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CHAPITRE VIII

COMPLÉMENTS DES NOMS

Bouhours avait sur ce chapitre des scrupules délicats, que je voudrais essayer d'expliquer et de classer. D'abord il n'admet pas qu'un nom ait un complément par analogie avec un autre, cet autre fût-il son synonyme. On dit fort bien l'embrasement de Troie, non l'incendie de Troie (Rem., 585-586; cf. Apoth., 81).

1° COMPLÉMENTS OBJECTIFS DES NOMS. Le complément objectif du verbe actif, soit direct, soit indirect, tend à devenir complément du nom correspondant. A craindre Dieu correspond la crainte de Dieu. Mais il ne suffit pas qu'un substantif ait un sens objectif pour qu'on soit en droit de lui donner un complément d'objet : la frayeur du péché est mal parler; il faut un verbe: la frayeur qu'ont les saints du péché (D., 106). Ne dites pas: la victoire d'un ennemi, pour : « qu'on a remportée sur un ennemi » (1b., 105), ni la résolution d'un combat (Ib., 90), ni la confiance de la victoire, ou l'offre de porter les clefs (Suit., 26)1. Il ne faut pas estropier ainsi les phrases correctes : l'offre qu'on lui fit de porter les clefs. Andry de Bois-Regard ne voudrait pas une réglementation si étroite. La confiance de la victoire, expression fréquente chez Vaugelas, lui parait acceptable (Suit., 43-45).

En réalité, ces constructions objectives des noms sont assez fréquentes chez les classiques: L'admiration de tant d'hommes parfaits... N'est pas grande vertu si l'on ne les imite (Corn., V, 540S41, Nic., v. 642-644); dans l'indifférence des religions ou dans l'atheisme (Boss., Or. fun. Henr. de Fr., éd. Rébell., 101); une secrète confiance des ressources qu'elle sent (Id., Or. fun. Henr. d'Angl.,

1. Malherbe avait déjà relevé des compléments objectifs qui ne lui agréaient pas: le peu de soin de cet homme-là, l'ennui de son fils (IV, 302, 466). A son tour, le P. Bouhours observe que ce qui est possible avec certains substantifs comme souffrance: la souffrance de tous les maux pour l'amour de Jesus-Christ, ne l'est pas avec tous (Rem.,

Ib., 153); la foi de la Providence (Id., Prov., 1662, 2o p., éd. Leb., IV, 132)'.

2° LE COMPLÉMENT OBJECTIF EST UN POSSESSIF. Les puristes commencent à faire quelques objections contre l'emploi des possessifs avec un sens objectif: à mon égard, sauf votre respect. Ce n'est pas naturellement à ces locutions toutes faites qu'on s'en prend, mais à des phrases semblables. « On dit, en parlant d'un Prince comme le nostre; la terreur de son nom, la terreur de ses armes : mais je ne scache pas qu'on dise, sa terreur, pour marquer l'épouvante qu'il répand par tout» (Bouh., D., 88). On ne dit pas non plus: Elle ne vent point recevoir de consolation de leur perte (Id., Suit., 53). Molière avait dit: De faire voir aux gens que leur perte nous blesse (1, 193, Dép. am., v. 1398).

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3 LES COMPLÉMENTS DES NOMS ET LES COMPLÉMENTS DES ADJECTIFS. Le nom n'a pas non plus nécessairement le même complément que l'adjectif correspondant: la capacité des grandes affaires est mal parler (Bouh., D., 104)3.

Les noms signi

4o COMPLÉMENTS D'AGENTS AJOUTÉS A DES NOMS. fiant des actions n'ont pas, suivant Bouhours, la même construction que les verbes passifs correspondants: « Les bons écrivains ne disent pas le Renversement de la morale de Jesus-Christ par les erreurs des Calvinistes; ni la défaite de Goliat par David; ni la défaite des Espagnols par l'Armée de M. le Prince » (D., 179-180). Chapelain avait peur également d'une équivoque, quand il écrivait au marquis de Grignan: « on ne dit point bien les malheurs de la Fortune pour les malheurs que cause la Fortune, la Fortune n'estant pas capable de malheur mais seulement de faire des malheurs » (Lett., 6 av. 1660, Ms. fds fr., Nouv. Acq., no 1887, f° 99 vo).

