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NOTES

DE LA PREMIÈRE SATIRE.

CETTE satire est un chef-d'œuvre, quoi qu'en aient pu dire des critiques qui n'avaient pas pris la peine de la bien lire. L'on ne sait ce qu'on doit le plus y admirer, ou du sens profond et du goût éclairé de celui qui l'a conçue, ou de l'audace originale et piquante avec laquelle il l'exécute. Certainement il n'appartenait qu'à un esprit supérieur d'être frappé du ridicule des mœurs littéraires de son pays, alors que personne ne s'en apercevait. Quand le tableau de cette manie des enfans de Romulus d'écrire et de déclamer; de payer des auditeurs et des flatteurs; de se passionner pour l'amplification et la tirade, pour le style barbare des vieux auteurs, après que Virgile et Horace ont écrit; de faire partout la phrase, la figure, du sublime; quand ce tableau ne serait pas tracé dans des vers pleins de verve et d'esprit, il serait fort curieux encore comme document historique : on y trouve des choses que Tacite, Suétone et Quintilien ne disent pas, ou ne disent pas si bien.

On prétend que ce tableau est confus, que les critiques diverses s'y succèdent sans ordre ni liaison, en un mot, que la composition en est manquée. On a même été jusqu'à dire (ce sont des critiques allemands, Koenig, p. ex.) que l'ouvrage, tel que nous l'avons, n'est probablement qu'un assemblage de deux pièces différentes, cousues tant bien que mal ensemble, par les premiers éditeurs de Perse. C'est bien peu comprendre l'artifice ingénieux par lequel l'auteur, tout en écrivant sa satire, paraît délibérer s'il l'écrira, justifie son dessein par une critique, puis par une autre, et renferme ainsi dans un même cadre tout ce qu'il avait à dire sur les divers points de la littérature. Ce cadre est si heureux que la plupart des satiriques (et particulièrement Juvenal, sat. 1er) l'ont reproduit. Il a dans Perse cet avantage, qu'il sauve la dignité du

philosophe, qui ne paraît se charger du rôle odieux de satirique que malgré lui et seulement parce que le public a besoin de censeurs. Même il y a de la générosité à lui à s'en charger; car ce rôle n'est pas sans dangers : mais la passion de la vérité, mais le devoir l'emporte. Cela est plein de goût et de noblesse.

On a contesté que Néron fût ici personnellement attaqué. J'au-rai soin de relever successivement, dans mes notes, tous les passages qui ne peuvent guère s'appliquer à d'autres qu'à ce prince; et d'ailleurs il suffit de lire le commencement et la fin de cette satire avec attention pour se convaincre qu'elle est particulièrement dirigée contre lui et contre ses courtisans. Tant d'audacesurprend dans un poète : on oublie que chez nous les gens delettres les plus illustres ont souvent frondé la cour. Comment une tentative semblable étonnerait-elle de la part d'un Romain, d'un stoïcien, d'un ami de l'intrépide Thraséas? Le parti philosophique était alors très-puissant dans Rome, et la liberté de la satire s'y conservait encore, seule de toutes les anciennes libertés. Suétone observe que Néron, d'ailleurs si cruel, fut assez indulgent envers les satiriques; en effet Perse et Turnus ne furent point proscrits comme Lucain, Sénèque et Thraséas.

La nécessité de dire aux puissances leurs vérités à mots couverts, les formes abruptes du dialogue et du style des stoïciens, et plus que tout cela des allusions à des noms propres ou à des détails de mœurs peu connus, des citations d'ouvrages perdus, rendent difficile l'intelligence du texte dans cette satire plus encore que dans celles qui suivent. J'espère cependant n'y avoir laissé que très-peu d'obscurités; j'ai éclairci le sens de dix ou douze passages importans, qui n'avaient point été entendus par les traducteurs qui m'ont précédé, et dont plusieurs formaient dans leurs ouvrages des non-sens.

