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terrogants et des virgules. Je plains l'auteur qui est entre ses mains et à sa merci. Barbarus has segetes 1. »

Mais il ne s'agit point ici d'une censure vétilleuse, ni du triste et malin plaisir de signaler des fautes dans une belle œuvre. Fénelon, comme La Bruyère, a raison quand il s'élève contre cette critique maussade et orgueilleuse à l'usage des esprits médiocres. Ces barbares-là sont incapables de sentir vivement de très-belles choses 2; ils ne font que fourrager et détruire, où les simples moissonnent et récoltent. Il s'agit, au contraire, d'une science utile et féconde, née à peine au temps de Fénelon, mais dont il aurait mieux que personne apprécié les services: lui qui dit des choses si justes sur l'utilité du dictionnaire et de la grammaire. Je veux parler de la linguistique, de l'histoire de notre langue. Là, les expressions négligées ont de l'importance; l'orthographe et la place des mots ont leur prix; les points interrogants et les virgules méritent l'attention, et l'on ne saurait impunément dédaigner les incorrections peut-être le savant tirerait-il plus de fruit du bavardage de Martine que de la conversation de Vaugelas. Un seul cheveu même a son ombre 3, disaient ces Anciens, que Fénelon aimait tant à citer: une simple particule contient un enseignement pour le linguiste.

En appliquant aux œuvres de nos écrivains classiques les procédés rigoureux et la méthode sévère de la philologie, l'on a pu constater que des changements notables, soupçonnés à peine par le gros des contemporains, étaient survenus dans notre langue pendant les quarante dernières années dû règne de Louis XIV.

Horace l'a dit, dans des vers toujours cités: « Les mots sont comme les feuilles; les anciens passent et les nouveaux fleurissent à leur tour avec toutes les grâces de la jeunesse. » Les termes qu'une génération avait pris en affection perdent leur charme aux yeux de la génération suivante; celle qui vient après les entend malaisément ou ne les comprend plus.

1 Lettre à l'Académie, ch. X, éd. Voisin, p. 111.

2 La Bruyère, des Ouvrages de l'esprit.

3 Etiam capillus unus habet umbram suam. Sentences de P. Syrus. Horat., Epist. ad Pisones, vv. 60 et suiv.

Un changement de ce genre s'est opéré pendant les quarante dernières années du grand règne, et les savants travaux publiés depuis quelque temps sur le texte de nos classiques permettent déjà d'en mesurer l'étendue. Non-seulement il se montre dans les termes tombés en désuétude après ces écrivains il est sensible même dans les variantes des éditions successives données de leur vivant. Telle leçon nouvelle est seulement le fait d'un auteur qui se ravisè et se corrige; telle autre, au contraire, marque un progrès ou pour mieux dire une modification dans la langue elle-même.

Cette transformation lente, mais continue, passa inaperçue pour la foule, mais n'échappa point aux yeux clairvoyants. Fénelon, en particulier, en eut conscience, lui qui, dans sa Lettre à l'Académie, propose de joindre au dictionnaire une grammaire française et prend soin d'ajouter: « Cette grammaire ne pourrait pas fixer une langue vivante, mais elle diminuerait peut-être les changemens capricieux par lesquels la mode règne sur les termes comme sur les habits1. »

Capricieux ou non, ces changements s'imposèrent: Fénelon les subit lui-même; et, malgré l'apparente uniformité de son style, pour qui regarde avec des yeux exercés et attentifs, la langue de ses derniers écrits ne paraît pas tout à fait la même que celle des premiers.

C'est cette différence, légère sans doute, mais facilement appréciable, qui permet d'assurer que les Dialogues sur l'éloquence ont été composés bien avant la Lettre à l'Académie. On rencontre, en effet, dans les Dialogues, et presque à chaque page, des façons de parler qui nous étonnent. Plusieurs constructions semblent incorrectes; maintes tournures nous embarrassent; certains mots ont besoin d'un commentaire. Le nombre de ces locutions vieillies et de ces termes surannés est beaucoup moindre dans la Lettre à l'Académie. En faut-il davantage pour démontrer qu'entre les deux époques où furent faits ces deux écrits, la langue s'était sensiblement modifiée? Il en est une preuve encore plus forte et plus appréciable pour tous les yeux: c'est l'embarras même que le manuscrit des Dialogues à causé aux éditeurs de 1718. Trois ans seulement

1 Ed. de Versailles, XXI, p. 159.- Ed. Voisin, p. 21.

après la mort de Fénelon, et par conséquent moins de quatre ans après la Lettre à l'Académie1, ils ont été vivement choqués des apparentes incorrections de ce manuscrit. Ces locutions antiques et ces termes démodés leur paraissaient si contraires à l'usage et à la grammaire courante, qu'ils eurent un moment l'idée de les changer pour leur substituer des tours et des expressions plus conformes à la mode du temps. Heureusement, ils n'ont cédé qu'à demi à cette mauvaise pensée. Plus respectueux pour les Dialogués qu'ils ne l'ont été pour la seconde partie du Traité de l'existence de Dieu, autre ouvrage de la jeunesse de Fénelon, ils ont maintenu les mots et les expressions dont s'effrayait leur purisme. Mais, en les conservant dans le texte, ils ont eu soin de les signaler et même de les modifier dans un errata placé à la fin du volume. Leur fidélité a-t-elle été entière et n'ont-il rien altéré? On ne saurait l'affirmer, puisque le manuscrit qu'ils ont reproduit est aujourd'hui détruit ou du moins égaré. Il est donc impossible de vérifier si l'œuvre n'était pas dans l'original plus archaïque encore qu'ils ne l'ont donnée au public. Quoi qu'il en soit, au reste, leurs errata suffisent à prouver qu'entre la langue de leur temps, c'est-à-dire entre la langue même que parlait Fénelon dans ses dernières années, et celle des Dialogues, il y avait une différence incontestable.

