quoi l'on est accusé? C'est pourtant ce que j'ai à faire au sujet des gouvernements. Je suis, non pas accusé, mais jugé, mais flétri, pour avoir publié deux ouvrages «< téméraires, scandaleux, impies, tendants à dé<< truire la religion chrétienne et tous les gouver« nements. » Quant à la religion, nous avons eu du moins quelque prise pour trouver ce qu'on a voulu dire, et nous l'avons examiné. Mais, quant aux gouvernements, rien ne peut nous fournir le moindre indice. On a toujours évité toute espèce

d'explication sur ce point: on n'a jamais voulu dire en quel lieu j'entreprenois ainsi de les détruire, ni comment, ni pourquoi, ni rien de ce qui peut constater que le délit n'est pas imaginaire. C'est comme si l'on jugeoit quelqu'un pour avoir tué un homme, sans dire ni où, ni qui, ni quand, pour un meurtre abstrait. A l'inquisition, l'on force bien l'accusé de deviner de quoi on l'accuse; mais on ne le juge pas sans dire sur quoi.

L'auteur des Lettres écrites de la campagne évite avec le même soin de s'expliquer sur ce prétendu délit; il joint également la religion et les gouvernements dans la même accusation générale; puis, entrant en matière sur la religion, il déclare vouloir s'y borner, et il tient parole. Comment parviendrons-nous à vérifier l'accusation qui regarde

les

gouvernements, si ceux qui l'intentent refusent de dire sur quoi elle porte?

Remarquez même comment, d'un trait de plume, cet auteur change l'état de la question. Le Conseil prononce que mes livres tendent à détruire tous les gouvernements; l'auteur des Lettres dit seulement que les gouvernements y sont livrés à la plus audacieuse critique. Cela est fort différent. Une critique, quelque audacieuse qu'elle puisse être, n'est point une conspiration. Critiquer ou blâmer quelques lois, n'est pas renverser toutes les lois. Autant vaudroit accuser quelqu'un

d'assassiner les malades, lorsqu'il montre les fautes des médecins.

Encore une fois, que répondre à des raisons qu'on ne veut pas dire? Comment se justifier contre un jugement porté sans motif? Que sans preuve de part ni d'autre, ces messieurs disent que je veux renverser tous les gouvernements; et que je dise, moi, que je ne veux pas renverser tous les gouvernements, il y a dans ces assertions parité exacte; excepté que le préjugé est pour moi; car il est à présumer que je sais mieux que personne ce que je veux faire.

Mais où la parité manque, c'est dans l'effet de l'assertion. Sur la leur, mon livre est brûlé, ma personne est décrétée; et ce que j'affirme ne rétablit rien. Seulement, si je prouve que l'accusation est fausse et le jugement inique, l'affront qu'ils m'ont fait retourne à eux-mêmes: le décret, le bourreau, tout y devroit retourner, puisque nul ne détruit si radicalement le gouvernement que celui qui en tire un usage directement contraire à la fin pour laquelle il est institué.

Il ne suffit pas que j'affirme, il faut que je prouve; et c'est ici qu'on voit combien est déplorable le sort d'un particulier soumis à d'injustes magistrats, quand ils n'ont rien à craindre du souverain, et qu'ils se mettent au-dessus des lois. D'une affirmation sans preuve ils font une dé

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