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CHAPITRE XIX

ACCORD DES PARTICIPES PASSÉS

LES VERBES CONJUGUÉS AVEC AVOIR

GÉNÉRALITÉS. La règle générale des participes avec avoir, si malheureusement formulée d'après l'italien par Marot, avait été, nous l'avons vu, mise au point par Vaugelas. Toutefois elle était loin d'être généralisée. Elle admettait encore l'invariabilité du participe dans tant de cas qu'une réaction demeurait possible. Au lieu que l'habitude de faire varier le participe s'étendit à tous les cas, l'usage de le laisser invariable avait encore quelque chance de l'emporter.

Mais l'intervention des grammairiens, pesant toujours du même côté, fit définitivement pencher la balance. Une explication manquait, qui prouvat qu'on devait dire la lettre que j'ai reçue, à côté de: j'ai reçu la lettre. La grammaire logique s'ingénia à la fournir. Je voudrais la rapporter tout entière.

Il n'est pas aisé, dit la Grammaire générale, de rendre raison de ces façons de parler. « Voila ce qui m'en est venu dans l'esprit pour le François, que je considere icy principalement.

<< Tous les Verbes de nostre Langue ont deux participes, l'un en ant, et l'autre en é, i, u, selon les diverses conjugaisons, sans parler des irreguliers, aimant, aimé, écrivant, écry, rendant, rendu.

«Or on peut considerer deux choses dans les participes: l'une d'estre vrais noms adjectifs, susceptibles de genres, de nombres, et de cas; l'autre d'avoir, quand ils sont actifs, le mesme regime que le verbe, amans virtutem. Quand la premiére condition manque, on appelle les participes gerondifs, comme amandum est virtutem : Quand la seconde manque, on dit alors que les participes actifs sont plustost des noms que des participes.

<< Cela estant supposé, je dis que nos deux participes aimant et aimé, entant qu'ils ont le mesme regime que le Verbe, sont plustost des Gerondifs que des participes. Car Monsieur de Vaugelas a

déja remarqué que le participe en ant, lors qu'il a le regime du Verbe, n'a point de feminin, et qu'on ne dit point par exemple : j'ay veu une femme lisante l'Escriture, mais lisant l'Escriture. Que si on le met quelquefois au plurier; j'ay veu des hommes lisans l'Escriture, je crois que cela est venu d'une faute, dont on ne s'est pas apperceu, à cause que le son de lisant et de lisans, est presque tousjours le mesme, le t, ny l's ne se prononçant point d'ordinaire. Et je pense aussi que lisant l'Escriture est pour en lisant l'Escriture, in zò legere scripturam; de sorte que ce Gerondif en ant, signifie l'action du verbe, de mesme que l'Infinitif.

« Or je croy qu'on doit dire la mesme chose de l'autre participe, aimé; sçavoir que quand il regit le cas du verbe, il est Gerondif, et incapable de divers genres, et de divers nombres, et qu'alors il est actif, et ne differe du participe ou plustost du Gerondif en ant, qu'en deux choses: L'une en ce que le Gerondif en ant est du present, et le gerondif en é, i, u, du passé l'autre, en ce que le gerondif en ant, subsiste tout seul, ou plutost en sous-entendant la particule en, au lieu que l'autre est tousjours accompagné du verbe auxiliaire, avoir, ou de celuy d'estre qui tient sa place en quelques rencontres, comme nous dirons plus bas. J'ay aimé Dieu, etc.... Mais ce dernier participe, outre cét usage d'estre Gerondif actif, en a un autre, qui est d'estre participe passif, et alors il a les deux genres et les deux nombres selon lesquels il s'accorde avec le substantif, et n'a point de regime. Et c'est selon cét usage qu'il fait tous les temps passifs avec le Verbe estre, il est aimé, elle est aimée, ils sont aimez, elles sont aimées.

<«< Ainsi pour resoudre la difficulté proposée, je dis que dans ces façons de parler, j'ay aimé la chasse, j'ay aimé les livres, j'ay aimé les sciences, la raison pourquoy on ne dit point; j'ay aimée la chasse, j'ay aimez les livres ; c'est qu'alors le mot aimé ayant le regime du verbe, est gerondif, et n'a point de genre ny de nombre.

