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nues, ne montre point de plus magnifiques spectacles que ce temps inconnu dont leur seule imagination a créé tous les évènements.

FONTANES. Disc. prélim. de la Trad. de l'Essai sur l'Homme.

Horace.

Quoiqu'il n'ait point écrit de poëme sur la philosophie, il en a tant répandu dans ses Odes et dans ses Epîtres, qu'on ne peut le passer sous silence. Qui mieux que lui, pour me servir de l'expression pittoresque de Montagne, sut presser la sentence au pied nombreux de la poésie ? Ceux qui ont paru croire que le goût rendait le talent timide auraient dû se détromper en lisant Horace. La justesse et l'audace se réunissent dans son expression; et quand l'oreille est remplie de son rhythme harmonieux, l'imagination ébranlée par ses figures hardies, la raison, en décomposant les beautés de ce poëte, prouve qu'elle en a toujours suivi les écarts et gouverné le délire: mais l'esprit, que fatigue aisément la poésie lyrique, se repose avec plus d'intérêt encore sur la philosophie consolante qui respire dans ses belles épîtres. Elles instruisent tous les états; elles hâtent l'expérience de tous les âges; elles apprennent au jeune homme, au vieillard à jouir sagement de la vie, à se consoler de la mort, à réunir la volupté avec la décence, la raison avec la gaieté. L'homme de lettres y trouve les préceptes du goût; l'homme de bien ceux de la vertu. Elles font rire l'habitant de la ville des travers qu'il a sous les yeux; elles retracent au solitaire le charme de sa retraite dans la joie et dans la douleur, dans l'indigence et dans les richesses, elles donnent des plaisirs ou des leçons: elles tiennent lieu d'un ami; et quand on a

le bonheur d'en posséder un, elles font mieux sentir le charme de l'amitié.

Montesquieu a dit que l'esprit de modération était celui de la monarchie. Horace semble l'avoir senti; il cherche à fixer le caractère inquiet et farouche des républicains dans les jouissances douces d'une vie toujours égale. Sa philosophie consiste à fuir tous les excès, principe également fécond pour le goût et pour le bonheur.

Le méme.

Tacite.

Pour peu qu'on soit sensible, au nom de Tacite, l’imagination s'échauffe et l'ame s'élève. Si on demande quel est l'homme qui a le mieux peint les vices et les crimes, et qui inspire mieux l'indignation et le mépris pour ceux qui ont fait le malheur des hommes ? je répondrai, c'est Tacite. Qui donne un plus saint respect pour la vertu malheureuse, et la représente d'une manière plus auguste, ou dans les fers, ou sous les coups d'un bourreau ? c'est Tacite. Qui a le mieux flétri les affranchis et les esclaves, et tous ceux qui rampaient, flattaient, pillaient et corrompaient à la cour des empereurs? c'est encore Tacite. Qu'on me cite un homme qui ait jamais donné un caractère plus imposant à l'histoire, un air plus terrible à la postérité. Philippe II, Henri VIII et Louis XI n'auraient jamais dû voir Tacite dans une bibliothèque, sans une espèce d'effroi.

Si de la partie morale nous passons à celle du génie, quel homme a dessiné plus fortement les caractères ? qui est descendu plus avant dans les profondeurs de la politique ? a mieux tiré de grands résultats des plus petits évènements? a mieux fait, à chaque ligne, dans l'histoire d'un homme, l'histoire de l'esprit humain et de tous les

siècles? a mieux surpris la bassesse qui se cache et s'enveloppe? a mieux démêlé tous les genres de crainte, tous les genres de courage, tous les secrets des passions, tous les motifs des discours, tous les contrastes entre les sentiments et les actions, tous les mouvements que l'ame se dissimule? a mieux tracé le mélange bizarre des vertus et des vices, l'assemblage des qualités différentes et quelquefois contraires; la férocité froide et sombre dans Tibère, la férocité ardente dans Caligula, la férocité imbécille dans Claude, la férocité sans frein comme sans honte dans Néron, la férocité hypocrite et timide dans Domitien; les crimes de la domination et ceux de l'escla

vage;

la fierté qui sert d'un côté pour commander de l'autre ; la corruption tranquille et lente, et la corruption impétueuse et hardie; le caractère et l'esprit des révolutions, les vues opposées des chefs, l'instinct féroce et avide du soldat, l'instinct tumultueux et faible de la multitude; et dans Rome, la stupidité d'un grand peuple, à qui le vaincu, le vainqueur, sont également indifférents, et qui, sans choix, sans regret, sans désir, assis aux spectacles, attend froidement qu'on lui annonce son maître ; prêt à battre des mains au hasard à celui qui viendra, et qu'il aurait foulé aux pieds, si un autre eût vaincu ? Enfin, dix pages de Tacite apprennent plus à connaître les hommes, que les trois quarts des histoires modernes ensemble. C'est le livre des vieillards, des philosophes, des citoyens, des courtisans, des princes. Il console des hommes celui qui en est loin; il éclaire celui qui est forcé de vivre avec eux. Il est trop vrai qu'il n'apprend pas à les estimer mais on serait trop heureux que leur commerce à cet égard ne fût pas plus dangereux que Tacite

même.

