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montré que chacun avoit sa raison qui pouvoit le rendre préférable à tout autre, selon les hommes, les temps et les lieux. Ainsi, loin de détruire tous les gouvernements, je les ai tous établis.

En parlant du gouvernement monarchique en particulier, j'en ai bien fait valoir l'avantage, et je n'en ai pas non plus déguisé les défauts; cela est, je pense, du droit d'un homme qui raisonne : et quand je lui aurois donné l'exclusion, ce qu'assurément je n'ai pas fait, s'ensuivroit-il qu'on dût m'en punir à Genève? Hobbes a-t-il été décrété dans quelque monarchic, parceque ses principes sont destructifs de tout gouvernement républicain? et fait-on le procès chez les rois aux auteurs qui rejettent et dépriment les républiques? le droit n'est-il pas réciproque? et les républicains ne sontils pas souverains dans leur pays comme les rois le sont dans le leur? Pour moi, je n'ai rejeté aucun gouvernement, je n'en ai méprisé aucun. En les examinant, en les comparant, j'ai tenu la balance, et j'ai calculé les poids: je n'ai rien fait de plus.

On ne doit punir la raison nulle part, ni même le raisonnement; cette punition prouveroit trop contre ceux qui l'infligeroient. Les représentants ont très bien établi que mon livre, où je ne sors pas de la thèse générale, n'attaquant point le gouvernement de Genève, et imprimé hors du ter

ritoire, ne peut être considéré que dans le nombre de ceux qui traitent du droit naturel et politique, sur lesquels les lois ne donnent au Conseil aucun pouvoir, et qui se sont toujours vendus publiquement dans la ville, quelque principe qu'on y avance, et quelque sentiment qu'on y soutienne. Je ne suis pas le seul qui, discutant par abstraction des questions de politique, aie pu les traiter avec quelque hardiesse: chacun ne le fait pas, mais tout homme a droit de le faire; plusieurs usent de ce droit, et je suis le seul qu'on punisse pour en avoir usé. L'infortuné Sidney pensoit comme moi, mais il agissoit; c'est pour son fait et non pour son livre, qu'il eut l'honneur de verser son sang. Althusius, en Allemagne, s'attira des ennemis; mais on ne s'avisa pas le poursuivre criminellement'. Locke, Montesquieu, l'abbé de Saint-Pierre, ont traité les mêmes matières et souvent avec la même liberté tout au moins. Locke en particulier les a traitées exactement dans les mêmes principes que moi. Tous

de

* Althusen ou Althusius, jurisconsulte protestant, né vers le milieu du seizième siècle, fut professeur de droit à Herborn, et syndic à Brême. Il publia en 1603 un livre intitulé, Politica methodicè digesta, qui fit beaucoup de bruit, et dans lequel il soutenoit que le peuple est la source de toute autorité, de toute majesté; que les rois ne sont que les mandataires; qu'il peut les changer à son gré, même les punir de mort s'il juge qu'ils ont mérité cette peine. Althusen mourut dans les premières années du dix-septième siècle.

trois sont nés sous des rois, ont vécu tranquilles, et sont morts honorés dans leur pays. Vous savez comment j'ai été traité dans le mien.

Aussi soyez sûr que, loin de rougir de ces flétrissures, je m'en glorifie, puisqu'elles ne servent qu'à mettre en évidence le motif qui me les attire, et que ce motif n'est que d'avoir bien mérité de mon pays. La conduite du Conseil envers moi m'afflige sans doute, en rompant des nœuds qui m'étoient si chers; mais peut-elle m'avilir? Non, elle m'élève, elle me met au rang de ceux qui ont souffert pour la liberté. Mes livres, quoi qu'on fasse, porteront toujours témoignage d'eux-mêmes, et le traitement qu'ils ont reçu ne fera que sauver de l'opprobre ceux qui auront l'honneur d'être brûlés après eux.

SECONDE PARTIE.

LETTRE VII.

Etat présent du Gouvernement de Genève, fixé par l'édit de la médiation.

Vous m'aurez trouvé diffus, monsieur; mais il falloit l'être, et les sujets que j'avois à traiter ne se discutent pas par des épigrammes. D'ailleurs ces sujets m'éloignoient moins qu'il ne semble de celui qui vous intéresse. En parlant de moi, je pensois à vous; et votre question tenoit si bien à la mienne, que l'une est déja résolue avec l'autre; il ne me reste que la conséquence à tirer. Par-tout où l'innocence n'est pas en sûreté, rien n'y peut être; par-tout où les lois sont violées impunément, il n'y a plus de liberté.

Cependant, comme on peut séparer l'intérêt d'un particulier de celui du public, vos idées sur ce point sont encore incertaines; vous persistez à vouloir que je vous aide à les fixer. Vous demandez quel est l'état présent de votre république, et ce que doivent faire ses citoyens. Il est plus aisé de répondre à la première question qu'à l'autre.

Cette première question vous embarrasse sûre

ment moins par elle-même que par les solutions contradictoires qu'on lui donne autour de vous. Des gens de très bon sens vous disent: Nous sommes le plus libre de tous les peuples; et d'autres gens de très bon sens vous disent: Nous vivons sous le plus dur esclavage. Lesquels ont raison? me demandez-vous. Tous, monsieur, mais à différents égards: une distinction très simple les concilie. Rien n'est plus libre que votre état légitime; rien n'est plus servile que votre état actuel.

Vos lois ne tiennent leur autorité que de vous; vous ne reconnoissez que celles que vous faites; vous ne payez que les droits que vous imposez; vous élisez les chefs qui vous gouvernent; ils n'ont droit de vous juger que par des formes prescrites. En Conseil général, vous êtes législateurs, souverains, indépendants de toute puissance humaine; vous ratifiez les traités, vous décidez de la paix et de la guerre; vos magistrats eux-mêmes vous traitent de magnifiques, très honorés et souverains seigneurs; voilà votre liberté; voici votre servitude.

Le corps chargé de l'exécution de vos lois en est l'interprète et l'arbitre suprême; il les fait parler comme il lui plaît, il peut les faire taire; il peut même les violer sans que vous puissiez y mettre ordre; il est au-dessus des lois.

Les chefs que vous élisez ont, indépendamment de votre choix, d'autres pouvoirs qu'ils ne tiennent

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