1. A quoi l'homme s'occupe, et que de vanité dans la vie! C'est le spectacle misérable de Rome littéraire qui suggère au poète stoïcien cette réflexion; ce sont les prétentions ridicules de ses concitoyens et leurs niaises occupations, CURAS. On a comparé ce début à celui de l'Ecclésiaste : Vanité des vanités, et tout est vanité. Cette comparaison ne manque pas de justesse. Il y a plus de mélancolie que de gaîté dans la manière de Perse. Sa plaisanterie est

amère et violente; c'est assez le ton d'Alceste dans le Misanthrope de notre Molière : il est tranchant, mordant et éloquent comme lui.

2. Cela aura-t-il des lecteurs? C'est là la grande affaire pour les esclaves de l'opinion; les hommes de la conscience s'occupent d'autre chose que du succès. Il faut sentir l'opposition du hæc et du istud, du quis et du mihi dans l'interrogation et dans la réponse des deux interlocuteurs.

3. Un ou deux peut-être. — Vel duo vel nemo n'est que la traduction de l'idiotisme grec : ἤ τις, ἢ οὐδείς οτι ἢ ὀλίγοι ἢ οὐδείς, qui signifie fort peu, comme nous disons en français peu ou point. Perse est rempli d'hellénismes, et ses locutions qu'on trouve si bizarres et si inintelligibles parfois, s'expliquent très-naturellement par les locutions grecques dont elles sont imitées ou copiées.

4. Polydamas et les Troyennes. C'est-à-dire Néron et ses courtisans. Homère (Iliade, liv. x11, v. 100 et 105) fait dire à Hector:

Πουλυδάμας μοι πρῶτος ἐλεγχείην ἀνάθησει.

Polydamas mihi vel primus opprobrium injiciat.

Αἰδεομαι Τρώας καὶ Τρωάδας έλκεσι πέπλους.

Vereor Trojanos et Trojanas longis velis indutas.

Or, par plusieurs passages des lettres de Cicéron à Atticus (liv. 11, lett. 5; liv. vii, lett. 1; liv. vi, lett. 16), il paraît que, par allusion aux vers d'Homère, on se servait des noms Polydamas et les Troyens, ou Polydamas et les Troyennes, quand on voulait désigner quelqu'un de considérable qu'on n'osait nommer. Perse, qui sait admirablement les finesses du langage, se sert de celle-ci pour ne pas nommer le prince par son nom. Ces sortes d'allusions aux vers d'Homère étaient très-fréquentes chez les anciens qui avaient de la littérature.

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5. Labéon. On ne sait de ce mauvais poète que ce qu'en disent Perse et son scoliaste : il se nommait Accius ou plutôt Attius Labéon, et il était auteur d'une détestable traduction de l'Iliade. Perse revient encore deux fois sur lui dans cette satire (v. 50 et v. 122). Apparemment Néron, dans sa sotte passion pour Troie et tout ce qui s'y rattachait, admirait la traduction de Labéon, et les courtisans disaient comme lui.

6. On le réforme, en le pesant dans unc autre balance. Quoique cette traduction paraisse s'écarter un peu du texte, je la crois

ce n'est

très-fidèle cependant. Le texte porte mot à mot et vous ne tácherez pas de redresser cette mauvaise pesée avec un pareil peson ; c'est-à-dire qu'il n'y a rien à attendre d'un juge comme le peuple ; pas à lui qu'il faut s'adresser pour corriger ses jugemens, c'est donc à d'autres, c'est à soi-même, c'est à sa conscience: nec te quæsiveris extra. Ainsi parle la fierté du stoïcien : cette autre balance où il veut qu'on pèse les jugemens populaires, c'est cellequ'on porte en soi-même, c'est la conscience, juge aussi infaillible que l'opinion est un juge téméraire. Les manuscrits portent in ista comme in illa, et cette leçon in ista me paraît préférable pour désigner la balance que méprise le stoïcien. Trutina, c'est la balance du peuple, la balance commune, un peson; statera, c'est la balance des artistes, le trébuchet. Voyez CICERON, de l'Orateur, liv. II, ch. 38.

