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de la nature le plus sûr moyen d'y parvenir, était plus propre qu'aucun autre à calmer l'effervescence des passions politiques et militaires, à retenir les esprits dans l'amour de l'ordre et des lois, à prévenir tant de guerres et de massacres, et enfin, en mèlant les mœurs de la Grèce à celles du Latium, à concilier la liberté romaine avec la civilisation de la terre ? C'est ce qu'indiqueraient du moins et le poëme de Lucrèce, et plusieurs des ouvrages de Cicéron, et les sermons du bon Horace, et la vie entière de cet Atticus dont tous les partis respectèrent les vertus et recherchèrent l'amitié, sans pouvoir obtenir jamais qu'il renonçât à sa retraite studieuse et modeste, pour prendre part aux débats sanglans et inutiles de ses concitoyens1. Non; il n'est pas vrai que la doctrine d'Épicure ait perverti les Romains; c'est l'ignorance d'abord, et ensuite le despotisme, qui pervertit la doctrine d'Épicure.

II. Ce que devint la littérature sous Auguste et sous ses premiers

successeurs.

L'usurpation, qui fait arme de tout, voulut employer à son profit ce mouvement des esprits vers la littérature et les arts, qui avait commencé longtemps avant la chute de la république, et auquel la liberté était si favorable. L'habile Octave se donna garde d'ôter aux Romains cet exercice des beauxarts, qui était devenu pour eux un besoin, qui

1. Voyez CORNEL. NEPOS, Vie de Pompon. Atticus; CICERON, Lett. à Atticus, et d'Atticus à Cicéron; PLUTARQUE, Vic des hommes illustres, passim.

pouvait leur faire oublier l'exercice de leurs droits politiques, et qui devait jeter tant d'éclat sur son administration: il leur laissa la république des lettres, prenant soin, toutefois, de régler celle-ci comme l'autre, par des établissemens conformes à sa principauté1. Tels furent l'intendance des beauxarts confiée à Mécénas, le temple-muséum d'Apollon Palatin2, une foule d'autres temples littéraires élevés dans les provinces 3, et ces concours de poésie et d'éloquence, qui revenaient tous les ans au mois qui porte le nom d'Auguste 4. C'est la politique qu'avaient suivie les Pisistratides à Athènes et les Ptolémées en Égypte. C'est à peu près ainsi qu'après nos guerres de religion, Richelieu chercha à diriger et à contenir l'esprit public par des fondations comme la Sorbonne et l'Académie française.

Mais le despotisme des empereurs ne fut pas longtemps favorable à l'art de penser et d'écrire. Après avoir produit des chefs-d'œuvre sous Auguste, la poésie, sous Tibère, fut réduite au timide apologue ou à des pièces de concours 5; aux grandes compositions historiques des Salluste, des Trogue-Pom

1. SUÉTONE, Auguste, ch. xxix; DION CASSIUS, liv. LIII, au début; OVIDE; PROPERCE; TACITE, Ann., liv. III, ch. 1, 59.

2. HORACE, Épit., liv. 11, ép. 1, v. 216; PERSE, Prologue, etc.

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5. Phèdre écrivit sous Tibère. La plupart des poètes ses contemporains versifiaient pour la cour sur la mort ou sur la naissance des princes, pour les prix du mois d'août.

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INTRODUCTION.

pée, des Tite-Live, succédèrent des abrégés chronologiques remplis de flatteries ou de déclamations, comme ceux des Velleius et des Florus; l'éloquence devint l'art de voiler la pensée, ou plutôt d'accréditer le mensonge1; enfin, cette indépendance des opinions philosophiques et cet heureux éclectisme, qui avaient distingué un siècle de lumières, firent place à l'intolérance étroite et aux querelles pitoyables de deux sectes qui déshonoraient les grands noms de ceux qu'elles appelaient leurs fondateurs. D'un côté, de prétendus disciples d'Épicure, qui, faisant consister le bonheur dans des voluptés grossières, au lieu de le placer dans les jouissances de l'âme, dans ce noble plaisir d'étudier l'homme et la nature, caractère véritable de la philosophie dont Lucrèce et Horace s'étaient faits les interprètes enchanteurs, bornaient leurs connaissances à savoir distinguer les mets les plus délicats, à se tenir au courant des caprices de la mode, à célébrer leurs sots plaisirs dans de petits vers prétentieux et lascifs, et oubliaient dans une lâche oisiveté les maux de leur patrie 2. Beaucoup de courtisans, beaucoup d'hommes d'une grande fortune, des gens de lettres parasites, des misérables vivant des libéralités du prince ou du patron3 : voilà ceux qui composaient

