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gue originaire pour apprendre et parler exclusivement celle du nouveau pays, et cette dernière, dans ce cas, tout en conservant le même fonds, se voit en même temps altérée par ce grand nombre de bouches étrangères qui lui communiquent leur prononciation et leurs idiotismes, et dont l'exemple, surtout si la prééminence politique ou sociale leur appartient, ne peut manquer de déteindre sur le parler des indigènes. Dans d'autres cas, les deux langues se mêlent sans s'absorber, et donnent lieu à un produit plus ou moins tératologique, tel qu'est par exemple l'anglais, un amalgame indigeste de français et de saxon, où les deux éléments se sont juxtaposés l'un à l'autre, mais sans se fondre ensemble.

Que le conflit des deux langues s'opère de telle ou telle façon, et quel qu'ait été le pouvoir absorbant de l'une sur l'autre, la plus faible des deux, alors même qu'elle aurait été en apparence complétement éliminée par sa rivale, aura, avant de succomber, imprimé sa griffe d'une manière indélébile sur celle qui va prendre sa place.

Tel pourtant ne paraît pas être l'avis de M. G. P., quand il nous fait la leçon suivante: « Chaque trait linguistique occupe d'ailleurs une certaine étendue de terrain, dont on peut reconnaître les limites; mais ces limites ne coïncident que très-rarement avec celle d'un autre trait ou de plusieurs autres traits; elles ne coïncident pas surtout, comme on se l'imagine souvent encore, avec des limites anciennes ou modernes. (Il en est parfois autrement, ajoute M. G. P., pour les limites. naturelles, telles que montagnes, grands fleuves, espaces inhabités.) »

Donc, aucun trait linguistique ne coïncidera avec les limites de l'ancienne Gaule, et pas davantage avec les limites de l'invasion barbare, et chercher dans les idiomes modernes des indications pour retrouver les bornes de plus anciens empires, tel par exemple que celui des Ibères, serait sans doute une insigne folie. Je ne relèverai pas pour la seconde fois ce qu'un tel jugement a de contradictoire avec la reconnaissance formelle de « l'unité fondamentale » du gallo-roman, lequel gallo-roman n'est en somme qu'un ensemble de traits linguistiques dont l'aire géographique se confond avec celle de la Gaule latine. Il sera plus utile d'appeler l'attention du lec

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teur sur un fait d'observation familière et vulgaire qu'il ne paraît pas possible que MM. P. M. et G. P. aient laissé passer inaperçu. Qui donc, en effet, a besoin qu'on lui apprenne que chaque étranger qui s'essaye à parler français et dans ces étrangers il est linguistiquement permis de comprendre les Français de nos provinces méridionales, ceux de la Corse, ceux du pays flamand, les Bretons, etc. le parle avec la prononciation et les idiotismes de sa langue maternelle, sauf le cas tout à fait exceptionnel où son éducation française aurait fait l'objet d'une culture toute spéciale? Et ce fait n'est-il pas surtout très-accusé lorsque l'introduction dans un pays d'une langue étrangère a été droit à la masse des habitants, et s'est effectuée, comme ce fut la règle dans le passé, en dehors de tout enseignement scolaire, par une voie toute pratique? Aujourd'hui, dans le Midi, nos maîtres d'école s'appliquent, dans la mesure de leur pouvoir, à corriger les vices de prononciation de leurs élèves, et ils y réussissent dans une certaine mesure; mais je me souviens d'une époque où le petit nombre de ceux qui savaient le français dans nos campagnes, et notamment les ecclésiastiques, lui appliquaient ni plus ni moins que la prononciation de la langue d'oc telle quelle. Et aujourd'hui même, sous le régime de l'instruction gratuite et obligatoire et du service militaire universalisé, nos Méridionaux peuvent-ils en général se flatter d'éviter entièrement, quand ils s'expriment dans la langue nationale, de laisser passer le bout de l'oreille de leur origine? Non. Pareille chose a donc, à plus forte raison, dû se produire alors que l'indigène a pu suivre librement l'instinct naturel qui le porte à transporter, pour ainsi dire à son insu, les sons de la langue maternelle dans la langue étrangère qu'il s'assimile. A entendre comment les Italiens, les Allemands, les Anglais, parlent le français, chacun de son côté, on peut juger quel travestissement ils lui feraient respectivement subir si, par suite d'événements comme il s'en est tant produit dans l'histoire, notre langue devenait un jour celle de ces trois peuples. Répugne-t-il donc de penser que les « traits linguistiques >> que revêtirait le français dans chacun de ces trois cas suffiraient pour déceler l'ancien emplacement de chacune des trois langues dépossédées ? Et si, par l'effet de vicissitudes nouvel

