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LETTRE IX.

Manière de raisonner de l'auteur des Lettres écrites de la campagne. Son vrai but dans cet écrit. Choix de ses exemples. Caractère de la bourgeoisie de Genève. Preuve par les faits. Conclusion.

J'ai cru, monsieur, qu'il valoit mieux établir directement ce que j'avois à dire que j'avois à dire que de m'attacher à de longues réfutations. Entreprendre un examen suivi des Lettres écrites de la campagne, seroit s'embarquer dans une mer de sophismes. Les saisir, les exposer, seroit, selon moi, les réfuter; mais ils nagent dans un tel flux de doctrine, ils en sont si fort inondés, qu'on se noie en voulant les mettre à sec.

Toutefois, en achevant mon travail, je ne puis me dispenser de jeter un coup d'œil sur celui de cet auteur. Sans analyser les subtilités politiques dont il vous leurre, je me contenterai d'en examiner les principes, et de vous montrer dans quelques exemples le vice de ses raisonne

ments.

Vous en avez vu ci-devant l'inconséquence par rapport à moi: par rapport à votre république, ils sont plus captieux quelquefois, et ne sont ja

mais plus solides. Le seul et véritable objet de ces lettres est d'établir le prétendu droit négatif dans la plénitude que lui donnent les usurpations du Conseil. C'est à ce but que tout se rapporte, soit directement, par un enchaînement nécessaire, soit indirectement, par un tour d'adresse, en donnant le change au public sur le fond de la question.

Les imputations qui me regardent sont dans le premier cas. Le Conseil m'a jugé contre la loi: des représentations s'élèvent. Pour établir le droit négatif, il faut éconduire les représentants; pour les éconduire, il faut prouver qu'ils ont tort; pour prouver qu'ils ont tort, il faut soutenir que je suis coupable, mais coupable à tel point, que, pour punir mon crime, il a fallu déroger à la loi.

Que les hommes frémiroient au premier mal qu'ils font s'ils voyoient qu'ils se mettent dans la triste nécessité d'en toujours faire, d'être méchants toute leur vie pour avoir pu l'être un moment, et de poursuivre jusqu'à la mort le malheureux qu'ils ont une fois persécuté !

La question de la présidence des syndics dans les tribunaux criminels se rapporte au second cas. Croyez-vous qu'au fond le Conseil s'embarrasse beaucoup que ce soient des syndics ou des conseillers qui président, depuis qu'il a fondu les droits des premiers dans tout le corps? Les syndics, ja

dis choisis parmi tout le peuple', ne l'étant plus que dans le Conseil, de chefs qu'ils étoient des autres magistrats, sont demeurés leurs collègues, et vous avez pu voir clairement dans cette affaire que vos syndics, peu jaloux d'une autorité passagère, ne sont plus que des conseillers. Mais on feint de traiter cette question comme importante, pour vous distraire de celle qui l'est véritablement, pour vous laisser croire encore que vos premiers magistrats sont toujours élus par vous, et que leur puissance est toujours la même.

Laissons donc ici ces questions accessoires, que, par la manière dont l'auteur les traite, on voit qu'il ne prend guère à cœur. Bornons-nous à peser les raisons qu'il allègue en faveur du droit négatif, auquel il s'attache avec plus de soin, et par lequel seul, admis ou rejeté, vous êtes esclaves ou libres.

L'art qu'il emploie le plus adroitement pour cela est de réduire en propositions générales un système dont on verroit trop aisément le foible s'il en faisoit toujours l'application. Pour vous écarter de l'objet particulier, il flatte votre amourpropre en étendant vos vues sur de grandes ques

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On poussoit si loin l'attention pour qu'il n'y eût dans ce choix ni exclusion ni préférence autre que celle du mérite, que, par un édit qui a été abrogé, deux syndics devoient toujours être pris dans le bas de la ville et deux dans le haut.

tions; et tandis qu'il met ces questions hors de la portée de ceux qu'il veut séduire, il les cajole et les gagne en paroissant les traiter en hommes d'état. Il éblouit ainsi le peuple pour l'aveugler, et change en thèses de philosophie des questions qui n'exigent que du bon sens, afin qu'on ne puisse l'en dédire, et que, ne l'entendant pas, on n'ose le désavouer.

Vouloir le suivre dans ces sophismes abstraits, seroit tomber dans la faute que je lui reproche. D'ailleurs, sur des questions ainsi traitées, on prend le parti qu'on veut sans avoir jamais tort: car il entre tant d'éléments dans ces propositions, on peut les envisager par tant de faces, qu'il y a toujours quelque côté susceptible de l'aspect qu'on veut leur donner. Quand on fait tout le pupour blic en général un livre de politique, on y peut philosopher à son aise: l'auteur, ne voulant qu'être lu et jugé par les hommes instruits de toutes les nations et versés dans la matière qu'il traite, abstrait et généralise sans crainte; il ne s'appesantit pas sur les détails élémentaires. Si je parlois à vous seul, je pourrois user de cette méthode; mais le sujet de ces Lettres intéresse un peuple entier, composé, dans son plus grand nombre, d'hommes qui ont plus de sens et de jugement que de lecture et d'étude, et qui, pour n'avoir pas le jargon scientifique, n'en sont que plus propres à saisir le vrai

dans toute sa simplicité. Il faut opter en pareil cas entre l'intérêt de l'auteur et celui des lecteurs; et qui veut se rendre plus utile doit se résoudre à être moins éblouissant.

Une autre source d'erreurs et de fausses applications est d'avoir laissé les idées de ce droit négatif trop vagues, trop inexactes; ce qui sert à citer avec un air de preuve les exemples qui s'y rapportent le moins, à détourner vos concitoyens de

leur objet par la pompe de ceux qu'on leur pré

sente, à soulever leur orgueil contre leur raison, et à les consoler doucement de n'être pas plus libres que les maîtres du monde. On fouille avec érudition dans l'obscurité des siècles; on vous promene avec faste chez les peuples de l'antiquité ; on vous étale successivement Athènes, Sparte, Rome, Carthage; on vous jette aux yeux le sable de la Libye, pour vous empêcher de voir ce qui se passe autour de vous.

Qu'on fixe avec précision, comme j'ai tâché de faire, ce droit négatif, tel que prétend l'exercer le Conseil, et je soutiens qu'il n'y eut jamais un seul gouvernement sur la terre où le législateur, enchaîné de toutes manières par le corps exécutif, après avoir livré les lois sans réserve à sa merci, fût réduit à les lui voir expliquer, éluder, transgresser à volonté, sans pouvoir jamais apporter à cet abus d'autre opposition, d'autre droit, d'autre

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