:

pas

7. Osez donc achever. J'aime mieux couper ainsi le dialogue et lire at si fas dicere? ou : ac si fas dicere? dans la bouche de l'interlocuteur; que de lire ah si fas dicere dans la bouche de Perse lui-même. D'abord le ah n'est d'une latinité bien pure en ce sens; ensuite l'interruption de l'interlocuteur et la reprise de l'auteur sed fas, mettent plus de vivacité et de mouvement dans le dialogue. Les manuscrits portent unanimement at ou ac; jamais ah, qui est des éditeurs.

8. Quand je vois nos petitesses et nos déplorables travers; oui, quand je vois que nous en sommes encore aux niaiseries de l'enfance. Sélis traduit ce passage : Quand je vois tant de travers chez nos vieillards; et beaucoup de commentateurs et d'autres traducteurs entendent ainsi canitiem. Mais il est évident qu'il ne s'agit pas précisément de vieillards; il s'agit des sottises des gens. Canities, en bon latin; ne signifie pas seulement vieillesse, mais aussi, ce qui est d'ordinaire le propre de la vieillesse, la faiblesse, la décrépitude, la petitesse. Il en est de même des mots vetulus, calvus, lippus, qui ne signifient ni vieux, ni chauve, ni chassieux; mais sot, imbécile, animal, comme nous dirions en français. Cela est connu par mille exemples, et par les vers 22, 56, 79 de cette

satire même.

Perse a voulu dire simplement qu'il est pitoyable qu'on vive comme l'on vit, qu'on s'occupe de niaiseries littéraires et de jeux puérils, quand on n'est plus des enfans. Nous disons souvent en

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français : Fous n'étés plus un enfant, vous serez donc toujours jeune? ce qui signifie qu'on devrait être sage, et non pas qu'on a, ou qu'on devrait avoir soixante-dix ou quatre-vingts ans. Dorine dit à Orgon, dans le Tartufe de Molière :

Quoi, monsieur! se pent-il qu'avec l'air d'homme sage,

Et cette large barbe au milieu du visage....

Assurément cela ne signifie pas qu'Orgon ait réellement beaucoup de barbe; cela signifie simplement qu'il est homme fait. Nucibus relictis; Perse se sert de cette locution pour signifier qu'on n'est plus des enfans. On sait que les noix étaient le jeu ordinaire de l'enfance; d'où plusieurs idiotismes chez les Latins. C'était même un usage dans la célébration des mariages que l'époux jetàt des noir; ce qui signifiait qu'il renonçait à tous les jeux, à toutes les folies, pour prendre la gravité d'un père de famille. Voyez VIRGILE, Buc., égl. viii, v. 29 et 30; PHèdre, liv. 111, fab. 14; CATULle, xiv, v. 183; MARTIAL, liv. 1, épigr. 86; PETRONE, Ch. LXXXI.

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9. Quand je vois........ que nous avons besoin qu'on nous corrige, C'est le vrai sens de quum sapimus patruos. Au propre, patruus signifie l'oncle, le beau-père. Ceux-là ne gâtent pas les enfans, comme les pères; de là, par extension, patruus signifie censeur : d'où le proverbe : Ne sis mihi patruus, « Ayez pour moi quelque indulgence. Sapere signifie quelquefois sentir, comme dans ces phrases françaises : Cela sent le bâton, tu sens ton vieux battu, etc., pour dire cela mérite le báton, vous avez besoin d'être battu, etc. Il y a mille exemples de sapere pris dans cette acception. Lemonnier traduit : lorsque je les vois affecter une sagesse austère; et Sélis : et cette manie de vouloir passer pour sages. Ce qui ne présente pas un sens piquant, ni surtout qui se lie bien avec les mots qui suivent : tunc......... tunc.......... ignoscite. N'est-il pas évident la phrase, en remplissant la réticence, serait quand je vois que nous avons besoin qu'on nous corrige, alors......... alors........ j'inflige des corrections. Pouvez-vous vous en offenser?

vers....

que

10. L'on s'enferme pour écrire, l'un de la prose, l'autre des .......... Je place, comme Monti, le vers 13 dans la bouche de l'interlocuteur, qui ne voit aucun mal à ces travaux innocens de la solitude, qui veut les excuser, et que Perse interrompt par ces

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