les, le français ainsi implanté chez les trois peuples précités y était supplanté à son tour par quelque autre langue, n'est-il pas raisonnable de penser que quelqu'un des traits du vieil idiome autochthone percerait encore à travers cette nouvelle couche linguistique qui viendrait s'ajouter à celle qui l'avait déjà recouvert?

(A suivre.)

J.-P. DURAND (de Gros).

VARIÉTÉS

LYONNAIS URINA « SALAMANDRE »

Aux environs de Lyon, à Craponne, la salamandre aquatique, salamandra maculosa, se nomme urina. Et lorsque l'on demande l'explication de ce nom bizarre, on vous répond gravement : « parce que la salamandre est l'urine de la pluie », proposition qui n'est pas trèsclaire, car pour mon compte, du moins, je n'ai jamais vu uriner la pluie. Mais il est certain que les salamandres se montrent surtout après la pluie.

Si, dans un dictionnaire étymologique, on se bornait à mettre ces mots : « urina, salamandre. Étymologie: vieux français halbran, plongeon », sans plus, il est certain que l'on rirait fort de l'étymologiste. On aurait tort, car l'origine est, je crois, assurée. En politique et en étymologie patoise, il ne faut s'étonner de rien.

Halbran se retrouve à Panissières sous la forme albranda, dont la signification est aussi celle de salamandre. La salamandre étant trèshabile plongeuse, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on lui ait appliqué le nom de plongeon. De même, sur halbran le provençal a fait *albrana al[a]breno (Mistral, Azaïs), puis le languedocien en a fait talabreno par l'addition du préfixe ta 1. La vocalisation de b a donné ta

1 Je ne sais si ce préfixe a été signalé. Il a le caractère péjoratif et n'est peut-être qu'une forme du préfixe ca. On le trouve souvent, surtout en provençal ta-bossi ragot (de bosse), ta-boucho, taciturne (de boucher), Var tacoupa, railler par des quolibets (de couper), provençal ta[la]fissa, aiguillonner (de fissa, piquer), ta-clouo, birloir (de clou); gascon ta[ra]brassa, braser. Je n'ai point épuisé la liste.

laurena et talaurina à Rive-de-Gier, témoin ce que dit son poëte Ro

quille :

Avoué ta vilaina babina

Et ta gorgi de talaurina.

« Avec ta vilaine lèvre beronnes). »

et ta gorge de salamandre (Le dué Bi

Le dauphinois, au lieu de préposer ta à alabrena a, au contraire, fait choir l'a initial. D'où, toujours avec la vocalisatiou de b, laurina, lourina, donné par Charbot, qui écrivait au commencement du XVIII® siècle. M. Mistral donne, mais sans indication de source, une forme dauphinoise lebreno, qui est encore plus voisine du type provençal.

Ce lourina est devenu ourina à Craponne, par confusion avec l'emploi de l'article. On a lu l'ourina. Or, quoi de plus ressemblant à ourina qu'urina?

Et voilà comment la salamandre est devenue l'urine de la pluie. M. Mistral donne aussi comme lyonnaise une forme que je ne connais pas, c'est laverne. Elle s'explique facilement par le dauphinois lebrena, devenu leberna par métathèse, leverne, puis laverne.