« Mais dans ces autres façons de parler, la chasse qu'i! a armée, les ennemis qu'il a vaincus, ou, il a deffait les ennemis, il les a vaincus, les mots aimé, vaincu, ne sont pas considerés alors comme gouvernant quelque chose mais comme estant regis eux-mesmes par le Verbe avoir; comme qui diroit; quam habeo amatam, quos habeo victos: et c'est pourquoy estant pris alors pour des participes passifs qui ont des genres et des nombres, il les faut accorder en genre et en nombre avec les noms substantifs, Ou les pronoms ausquels ils se rapportent.

le relatif

« Et ce qui confirme cette raison, est que lors mesme que ou le pronom que regit le preterit du verbe qui le precede, si ce pre

terit gouverne encore une autre chose apres soy, il redevient gerondif et indéclinable. Car au lieu qu'il faut dire : Cette ville que le commerce a enrichie, il faut dire: Cette ville que le commerce a rendu puissante, et non pas renduë puissante: parce qu'alors rendu regit puissante, et ainsi est gerondif. Cela se confirmera encore par ce que nous allons dire de quelques rencontres où le verbe auxiliaire estre, prend la place de celuy d'avoir » (130-134).

On voit sur quelle fausse assimilation repose la théorie des logiciens. Il leur faut d'abord mettre aimant et aimé dans la même catégorie, puis s'arrêter tout à coup dans cette assimilation pour expliquer par la syntaxe latine la lettre que j'ai reçue, sans se préoccuper de la différence énorme de sens entre la phrase latine et celle qui en est issue en français. Il n'en est pas moins vrai que cette doctrine singulière est au fond du raisonnement de tous les contemporains. Bouhours attendait, dans ses Remarques, que Patru éclairât « ce grand mystere de nostre Langue » (518). Or, celui-ci reproduit la théorie que je viens d'indiquer en ajoutant naïvement : << toute la difficulté est de sçavoir en quelle situation ils [nos prétérits] deviennent gérondifs, ou deviennent participes » (dans Vaug., I, 296). C'est elle encore qui inspire Furetière, quand il écrit: « Les Participes des verbes neutres sont moins participes, s'il faut ainsi parler, et par consequent plus éloignez de la nature des Adjectifs >> (Rem. nouv. s. l. l. fr., 249). Je dois dire que Regnier-Desmarais la réfute longuement (491-494). Il n'a aucune peine à prouver que dans les livres que je vous ay prestes, le sens n'existerait plus, si que et vous ne dépendaient que de l'auxiliaire avoir.

Il nous reste à examiner un par un les cas posés par cette règle épineuse, dès lors « justifiée» en raison.

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RÈGLE I. J'AI REÇU VOS LETTRES. Cette règle ne donne plus lieu à aucune discussion. Elle était universellement admise. Cela ne veut pas dire du reste qu'elle fût universellement appliquée, témoin : la loi de la nature, laquelle ayant engendrés et nourris tous les hommes (Rac., V, 555, Trad., ms. autographe); plus éveillés que lorsqu'ils ont commencés à se mettre à table (Id., ib., 553, Trad., ib.); ils seront mesurez à la mesure qu'ils auront mesurez les autres (Fur., Par. de l'Evang., 110); Les morsures de ses dents venimeuses en avoient intimidez quelques autres (Id., Fact., II, 301).

RÈGLE II. J'AI VOS

LETTRES REÇUES (1); LES LETTRES QUE J'AI REÇUES (2). Cette règle n'est pas plus contestée en général que la précédente. « Après les décisions de Marot, de Ramus, de M. de Vau

gelas, et de l'Auteur de la Grammaire générale, dit Ménage, cet exemple ne devroit plus recevoir de difficulté » (O., I, 52-53). Malgré cela, Regnier-Desmarais ne considérerait pas comme une faute de laisser le participe invariable (490). Les exemples de la construction no 1 deviennent de plus en plus rares, mais l'accord y est constant: A ce propos, voici l'histoire qu'il m'a dite, Et sur qui j'ai tantót notre fourbe construite (Mol., I, 193, Et., v. 1299-1300); Et de son grand fracas surprenant l'assemblée, Dans le plus bel endroit a la pièce troublée (Id., III, 37, Les Fách., v. 19-20); Et m'a droit dans ma chambre une boîte jetée (Id., II, 392, Ec. des Maris, v. 467); A peine mon báton la terre aura touchée (Perrault, Cont., 58); (Les Fées) Ont d'un Art jusqu'icy des mortels ignoré De Nacre et de Corail les voutes étoffées (Perrault, Rec., 5).

Quant à la construction n° 2, les exemples en sont innombrables. Partout les auteurs ou les typographes ont fait régulièrement l'accord. Cependant il y a, soit dans les manuscrits, soit dans les imprimés, des participes sans accord; ce sont des licences ou des « fautes >>: Cela pourrait bien être, et je suis satisfait Des effets surprenants que le hasard a fait (Regn., Ménechm., act. I, sc. 2); Et d'un des voeux qu'elle a fait (Airs et Vaud. de Cour, II, 94); De-là il n'est personne qui ne voye que les differens jugemens que le Public a fait (Palaprat, Le Grond., Préf., 5); Si la traduction du premier Livre de l'Illiade est toute de la force des deux vers que vous m'en avez envoyé (Bross. à Boil., Corr., 53, Lett. XXVI); lorsqu'on appercoit la fin que l'Architecte s'est proposé (Lamy, Rhétor., 9).