1. Voyez, dans TACITE, les discours de Tibère et ceux de la plupart des sénateurs.

2. HORACE, Sat., liv. 11, sat. 4, passim; PERSE, sat. i et vi; TACITE, sim.

pas

3. JUVENAL, passim; LUGIEN, des Gens de lettres à la solde des grands, et passim.

cet ignoble troupeau, que Sénèque lui-même, le stoïcien Sénèque, désavoue pour l'école d'Épicure1.

D'un autre côté, des stoïciens sans dignité, sans égalité d'âme, des hommes tristes, taciturnes, moroses, pédans et ignares, ou d'un cynisme révoltant; des sages insensés, déclamant contre les richesses, contre les honneurs, contre les plaisirs, contre ce qu'ils n'ont pas, ou ce dont ils ne savent pas l'usage3. Des gens des écoles, des habitués du Forum, des avaricieux, des hommes de guerre mécontens, ou des ambitieux cachant leurs intrigues sous les dehors de l'indépendance 4 : tels étaient les élémens de cette secte, plus méprisable encore que l'autre en ce qu'elle joignait l'hypocrisie à la corruption. L'auteur des Lettres à Lucilius 5 recommande de ne pas prendre pour la sagesse les formes rechignées de ce faux stoïcisme; Horace, Juvénal et Lucien en ont fait justice dans leurs satires.

III. Comment la littérature se releva de cet avilissement, et redevint une puissance.

Cependant, au dessus de ces deux classes d'hommes également abjects, également indignes du titre de citoyen et de celui de philosophe, quelques Romains cherchaient à créer une force morale qui

1. Lettres à Lucilius, passim.

2. Juvénal, sat. 111; LUCIEN, passim.

3. SENEQUE, passim.

4. Tacite, Ann., liv. xiv, ch. 57, en parlant de Tigellin : « Assumpta etiam stoicorum arrogantia sectaque quæ turbidos et negotiorum appetentes faciat. >>

5. SÉNÈQUE, lett. v, au début, et passim.

les

pût retremper les âmes, et une opinion publique capable de lutter contre le despotisme : c'étaient les descendans de la vieille aristocratie. Épuisée par guerres civiles et les proscriptions, réduite au silence ou à la flatterie sous Auguste et sous Tibère, consternée par les fureurs de Caïus comme le reste de la nation, elle releva la tête sous Claude et pendant les premières années du règne de Néron. Les excès du gouvernement de l'espionnage et de la terreur, les souvenirs encore puissans des vertus républicaines, et enfin l'arrivée au timon de l'état de quelques hommes de bien, lui avaient rendu l'espoir'; elle trouva, dans la doctrine du Portique, une énergie nouvelle 2. Cette doctrine généreuse et audacieuse, qui fait de l'homme un athlète luttant contre la destinée, convenait à ses vertus et à ses malheurs; elle en saisit avidement les principes; elle les répandit dans une foule d'écrits; elle les porta dans la vie publique et dans la vie privée, à la ville, à la campagne, au Forum, à l'armée, au sénat, à la cour. Sénèque et Cornutus en furent les principaux docteurs; Perse, Césius Bassus3, Lucain et Juvénal, les poètes les plus célèbres; Burrhus, Corbulon, Helvidius Priscus, Hérennius Sénécion et d'autres, les héros ou les martyrs. Des femmes illustres l'honorèrent par leurs écrits et par leur

1. Videbaturque locus patefactus virtutibus. (TACIT., Ann. lib. xIII, c. 8.) 2. MONTESQUIEU, Esprit des lois, liv. xxiv, ch. 1o.

3. Il passe pour le premier des lyriques latins après Horace. Voyez PERse, sat. iv, initio, et son scoliaste.

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