Ces formations de mots par voie de calembour sont assez fréquentes dans les patois. L'urina, salamandre, peut aller de pair avec notre âne-vieux, nom de l'orvet, anguis fragilis. Ane-vieux n'est qu'une transformation d'anwilla, d'anguis. Citons encore Roi-pèteret (roi-péteur), nom que nos petits gones donnent à un hanneton au corsage plus soyeux, qu'ils croient être le mâle. Dans nos montagnes, le rei-petaret est le roitelet. L'origine est petit-rei, qui, dans les dialectes d'oc, désigne le roitelet ou parfois le troglodyte. De petit-rei on a fait pètaret et on est revenu mettre roi devant. Une morphologie assez jolie, c'est celle de ruscus aculeatus, nom indiqué à Jarnosse (Roannais) par un botaniste à un paysan (pour un emploi thérapeutique) comme celui du petit houx, lequel nom est devenu pour tout le pays, par un à peu près fantastique, l'herba-de-Brutus. J'ai vu moi-même un python-boa, échappé d'une ménagerie foraine et poursuivi par les vaillants du village, devenir pour l'endroit le python-en-bois. Les termes pharmaceutiques usités dans nos hôpitaux de Lyon ont donné à nos populations de la Croix-Rousse tout un vocabulaire individuel fort riche, dont je ne citerai que le nom du sirop d'ipecacuanha, devenu le sirop de pépins cuit à Naples.

PUITSPELU.

LE HANNETON DANS LES DIALECTES MODERNES

Il est curieux que, à l'inverse de la plupart des autres noms de l'histoire naturelle, le hanneton, au lieu de garder, dans les langues

romanes, le nom qu'il aurait dû posséder dans le latin vulgaire, ait pris toujours des noms de formation secondaire et qui diffèrent dans tous les dialectes.

J'ignore d'ailleurs le nom du hanneton même dans le latin classique. En avait-il un? Je puis me tromper, mais je ne crois pas qu'aucun poète, ni même aucun agronome, lui ait donné un nom particulier. Du moins ce nom ne figure pas dans les lexiques. Pourtant le hanneton tient, en histoire naturelle, une place autrement importante que la cigale, si souvent chantée par les poètes; et sa propagation a, pour l'agriculture, des conséquences graves qui ne pouvaient être ignorées. Il est probable que les lettrés se sont servis du nom grec; et quant au nom vulgaire, à en juger par l'absence du mot dans les dialectes romans, il est à croire qu'on le confondait sous le terme général de scarabeus 1, dont le mot de scarabée est la transcription savante, mais dont le vieux français escharbot et le Gévaudan escharbaï sont les transcriptions populaires.

Il ne paraît pas que le hanneton ait eu davantage un nom particulier en germanique ni en celtique, ou du moins ces mots n'auraient laissé aucune trace, ce qui serait fort étrange.

Toutes les appellations du hanneton ont été ou composées avec des mots figuratifs, empruntés à l'histoire naturelle, ou tirées d'un attribut de l'insecte; et chaque dialecte a forgé un nom particulier. Nulle part on ne trouve un nom-type permettant de supposer un primitif simple.

En allemand, le hanneton est le scarabée de-mai (maikafer). En anglais, c'est le scarabée-des-arbres (tree-beetle), ou le scarabéeaveugle (blind-beetle) ou le scarabée-brun (brown-beetle). Le nom de beetle est probablement tiré lui-même d'un attribut du scarabée, c'est-à-dire de ses qualités voraces : anglo-saxon bitel, celui qui mord, bitela « mordiculus », de to bite, mordre, dont l'origine est germanique.

Je ne sais pourquoi les peuples de race germanique se sont plu à voir un coq dans le hanneton. On l'appelle même parfois en allemand le coq, tout court (hahn), ce que Sachs déclare incorrect, c'est-à-dire populaire. C'est aussi, plus clairement, le coq-des-saules (weidenhahn). L'anglais l'appelle le coq-scarabée (cock-chafer). Notre hanneton français n'est lui-même que le petit-coq (vieux français hanette, de hahn).

C'est ce qui s'est passé pour l'italien, descendant si direct du latin; il désigne le hanneton sous le nom générique de scarafaggio, escarbot. Le nom de melolonta, scarabeo melolonta, donné par les dictionnaires, est un emprunt fait au grec par les savants modernes.

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