1. Il faut même remarquer que certains noms ainsi construits n'ont pas de verbes qui leur correspondent: Le zèle de votre prince... et le bien public vous tiennent continuellement attaché (Rac..., II, 363, Bérén., Epitre); L'émulation de cet homme a peuplé le monde de noms en O et en I (La Bruy., II, 199, De quelq. us.).

les

gens

2. Cf. Je l'ai bien ru, Madame; et, sans votre respect, je lui aurois appris à connoître de qualité (Mol., III, 330, Crit. de l'Ec. des Fem., sc. 4); Et qu'il eût mieux valu pour moi, pour mon estime, Suivre les mouvements d'une peur légitime (Id., I, 456, Dép. am.. v. 821-822); Je vous donne ma parole, Seigneur Dom Pedre, qu'à votre considération, je m'en vais la traiter du mieux qu'il me sera possible (Id., VI, 273, Sicilien, sc. 17); il y en a plusieurs qui... se persuadent à la fin qu'une chose qu'ils auront condamnée d'abord avec justice, sera bonne parce qu'ils auront esté souvent obligez de parler en faveur pour d'autres considérations (Fur., Rom. bourg., I, 122).

3. V. Belleg., Eleg., 192: impuissance n'a pas de régime. Cf. Rosset, o. c., 96-97.

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CHAPITRE IX

COMPLÉMENTS DES ADJECTIFS

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RESTRICTIONS A LA LIBERTÉ D'AJOUTER DES COMPLÉMENTS. C'est un des secrets de notre langue, dit Bouhours, de savoir distinguer les adjectifs qui peuvent se construire avec un complément, substantif ou verbe, et ceux qui se construisent sans complément (Rem., 191). Cette réflexion traduit un sentiment général. Pas plus que pour les noms, les analogies ne doivent point entrainer de constructions nouvelles. Et on essaie d'arrêter, au moins par des exclusions, la liste des adjectifs autorisés à se faire suivre d'un complément. A l'exemple de Bouhours, tous se mettent à épiloguer. Ambitieux d'honneur ne plaisait pas à Bouhours (D., 112). Ménage l'acceptait, quoique moins naturel que certains autres (O., I, 397); Alemand l'admettait aussi (Guer. civ., 118-119). Mais Furetière prend texte de ce cas pour nous dire que « les Epithetes qui... marquent les vices ou les vertus, ne regissent jamais les choses qui sont leur objet particulier. On ne dit pas : Ambitieux de fortune, prodigue ou avare d'argent... non plus que Vaillant dans les perils, vaillant à la guerre » (Rem. s. l. l. fr., 256). On s'occupa du problème à l'Académie, où ambitieux d'honneur parvint à se maintenir; en revanche, ambitieux d'honneurs fut violemment attaqué! (Chois., Journ., 305)'.

Bellegarde va beaucoup plus loin. Il fait une revue générale des adjectifs auxquels on donne abusivement un complément. Les exemples qu'il apporte ne l'avertissent pas de s'arrêter dans ses théories restrictives (Eleg., 48). Il avoue même sans embarras qu'il n'a encore « lù aucun Livre François, où il n'ait trouvé des fautes en cette matiere » (Eleg., 188); ceci ne l'empêche pas de légi

férer.

Voici des tours qu'on a eu tort d'employer, suivant les divers. théoriciens dévot à quelqu'un (Belleg., Eleg., 191); Je ne ren

4. Chevreau censurait dans Malherbe: Ambitieux de meriter sa bienveillance (Ms. Niort, 160, dans Boiss.).

contre ici que deux ou trois mortels, Encor tres peu dévots à nos sacrés autels (La Font., VII, 174, v. 310-511);

délicat à reconnoître les faux raisonnemens, délicat à étre blessé (Belleg., Eleg., 194);

desireux de la gloire, desireux d'instruire (Bouh., Rem., 14); cf. c'était une personne rude et hagarde, et plustost desireuse de sang et de guerre, que non pas de paix (Astrée, 1614, II, 775). L'Académie, le 29 septembre 1674, avait jugé désireux vieux, mais capable encore d'entrer dans ces deux phrases: desireux de choses nouvelles, desireux d'apprendre (Reg., IV, 92);

emporté à détruire (Belleg., Eleg., 197); empressé à honorer (Id., lb.); M. de Coulanges est si empressé à voir vos Lettres (Sév., VII, 450) ' ;

farouche à soi-même (Belleg., Eleg., 189)2;

furieux de la liberté et du bien public (Id., Ib., 190);

ignorant de quelque chose, de l'Arabe (Id., Ib., 190); gens... ignorants des détours de la conscience (Mol., IX, 314, Mal. imag., act. I, sc. 7);

impatient du joug avait été employé par Balzac, dans le Socrate chrestien. Ménage, malgré Bouhours, approuve cette expression, déjà usitée en latin (O., I, 397; cf. Bouh., Rem., 515; D., 112). Bellegarde condamne impatient de faire connoître l'envie (Eleg., 194); Impatient déjà d'expier son offense (Rac., III, 344, Phèd., v. 705); Impatient du frein (La Font., VIII, 480, Poés.); l'homme... impatient de la nouveauté (La Bruy., II, 249, Des esp. forts);