J'ai parlé de son éloquence; elle est connue. En géné– ral, ce n'est pas une éloquence de mots et d'harmonie,

:

et

c'est une éloquence d'idées qui se succèdent et se heurtent. Il semble par-tout que la pensée se resserre pour occuper moins d'espace. On ne la prévient jamais, on ne fait qué la suivre. Souvent elle ne se déploie pas toute entière, elle ne se montre, pour ainsi dire, qu'en se cachant. Qu'on imagine une langue rapide comme les mouvements de l'ame; une langue qui, pour rendre un sentiment, ne le décomposerait jamais en plusieurs mots; une langue dont chaque son exprimerait une collection d'idées telle est presque la perfection de la langue romaine dans Tacite. Point de signe superflu, point de cortège inutile. Les pensées se pressent et entrent en foule dans l'imagination ; mais elles la remplissent sans la fatiguer jamais. A l'égard du style, il est hardi, précipité, souvent brusque, toujours plein de vigueur. Il peint d'un trait. La liaison est plus entre les idées qu'entre les mots. Les muscles et les nerfs y dominent plus que la grace. C'est le Michel-Ange des écrivains. Il a sa profondeur, sa force, et peut-être un peu de sa rudesse.

THOMAS.

Le même.

On ne peut pas dire de Tacite comme de Salluste, que ce n'est qu'un parleur de vertu ; il la fait respecter à ses lecteurs, parceque lui-même paraît la sentir. Sa diction est forte comme son ame, singulièrement pittoresque, sans jamais être trop figurée, précise sans être obscure, nerveuse sans être tendue. Il parle à la fois à l'ame, à l'imagination, à l'esprit. On pourrait juger des lecteurs de Tacite par le mérite qu'ils lui trouvent, parceque sa pensée est d'une telle étendue, que chacun y pénètre plus ou moins, selon le degré de ses forces. Il creuse à une profondeur immense, et creuse sans effort. Il a l'air bien

moins travaillé que Salluste, quoiqu'il soit, sans comparaison, plus plein et plus fini. Le secret de son style, qu'on n'égalera peut-être jamais, tient non seulement à son génie, mais aux circonstances où il s'est trouvé.

Cet homme vertueux, dont les premiers regards, au sortir de l'enfance, se fixèrent sur les horreurs de la cour de Néron, qui vit ensuite les ignominies de Galba, la crapule de Vitellius et les brigandages d'Othon, qui respira ensuite un air plus pur sous Vespasien et sous Titus, fut obligé, dans sa maturité, de supporter la tyrannie ombrageuse et hypocrite de Domitien. Obscur par sa naissance, élevé à la questure par Vespasien, et se voyant dans la route des honneurs, il craignit pour sa famille d'arrêter les progrès d'une illustration dont il était le premier auteur, et dont tous les siens devaient partager les avantages. Il fut contraint de plier la hauteur de son ame et la sévérité de ses principes, non pas jusqu'aux bassesses d'un courtisan, mais du moins jusqu'aux complaisances, aux assiduités d'un sujet qui espère, et qui ne doit rien condamner, sous peine de ne rien obtenir. Incapable de mériter l'amitié de Domitien, il fallut ne pas mériter sa haine, étouffer une partie des talents et du mérite du sujet, pour ne pas effaroucher la jalousie du maître; faire taire à tout moment son cœur indigné, ne pleurer qu'en secret les blessures de la patrie et le sang des bons citoyens, et s'abstenir même de cet extérieur de tristesse qu'une longue contrainte répand sur le visage d'un honnête homme, et toujours suspect à un mauvais prince, qui sait trop que, dans sa cour, il ne doit y avoir de triste que la vertu. Dans cette douloureuse oppression, Tacite, obligé de se replier sur lui-même, jeta sur le papier tout cet amas de plaintes, et ce poids d'indignation dont il ne pouvait autrement se soulager: voilà ce qui rend son style si intéressant et si animé. Il n'invective point en déclamateur ;

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