Ce qui est intéressant, ce n'est pas de noter ces passages où la règle demeure inobservée', mais de bien préciser de quelles restrictions elle est encore entourée.

1o D'abord elle ne s'applique pas à tous les verbes. Restent invariables, dit Patru, « les participes des verbes en oire, oitre, andre, endre, indre, aindre, eindre et oindre, quand il y a des substantifs semblables à leurs participes passifs... comme croire, croistre, entreprendre, mesprendre, ceindre, prendre, enceindre, feindre, peindre, complaindre, enfraindre, espreindre, estraindre, contraindre, craindre, poindre, empreindre.... C'est la violence qu'ell ea craint » (dans Vaug., I, 297). D'autres vont moins loin, mais exceptent craint et plaint2, ainsi Richelet, et Andry de Bois-Regard (Refl., 353-354);

accordé :

1. Les passages foisonnent dans le Menagiana, avec un participe qui n'est pas de bons Mméoires qu'il y a inséré (II, 48 ; cf. 92, 170, 237). Or Ménage devait avoir su la règle; il l'enseignait. Ce sont donc des négligences des collecteurs d'ana. Ceux qui ont ramassé ses pensées auraient pu y mettre plus de soin.

2. Est-ce à cause du vieux mot plaint que Corneille écrivait: Je vous ai plaint tous deur (III, 313, Pol., v. 573 et note 1)? N'est-ce pas une faute ?

cf. A au mot craint : « il n'a guere d'usage au feminin». Pour éviter à la fois l'équivoque et le solécisme, Richelet suggère de dire appréhendée.

2o Elle ne s'applique pas au verbe étre.

3o Suivant Furetière, elle ne s'applique pas non plus à vouloir, pouvoir : C'est une chose qu'ils n'ont pas voulu, non voulue, que j'ai pu, et non pue. Ces verbes sont actifs contre leur nature; et quand ils paroissent l'étre, il y a toujours quelque élipse. C'est ce qui a donné lieu à l'irregularité.

De même pour oser. C'est une chose qu'il a osé ou osée......... « Je me determine au masculin par la raison que j'aye dite qu'on doit sousentendre un verbe (faire) » (Rem. nouv. s. l. l. fr., 225-226).

Regnier, adoptant ces théories, en arrive à la formule suivante : <«< Toutes les fois que le Participe d'un Verbe ne peut point, dans le sens où il est employé, se construire seul avec le Substantif où il se rapporte, alors ce Participe doit tousjours estre employé indéclinablement, comme ayant tousjours besoin qu'on sous-entende quelque autre Verbe à sa suite.... Un homme a payé toutes les sommes qu'il a deuës; Il a fait toutes les choses qu'il a deû » (501).

tée

par

4o Une autre exception, inventée par Ménage (O., I, 54) et accepThomas Corneille (dans Vaug., I, 302-303), consiste à ne pas faire l'accord quand le sujet du verbe est le neutre cela: Vous ne sçauriez croire la peine que cela m'a donné, quoiqu'on dise: Les inquiétudes que cet accident m'a causées, la joye que cette nouvelle

m'a donnée1.

50 Ces restrictions sont, quoique déjà importantes, peu de chose auprès de celle que voici. Suivant Bouhours, qui semble avoir pour lui l'usage, la raison qui oblige à faire l'accord, c'est « lors que la prononciation ne seroit pas assez soutenue ». Si on dit : la lettre que j'ay recenë; la liberté que j'ay prise, c'est « qu'en ces rencontres, on donne des nombres et des genres aux participes, afin de soûtenir le discours ». Au contraire, « lors qu'on ajoûte quelque chose aprés, le participe redevient indéclinable, estant suffisamment soûtenu par ce qui suit, comme il paroist dans les exemples de M. de Vaugelas » (Rem., 520). On voit la portée d'une semblable observation. L'accord se fait quand, devant une pause, la prononciation du participe, qui porte l'accent rythmique, se prolonge, il ne se fait pas, autrement dit: la voyelle ne s'allonge pas, quand, d'autres mots venant à

1. Je ne rappelle que pour mémoire l'observation de Ménage, qu'on doit écrire : Je ne croi pas que personne puisse dire que je l'ai trompé (O., I, 35). Elle n'a point de rapport avec la syntaxe du participe, et prouve seulement que l'auteur ne considère plus personne comme un féminin.

F. BRUNOT.

Histoire de la langue française. IV. 2.

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