:

impropre au dessein qu'il a ne se dit point (Bouh., Rem., 234); impuissant à me taire (Bouh., Entr., 144; cf. Belleg., Eleg., 192); Je crois qu'à mon exemple impuissant à trahir, Il hait à cœur ouvert, ou cesse de haïr (Rac., II, 327, Brit., v. 13171318);

incertain de regner (Belleg., Eleg., 191); Infortuné, proscrit, incertain de régner (Rac., II, 502, Baj., v. 483; cf. Lex.)3⁄4;

incurable n'a pas de régime, malgré Voiture et Costar (Bouh., Rem., 191-192; cf. Belleg., Eleg., 193);

indulgent au plaisir (Belleg., Eleg., 193); Arbate,... indulgent à la passion du Prince (Mol., IV, 143, Pr. d'El., act. I, sc. 1, Exposé); Rome lui sera-t-elle indulgente ou sévère (Rac., II, 391, Bérén.,

1. On trouve aussi empressé pour : empressé pour engager dans une affaire des personnes qui... n'osent... refuser d'y entrer (La Bruy., 1, 60, Les Car. de Théophr.).

2. On trouve aussi farouche pour : elle est toujours fort farouche pour le monde (Rac., VII, 237, Lett.).

3. Cf. Admette incertain quel parti prendre (Perrault, Rec., 285).

v. 368); Un homme... inexorable à soi-même, n'est indulgent aux autres que par un excès de raison (La Bruy., I, 207, Du cœur);

innocente de votre sang (Belleg., Eleg., 189);

insatiable d'honneur est très bon, suivant Ménage (O., II, 448), et malgré «Sa Prétiosité », lisez Bouhours (cf. Entr., 139; Rem., 191);

intelligent n'a pas de régime (Apoth., 150); il se rencontre aussi plusieurs Medecins maladifs fort intelligens aux maladies (Bezanç., Med. à la Cens., 86);

intrépide n'a pas de régime (Bouh., Rem., 191; cf. Belleg., Eleg., 193);

paisible aux Romains (Belleg., Eleg., 197);

prodigue d'argent (Id., Ib., 48); De ces mains (des grands artistes) dont les temps ne sont guère prodigues (Mol., IX, 559, Val de Gráce, v. 335)1;

ridicule à tout le monde (se rendre) (Belleg., Eleg., 193);

stérile n'a pas de complément. Tout au plus peut-on dire sterile en bled (Bouh., Entr., 145);

suffisante de servir de règle (cf. t. III, 473, et Belleg., Eleg., 195; l'expression est de Vaugelas, Préf. des Rem.); que de discours! Rien n'est-il suffisant d'en arrêter le cours (Mol., I, 451, Dép. am., v. 753-754);

victorieux de Ménage cite Malherbe, Chapelain, Desmarets, Segrais, qui ont construit victorieux avec un complément, particulièrement avec des ans (O., I, 396-397; cf. Rem. s. Malh., II, 255).

Les écrivains de l'époque classique, malgré les prescriptions rigoureuses dont nous venons de parler, ne se faisaient point de scrupules excessifs au sujet de la construction des compléments d'adjectifs. Je noterai d'abord qu'ils aimaient les adjectifs à sens passif construits avec à ́: Médée est inaccessible à tous ses domestiques dans son chagrin (Rac., VI, 255, Liv. ann.); Je voulois qu'à mes vœux rien ne fût invincible (Rac., II, 423, Bérén., v. 1091; cf. 553, Baj., v. 1594, et Boil., Sat., X, v. 128: invincible aux plaisirs); ceux qui ont gardé leur áme toujours inviolable à l'injustice (Rac., VI, 20, Rem. s. Pind.; cf. V, 533, Trad.); Socrate étoit aussi invulnérable aux richesses qu'Ajax au fer (Id., VI, 272, Liv. ann.) ; Un éclat qui le rend respectable aux Dieux même (Id., III, 507, Esth., v. 678); c'est un mystere impenetrable aux plus éclairez (Refl. s. la poet. d'Arist., 62); insupportable à un grand courage (Boss., Or.

4. On trouve prodigue en Par qui le Ciel pour vous prodigue en ses présents (La Font., III, 251, v. 26).

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