Cette différence, nous allons achever de la mettre hors de doute, en relevant dans le texte de 1718 les tours vieillis et les mots hors d'usage que l'on ne retrouve plus ou du moins que l'on ne rencontre que très-rarement dans la Lettre à l'Académie et les derniers écrits de Fénelon.

Une langue qui se modifie subit deux sortes de changements: les uns portent sur la grammaire, les autres sur le dictionnaire. Voilà pourquoi les éditeurs de l'excellente collection des Grands Ecrivains de la France, publiée par la maison Hachette, font toujours précéder leurs lexiques d'une étude

1 La lettre est de 1714 et fut publiée pour la première fois en 1716. Voy. M. J.-B. Voisin, éd. de la Lettre à l'Académie, p. 8.

2 Ce manuscrit n'est pas signalé dans le rapport fait par dom Poirier sur les manuscrits de Fénelon déposés au bureau du domaine national. Bibl. nat. fr. 20843, fol. 131 et suiv. (Cf. Lettres inéd. de Fénelon, publiées par l'abbé F. Verlaque. Paris, Vict. Palmé, 1874, p. 88.

approfondie sur la grammaire de leur auteur. Nous suivrons la même méthode en étudiant, au point de vue philologique, les Dialogues sur l'éloquence.

Non pas qu'il entre dans notre pensée de faire ici la grammaire de Fénelon, comme on a fait celle de Malherbe, de Corneille ou de Molière; la tâche serait trop longue et trop ardue: il suffit à notre dessein de signaler quelques-unes des différences présentées par la grammaire des Dialogues avec celle qui prévalait au commencement du XVIIIe siècle.

Encore est-il bon d'avertir que la grammaire d'un écrivain est beaucoup plus personnelle et moins sujette à de brusques variations que son lexique: l'un subit plus ou moins l'empire de l'usage et même de la mode; l'autre y résiste davantage: elle devient une habitude de l'esprit, et l'esprit, on le sait bien, prend son pli comme les étoffes. Aussi, pour démontrer l'ancienneté d'un écrit, les constructions vieillies ont-elles moins de portée que les mots passés de mode. C'est donc sous toute réserve que nous signalons les formes archaïques réunies dans les Dialogues: toutes n'ont pas disparu dans les dernières ceuvres de Fénelon ; mais elles sont ici en plus grande abondance que partout ailleurs; elles font preuve par leur fréquence et par leur nombre.

Commençons par l'emploi suranné de certains pronoms per

sonnels.

«< A quoi peut servir dans un discours», demande le principal personnage des Dialogues, « tout ce qui ne sert point à une de ces trois choses, la preuve, la peinture et le mouvement? Il servira à plaire », répond le troisième1.

Voilà certes un emploi du pronom il tout à fait contraire à notre usage. Il faudrait maintenant, cela servira, disent à l'envi tous les commentateurs. A merveille; mais cet il, au sens neutre à la manière latine, était fréquemment employé au milieu du XVIIIe siècle, et nos meilleurs auteurs en offrent de nombreux exemples. Corneille, sollicitant pour ses discours sur le poëme dramatique l'appui du fameux abbé de Pure, si cruellement tympanisé par Boileau, lui disait humblement: «<Quand cela paraîtra, je ne doute point qu'il ne donne matière aux cri

1 Deuxième Dial., p. 56.

tiques prenez un peu ma protection1. » De son côté, Mme de Sévigné, usant de la même tournure, écrivait: « Je suis entièrement incapable de voir beaucoup de monde ensemble; cela viendra peut-être, mais il n'est pas venu 2. » Plus tard, Bussy disait encore: «Peut-être cela était-il vrai, mais il n'était pas vraisemblable 3. »

C'est donc en nombreuse et bonne compagnie que Fénelon prenait ainsi le pronom personnel au sens neutre, dans le passage que nous avons cité plus haut et dans le passage suivant: << Si on disait cela avec tranquillité, il perdrait sa force". » Mais quoiqu'il se serve encore dans le Télémaque, et dans les ouvrages de son âge mûr, d'une tournure analogue, il est certain que cette forme était celle d'une génération précédente. Elle tombait en désuétude à la fin du siècle et ne se retrouve plus dans la Lettre à l'Académie.

Un autre archaïsme, à propos du pronom personnel, c'est la place que lui donne l'auteur des Dialogues dans la phrase suivante: « Il faut que chacun de vos auditeurs s'imagine que vous parlez à lui en particulier.» Du pronom ainsi placé après le verbe parler, il existe un exemple bien connu: c'est la réponse de Pauline aux injures vomies contre les chrétiens par Stratonice, sa confidente:

Il est ce que tu dis, s'il embrasse leur foi;
Mais il est mon époux et tu parles à moi7.

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Corneille a même conservé cette construction plus énergique que la nôtre dans ses écrits en prose, mais elle n'est signalée ni dans Mme Sévigné, ni dans Racine. Elle paraît avoir

1 Lettre à l'abbé de Pure, à Rouen, le 25 d'août 1660. Ed. Hachette, X, 486. Voy. M. Marty-Laveaux, Lexique de Corneille, Introduct. grammat., V. no 5, p. XVIII.

2 Ed. Hachette, II, 52.

3 Ibid., VII, 199.

4 Voy. encore Deuxième Dialogue, p. 58.

Télém., éd. Lefebvre., t. I, p. 99.-Lettre à l'évêque d'Arras sur la lecture de l'Ecriture sainte.

6 Deuxième Dialogue, p. 66.

7 Polyeucte, III, sc. 2.

8 Voy. M. Marty-Laveaux, Lex. de Corneille, t. II, pp. 153, 154.

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