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III. Style.

Le style de Perse ne mérite pas moins d'attention que sa langue : il a un caractère spécial.

On sait que l'école stoïcienne s'exprimait d'une manière laconique et abrupte, qu'elle aimait l'énigme et le symbole, qu'elle affectait les formules interrogatives, les distinctions subtiles et minutieuses, les argumens et les arguties. Elle tenait cette manière de ses premiers fondateurs, qui étaient supérieurs dans la dialectique, mais qui n'étaient ni écrivains, ni orateurs1. Zénon avait négligé l'éloquence, et Chrysippe avait écrit dans un style dont ses disciples eux-mêmes perçaient difficilement l'obscurité ingrate 2. En sortant du Portique pour se répandre dans la vie sociale, en passant à Rhodes et dans Rome, la doctrine prit des formes plus humaines; mais elle retint toujours quelque chose de la sécheresse et du pointillage dont elle s'était hérissée d'abord. Caton et Brutus étaient dans leurs écrits, comme dans leur vie, âpres et durs; et Cicéron, qui les raille de ce rigorisme 3, a lui-même, dans ses Paradoxes et dans son traité des Devoirs, quitté son élocution riche et pompeuse pour un style précis et direct, plus conforme aux préceptes

I. CICER., de Finibus, lib. 11, c. 4; QUINTIL., Instit. orat., lib. x, c. 2; SENEC., Epist., passim.

2. EPICTETI Enchiridium, 49; édit. Koraï.

3. Pro Murena, passim; Epist. ad Atticum, et ad Fam., passim.

et xi,

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de Panétius qu'il expose. Enfin, on reproche à Sénèque les hachures et l'affectation de ses phrases'.

L'élève de Cornutus a été plus fidèle encore au vieux costume de son école. Le laconisme et l'emblème, les allusions érudites et même pédantesques, les subtilités syllogistiques, toutes les formes acérées d'une dialectique incisive, se retrouvent dans son style, mais perfectionnées et ennoblies par les combinaisons de l'art ou par les inspirations du talent. Il n'y a pas de poète latin, il n'y a peut-être aucun poète qui ait porté aussi loin que Perse la précision dans le raisonnement, la rapidité dans l'expression, l'originalité dans le tour ou dans les images; et, à une époque où tous les écrivains cherchaient le sublime 2, nul ne l'a rencontré plus naturellement. Ses maximes sont si heureuses qu'on les répète encore 3; ses critiques ont la causticité

1. Arena sine calce, disait Caïus de son style. Voyez aussi le jugement qu'en porte Quintilien.

2.

Grande aliquid.

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Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter?
Virtutem videant, intabescantque relicta.

Ut nemo in sese tentat descendere; nemo!

Cædimus, inque vicem præbemus terga sagittis.
Grande locuturi nebulas Helicone legunto.

Mille hominum species, et rerum discolor usus.

Vive memor lethi; fugit hora; hoc quod loquor inde est.
Messe tenus propria vive, etc.

Tous ces vers ont fait proverbe, et d'autres encore que je ne cite pas.

ingénieuse et vraie qui désespère les mauvais; ses descriptions, des traits énergiques et sûrs qu'on ne peut plus oublier'; ses jugemens, le ton absolu qui sied à l'homme supérieur. Une sensibilité profonde et contenue donne de la portée à ses moindres paroles; et, lorsqu'elle s'échappe, c'est par les mouvemens d'une éloquence généreuse ou terrible qui ravit ou qui écrase. S'il n'a, en général, ni l'aimable enjouement d'Horace, ni la facilité brillante de Juvénal, il se distingue par l'audace et par les teintes

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Nescio quid tecum grave cornicaris ineptum.
Eluctata canis nodum abripit; attamen illi
Quum fugit, a collo trahitur pars longa catena.
Sed, censen' plorabit, Dave, relicta?
Nugaris solea puer objurgabere rubra.

-

.....

Ce dernier vaut celui-ci de Racine, si justement vanté :

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Crois-tu, si je l'épouse,

Qu'Andromaque en son cœur n'en sera point jalouse?

-Allez, seigneur, allez vous jeter à ses pieds.

Même ils ont tant d'analogie, que l'un pourrait bien avoir inspiré l'autre.

fortes d'une mélancolie qui attache les âmes honnêtes le ton de Perse ressemble à Molière dans le rôle du Misanthrope.

IV. Système de composition.

Quant à sa composition, elle porte, comme son style, l'empreinte du stoïcisme. Méthodique et serrée, toutes les parties en sont rigoureusement arrêtées chacune à leur place, et toujours soigneusement renfermées dans un cadre poétique choisi pour chaque sujet. De là une marche directe et ferme, de la proportion, de l'unité; toutes choses auxquelles Juvénal, emporté par la fougue de son génie, ne songe pas assez1; et qu'Horace, qui craint par dessus tout de faire le pédant et le docteur, paraît négliger dans le laisser -aller heureux de ses conversations en vers. Perse compose au contraire avec une sévérité qui va jusqu'à la raideur et à la tristesse : c'est le digne interprète de la sagesse rigoureuse et inflexible de Zénon.

V. Défauts du style de Perse.

On se plaint beaucoup, et non sans raison, de l'obscurité du style de Perse: on l'explique ou on l'excuse par la nécessité d'envelopper de voiles les vérités dangereuses qu'il avait à dire aux puissances. Cette explication a du vrai sans doute;

1. Il y songe si peu quelquefois, qu'il dévient déclamateur. Sa satire x, où il y a de si beaux détails, n'est, à la considérer dans son ensemble, qu'une longue déclamation. Voltaire l'a remarqué, et La Harpe après lui.

l'auteur avoue lui-même qu'il parle à mots couverts, à demi-mots, qu'il est obligé d'enfouir sa pensée dans ses vers1. Il faut cependant que son obscurité tienne encore à d'autres causes, puisqu'il n'attaque pas toujours le pouvoir et que son style est à peu près toujours le même. Elle tient d'abord à ce principe, que plus les littératures s'étendent et se perfectionnent, plus les langues acquièrent de précision et de rapidité : à mesure que les idées se multiplient, les penseurs éprouvent le besoin d'en réduire l'expression. Elle tient encore et surtout à la singularité et à la concision particulières au langage des stoïciens. Aussi lui est-elle commune avec la plupart des écrivains de cette école, particulièrement avec Marc-Aurèle, qui, comme lui, concentre ses sentimens et ses idées sous très-peu de mots : ces hommes ne demandaient aux langues que de suffire à la pensée, comme ils ne demandaient à la vie que de fournir à la vertu 2.

C'est la force d'une doctrine commune qui rapproche Perse de Marc-Aurèle; rien d'ailleurs ne ressemble moins aux entretiens du bon empereur avec lui-même que les philippiques du poète contre la ville et la cour. Dans celui-ci, le cynisme et la

I. Men' mutire nefas, nec clam, nec cum scrobe? Nusquam.

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